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Le miracle de Trèbes

Il est des mystères devant lesquels on s’incline en silence


Le miracle de Trèbes
L'avocat Thibault de Montbrial et Nicolle Beltrame, Paris, 22 janvier 2024 © Bertrand GUAY / AFP

Arnaud Beltrame est mort dans l’Aude, après avoir été égorgé dans le Super U de Trèbes par le musulman Radouane Lakdim, alors qu’il s’était volontairement substitué à un otage. « Il y en a marre de la lâcheté, de ce laxisme. Il est temps de se réveiller ! » a dit sa mère devant la cour d’assises spéciale de Paris, où sont actuellement jugés sept proches de l’islamiste qui a tué quatre personnes le 23 mars 2018.


En ce moment même se tient le procès des attentats de Trèbes et de Carcassonne. En ce moment même, tous, là où nous sommes, nous pouvons constater que notre société est lancée dans une course folle vers l’abîme, et que nos dirigeants appuient des deux pieds sur l’accélérateur. Alors en ce moment même, plus que jamais, souvenons-nous que le courage, le sens du devoir, la dignité sont possibles. Souvenons-nous d’un homme qui l’a prouvé. Souvenons-nous d’Arnaud Beltrame.

Six ans, déjà, depuis qu’un colonel de gendarmerie a incarné la résistance face à la violence du totalitarisme islamiste, le refus de se soumettre à sa terreur, le don de soi et la lutte pour protéger autrui de sa sauvagerie. Six ans depuis qu’Arnaud Beltrame nous a donné cette leçon, et l’islamisation se poursuit, avec la complicité de ceux qui nous gouvernent. Six ans, et après l’horreur indicible du pogrom du 7 octobre, les soutiens du Hamas défilent librement dans nos rues. Six ans, et le cri du cœur de la mère du colonel Beltrame nous dit, en creux, toutes les promesses non tenues depuis la mort de son fils.

Et pourtant…. La noblesse d’Arnaud Beltrame porte ses fruits. On pense au cheminement spirituel de celle qu’il a sauvée. On pense au courage d’Henri d’Anselme à Annecy : « Je n’avais qu’une image en tête, c’était celle du colonel Arnaud Beltrame et, en quelque sorte, c’est lui qui m’a inspiré, qui m’a poussé à agir. » Fruits peut-être moins spectaculaires que ceux du jihad et des razzias islamistes, mais ils n’en sont pas moins précieux – et, à terme, il n’est pas absurde de penser qu’ils l’emporteront. Arnaud Beltrame était soldat de France, franc-maçon et catholique, il savait mieux que personne que tout a commencé avec l’appel d’un homme seul à la radio de Londres, tout a commencé avec une humble pousse d’acacia, tout a commencé avec un corps supplicié sur une croix. Comme l’évoque le 1er Livre des Rois, le Seigneur n’était pas dans l’ouragan qui fendait les montagnes et brisait les rochers, ni dans le tremblement de terre, ni dans l’incendie, mais dans le murmure d’une brise légère.

En hommage à ce héros, et le mot n’est pas excessif, en hommage à celle qu’il aimait, en hommage à sa famille, à ses proches, à ses compagnons d’armes, à tous ceux qui lui ont permis d’être l’homme qu’il était, voici quelques extraits de mon livre, Refuser l’arbitraire, dans lesquels j’espère ne pas trahir ce que sa vie nous enseigne.

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C’est pendant la deuxième année de la quatre-vingt-dix-huitième olympiade que Platon écrivit le dialogue intitulé Gorgias. Outre le sophiste grec éponyme, il y oppose Socrate à un certain Calliclès, dont les historiens se demandent aujourd’hui s’il a vraiment existé, car nulle part ailleurs il n’est question de lui.

Réel ou fictif, Calliclès incarne l’antithèse parfaite de celui que l’oracle de Delphes avait désigné comme le plus sage des mortels. Alors que Socrate défend la recherche de la vérité et de la justice, Calliclès affirme qu’il n’y a pas de vérité en soi, mais seulement des rapports de force, que le langage n’est pas une médiation nécessaire entre l’esprit et la réalité, mais uniquement un outil au service de conventions forcément arbitraires, et que la morale ne saurait être autre chose que l’habillage rhétorique de règles sociales n’ayant en elles-mêmes aucune valeur particulière, la loi des Grecs n’étant supérieure à celles des barbares qu’aux yeux des seuls Grecs, et non dans l’absolu. Ainsi, ce personnage est à la fois la préfiguration et la synthèse de bien des maux qui nous rongent aujourd’hui. Deux mille quatre cents ans après l’écriture de ce dialogue, l’Occident se meurt de ne plus savoir enseigner à ses enfants comment distinguer la voie de Calliclès de celle de Socrate.

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La vie d’Arnaud Beltrame, vécue jusqu’au paroxysme, jusqu’à donner sa vie par amour de la vie, comme la vie de Socrate, comme celles de Léonidas, de Jeanne d’Arc, de Marc Bloch, de Yue Fei, de Nicolas de Salm, de Lei Haiqing, apporte un démenti cinglant à Calliclès. Nous ne pouvons peut-être pas le prouver, mais nous savons, par ce qu’il y a en nous-mêmes de plus authentique et de plus authentiquement vivant, que leurs vies sont la vérité de l’homme.

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Les parents de Léonidas et des 300 Spartiates qui l’ont accompagné aux Thermopyles ont-ils eu tort de leur donner l’éducation qui a fait d’eux ce qu’ils étaient ? Auraient-ils mieux fait de les encourager à ne pas se mettre en danger, à se protéger avant tout, à s’agenouiller devant les émissaires du Roi des Rois, et à livrer la Grèce à la Perse ? Sans eux, sans les rameurs athéniens anonymes de la bataille de Salamine, le berceau de l’Europe serait devenu une satrapie comme les autres, et notre civilisation n’existerait pas. Tout ce qu’elle a apporté à l’Humanité, de la démocratie à la science en passant par la philosophie, n’existerait pas.

Si les parents d’Arnaud Beltrame lui avaient enseigné la lâcheté, peut-être serait-il encore en vie. Mais à quel prix ? Bien avant de mourir, il n’aurait pas vécu ce qu’il a vécu, il n’aurait pas été celui qu’il a été. À quoi bon renoncer à l’intensité de la vie et à la dignité d’une vie pleinement vécue, pour prolonger une vie sans droiture, sans noblesse, sans grandeur ? Faut-il, pour survivre plus longtemps, renoncer à vivre ?

Dans la littérature arthurienne, la mère de Perceval a tenté d’éloigner son fils de la chevalerie, parce qu’elle craignait qu’il suive le même chemin que son père, et meure bien trop jeune, laissant derrière lui une veuve et un orphelin. Mais Perceval est parti, a revêtu une armure, connu la veillée d’armes, l’adoubement, la quête, la défaite et la victoire, la faute et la rédemption, et il a trouvé le Graal.

Arnaud Beltrame n’a pas été une victime. Il pratiquait les arts martiaux avec conviction. Il était animé par une foi intense. Il s’est battu jusqu’au dernier instant pour maîtriser le terroriste islamiste. Il a ordonné l’assaut alors même qu’il se battait, il est tombé au combat. Blessé par trois tirs — un doigt arraché, une balle dans le bras gauche et une autre dans la jambe gauche — il s’est battu près de dix minutes avant de prendre un coup de couteau dans la gorge. Le lieutenant-colonel Beltrame a choisi de risquer sa vie pour sauver celle d’une otage, parce qu’il savait qu’il avait plus de chances qu’elle de l’emporter, parce qu’il y voyait son devoir. Il s’est battu, et il l’a sauvée. Il est mort, et il est devenu immortel. Et durant quelques heures, quelques jours même, la France a découvert un héros. Elle a découvert que l’héroïsme est encore possible. Elle a senti qu’elle avait besoin de héros pour se souvenir de ce que cela signifie d’être humain. Cela nous dit quelque chose de la nature humaine, quelque chose qui dément toutes les théories de Calliclès et donne raison à Socrate.

Mais l’esprit de sacrifice ne suffit pas à définir ce qui est juste. De nombreux terroristes islamistes acceptent de donner leur vie pour ce en quoi ils croient. Peut-on pour autant les assimiler au sacrifice d’Arnaud Beltrame ? Non ! Le père Jean-Baptiste, chanoine régulier de l’abbaye de Lagrasse qui a accompagné le cheminement spirituel du lieutenant-colonel Beltrame les deux dernières années de sa vie et devait célébrer son mariage, a déclaré lors des funérailles de l’officier : « Il a risqué sa vie pour que s’arrête la mort. La croyance du djihadiste lui ordonnait de tuer. La foi chrétienne d’Arnaud l’invitait à sauver, en offrant sa vie s’il le fallait. » On se doit de respecter le courage de ses ennemis, leur esprit de sacrifice, leur intelligence. Mais cultiver ces qualités au service du mal ne saurait être mis sur le même plan que cultiver les mêmes qualités au service du bien.

Mohamed Merah, qui a exécuté des enfants dans la cour de leur école pour les offrir en sacrifices humains à Allah, et qui est mort pour le dieu qu’il s’était choisi, n’a rien à voir avec Arnaud Beltrame. « J’aime la mort comme vous, vous aimez la vie » a déclaré Merah aux négociateurs de la police, reprenant à son compte une phrase de Khalid ibn al-Walid, chef des armées musulmanes au viie siècle, surnommé par le prophète de l’islam en personne Sayf Allah al-Maslûl, le « Sabre dégainé d’Allah », et qui écrivait à ses ennemis : « Vous avez le choix entre la conversion, la soumission et la mort, car j’arrive avec des hommes qui aiment la mort comme vous vous aimez la vie. »

Arnaud Beltrame, lui, n’est pas mort en glorifiant la mort, mais en glorifiant la vie, pour glorifier la vie, par amour pour la vie qu’il a glorifiée, pour la vie qu’il a sauvée. Sa grandeur ne vient pas seulement de son sacrifice, mais de la noblesse et de l’humanité dont il a fait preuve en choisissant ce pour quoi il acceptait la possibilité de ce sacrifice.

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Le 8 juin 2023, la France découvre un drame et une espérance. Le drame, c’est l’agression d’enfants au couteau dans un parc d’Annecy par un migrant qui n’aurait jamais dû se trouver là. L’espérance, c’est Henri d’Anselme. L’inattendu et l’inespéré Henri. Âgé de 24 ans seulement, il s’est interposé et a mis sa vie en danger pour protéger des enfants qu’il ne connaissait pas. Et avec d’autres — qui eux aussi ont agi, comme il ne cesse de le rappeler —, il a probablement évité le pire. Son image, celle de « l’homme au sac à dos », a fait le tour du monde. Le 8 juin, Henri était à Annecy, au bon endroit, au bon moment, avec son cœur et son courage. Il a été un rempart entre des enfants et la mort. « Ce que je sais, c’est que je n’étais pas là par hasard sur mon chemin des cathédrales », dira-t-il.

Il refuse qu’on le considère comme un héros, qu’il me permette alors de dire qu’il est un brave, de ceux qu’évoque Pindare, ce poète qu’admirait Alexandre : « Zeus veut que les héros soient honorés, pour que la mémoire de leurs exploits inspire les actions des braves et les pensées des sages. »

Henri ajoutera : « Je n’avais qu’une image en tête, c’était celle du colonel Arnaud Beltrame et, en quelque sorte, c’est lui qui m’a inspiré, qui m’a poussé à agir. »

Il est des mystères devant lesquels on s’incline en silence.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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