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L’Évangile selon Tolstoï


L’Évangile selon Tolstoï

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Léon Tolstoï (1828-1910), l’auteur archiconnu de Guerre et paix, fut célèbre en son temps pour ses prises de positions radicales en matières religieuses et sociales, aujourd’hui quelque peu oubliées.
On connaît la position de certains à la suite de Léon Chestov, analyse popularisée par Louis Pauwels dans sa préface à Anna Karénine (1972) : à partir de sa Confession de 1879, le romancier au réalisme puissant sombre dans un moralisme idéaliste de mauvais aloi, sa sève tarit du fait de sa (mauvaise) foi… Son chef d’œuvre de 1899, Résurrection, rend cependant justice à l’écrivain!
Cependant, si ses romans sont constamment réédités et accessibles sous tous formats et dans diverses traductions, ses essais, pour la plupart traduits et publiés en français au tournant du vingtième siècle, ont depuis longtemps été boudés du public, accessibles seulement à une petite secte de tolstoïens avertis qui se transmettaient le flambeau de génération en génération, souvent dans les milieux pacifistes, non-violents et chrétiens dissidents – qui souvent se recoupent.
Pourtant, l’influence de la doctrine évangélique de Tolstoï a été immense : le jeune Mohandas Gandhi (1869-1948) échangera une correspondance décisive avec le vieux comte en 1909-1910 et baptisera « Ferme Tolstoï » sa première expérience communautaire sud-africaine, préfiguration de ses futurs ashrams. Et le libérateur de l’Inde trouvera dans sa doctrine de « non-résistance au mal par le mal » les prolégomènes de l’ « ahimsa », la mal-comprise « non-violence » ou « résistance non-violente » qui rejoint la fameuse « désobéissance civile » initié par Thoreau au siècle précédent[1. Texte que Tolstoï fit traduire et publier en russe en 1894.]. C’est au cours d’un voyage de quatre ans en Inde, dont sept mois à l’ashram de Sabarmati auprès de Gandhi en 1925, que l’Américain Richard B. Gregg (1885-1874), dont vient d’être publié en français La valeur de la simplicité volontaire (1936), s’initia à la philosophie gandhienne. Son ouvrage majeur, The Power Of Non-Violence (1935), influença profondément Martin Luther King – avec le succès que l’on sait. Loin d’être une sagesse sirupeuse pour babas ou bobos, la non-violence est avant tout une discipline difficile, tant personnelle que collective, et surtout un formidable outil de lutte populaire.
Face au reflux des dernières décompositions idéologiques, à l’impasse d’un libéralisme « sociétal » de centre-droite-gauche, et à l’absence d’émergence d’idées nouvelles aux extrêmes, de petites maisons d’éditions courageuses, artisanales et souvent peu rentables, s’intéressent aux bonnes vieilles nouvelles idées trop vite enterrées par le siècle de fer. En témoignent quelques rééditions récentes de Tolstoï politique. Ou encore les éditions Le Pas de côté, fondées à Vierzon par Pierre Thiesset et Quentin Thomasset, qui ressortent coup sur coup L’esclavage moderne, Aux travailleurs, Le grand crime et Où est l’issue ? Dans ces essais, paru une première fois en français entre 1901 et 1905, Tolstoï s’en prend avec fougue au mensonge moderne, celui de l’Etat, celui de l’économie politique, mais aussi au libéralisme et au socialisme unis dans le productivisme et l’industrialisme. Tolstoï, certes, exagère – mais c’est aussi ce qui fait sa force, et son talent. L’exagération tolstoïenne répond à son exaspération devant une société abusivement injuste et hypocrite, et la force de vérité de cet hérétique, comme chez Léon Bloy, lui vient de son appétit de justice sociale autant que de justesse romanesque. « J’écris ce que je pense et qui ne saurait plaire ni aux Etats, ni aux gens riches », répond-il à sa femme qui s’alarme des risques qu’il prend par ses radicales propositions et ses prises de positions publiques. Face à l’Etat libéral et au libéralisme étatique, Tolstoï est on ne peut plus actuel.
Contre l’organisation sociale du mensonge et de la violence, Tolstoï plaide pour une libération non-violente par le christianisme intégralement vécu – qui n’évitera pas martyre et persécution : « Il n’est pas en mon pouvoir d’empêcher les hommes qui se croient éclairés de voir dans l’enseignement évangélique une doctrine vieillie et trop usée pour leur servir de règle dans la vie. Ma tâche se borne à proclamer la source où j’ai puisé la connaissance d’une vérité que l’humanité est loin d’apercevoir encore. Et je remplis ma tâche. »

Léon Tolstoï, Que faire ? suivi de La famine – Ce que veut l’amour – L’unique moyen, Le Pas de côté, 2013.

Image : Léon Tolstoï.



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