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L’origine du nom


L’origine du nom
Lucian Freud, Grand Intérieur, Notting Hill, 1998, huile sur toile.
Lucian Freud, Grand Intérieur, Notting Hill, 1998, huile sur toile.
Lucian Freud, Grand Intérieur, Notting Hill, 1998, huile sur toile.

Après plus de vingt ans d’absence en France, le Centre Pompidou répare un outrage. Et malgré une attente considérable pour y accéder, Paris se pâme devant l’exposition « Lucian Freud, l’atelier ».

Pourquoi ? Pour ces nus agonisants aux chairs flasques et aux sexes hypertrophiés ? Pour cette réhabilitation du laid, du difforme, du monstrueux ? Pour ces femmes obèses, victimes du diktat de la mode actuelle, pour ces corps intolérables au canon esthétique dominant ?

La vérité est ailleurs. Celui que l’on vient voir, c’est l’Autre, le seul, l’unique : Sigmund Freud, ce grand-père jamais cité par le peintre, mais toujours présent.

Et nous voilà avec deux Freud : grand-père et petit-fils. Sigmund, dont l’œuvre entre dans le domaine public cette année, figure tutélaire aujourd’hui assassinée par un Michel Onfray ; et son petit-fils, Lucian, l’artiste vivant le plus cher du monde et qui a pour particularité de se cacher et de garder le silence sur sa filiation, laquelle est évoquée d’entrée de jeu dans l’exposition. Les deux noms, Sigmund et Lucian, sont ainsi coagulés.

[access capability= »lire_inedits »]« Le nom sert toujours à boucher quelque chose »

Lacan nous dit que « le nom sert toujours à boucher quelque chose ». Chez les Freud, on ne bouche pas, on analyse. Si Sigmund Freud signait ses œuvres, Lucian ne s’autorise pas à signer ses toiles. Porter ce patronyme illustre et hautement « chargé » serait pour le peintre une pure donnée biographique, sans conséquence. Rien n’est moins vrai, car le public parisien vient voir un paradigme nommé « Freud ».

On veut comprendre ce que cela signifie de porter ce nom-symbole et à quoi ressemble ce petit-fils, ce « produit dérivé » du Moïse des temps modernes. On veut savoir si cette peinture est freudienne. On veut comprendre si elle porte la marque de la psychose découverte par le grand-père. On veut comprendre si cet exhibitionnisme charnel cache un mal-être, pour ne pas dire une haine de soi. A-t-il reçu, de par sa filiation, l’esprit de la psychanalyse en héritage ? On veut comprendre cette proximité fantasmée entre Lucian Freud et son grand-père : tel est le ressort caché de cette exposition. Tel grandiose ancêtre, tel petit-fils ! Tel petit fils psychotique, tel grand-père !

De tableau en tableau, Lucian Freud règle ses comptes avec son envahissant aïeul. Tous reflètent la même litanie sur la chair triste et fade privée de désir et d’amour. Obsédé, comme son ami Bacon, par la représentation du corps et du nu, il veut que « la peinture soit chair ». Il ne connaît aucun tabou, il ne veut rien refouler.

Voici le génital, offert aux spectateurs, toujours et encore, malgré ou à cause de l’interdit brandi par son auguste grand-père.

Tous ces portraits sans regard, affalés dans des sofas, allongés sur des lits, ne rappellent-ils pas la pratique du divan des séances d’analyse ? Lucian n’est-il pas lui-même analyste de modèles-patients à qui il ne donnerait jamais la parole ?

Comment renoncer à dessiner des parallèles entre l’« atelier » et le « cabinet », mondes clos, espaces où tout est observé ? Le spectateur pénètre, comme à travers un miroir, dans l’atelier du peintre, le lieu de ses psychodrames, le « lieu du crime ».

La psychanalyse mise à nue par Lucian Freud

C’est, en réalité, la psychanalyse qui est proprement regardée par des milliers de spectateurs-voyeurs et qui est mise à nue dans cette exposition.

Mais le plus intéressant reste, sûrement, la peinture de sa mère, qu’il entreprit durant neuf ans, jusqu’à la mort de cette dernière pour, dit-il, la sauver : assise sur un fauteuil, allongée à demi nue dans un lit surplombé d’un miroir dans lequel se reflète l’artiste en enfant. C’est, peut-être, la seule fois où le peintre retrouve son ancêtre.

Il est vrai que la mère de Lucian Freud s’appelait Lucie. Porter le prénom de sa mère, oui. Signer du nom de Freud, non. Tel est l’implacable destin de l’artiste.

L’exposition « Lucian Freud. L’Atelier » est présentée du 10 mars au 19 juillet 2010, au Centre Pompidou, Paris. Plus d’informations sur www.centrepompidou.fr

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Mai 2010 · N° 23

Article extrait du Magazine Causeur



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Odile Cohen est avocate.

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