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Grève des enseignants: l’ire et le néant

Après la mobilisation de jeudi 1er février, les syndicats appellent à une nouvelle journée de jérémiades le 6


Grève des enseignants: l’ire et le néant
Toulouse, 1er février 2024 © FRED SCHEIBER/SIPA

Les profs étaient (encore une fois) dans la rue jeudi. Au total, 20,26% d’enseignants étaient grévistes, selon les chiffres du ministère de l’Éducation. Mais qu’est-ce qu’ils voulaient, encore ?


On connaît la fameuse citation de Bossuet, citée jusqu’à la nausée, de Dieu contemplant avec le sourire nous autres mortels s’agitant, puis nous plaignant des effets de nos agitations. Comme il a dû rire hier, prélassé par-dessus ses nuages, le menton dans les paumes et la barbe frissonnante ! Car les enseignants, pour la énième fois, déambulaient dans la rue au lieu de travailler, s’indignaient de leurs propres turpitudes, et, pour une raison qui m’échappera toujours, réclamaient avec une conviction sincère des mesures qui auraient inéluctablement pour effet de dégrader plus encore leurs conditions de travail.

Que reprochaient-ils donc au gouvernement ? Faisons le tour.

D’abord, les propos de la ministre de l’Éducation nationale

L’idéologie ne doit pas aveugler le jugement ; que l’on soit de droite ou de gauche, il faut bien dire la vérité : le privé, en France, dépend aussi du ministère de l’Éducation nationale, et la ministre a parfaitement le droit d’y placer ses enfants, sans avoir à se justifier ; le seul scandale, dans cette affaire, c’est sa défense à ce point désastreuse qu’elle en devient comique ; c’est qu’elle ait même osé prendre la parole afin de répondre à la Terreur – Mediapart –, quand elle eût dû rester muette et dédaigneuse. Mais les « profs », aveuglés depuis longtemps, ne reculent devant rien et troquent sans vergogne, en dépit de la dignité de leur profession, le syllogisme pour l’aporie. Celle-ci est belle : ils dénoncent l’absentéisme ; pour raison d’absentéisme, la ministre transfère ses enfants dans un établissement privé ; ils dénoncent des propos « provocateurs et scandaleux » !

Amélie Oudéa-Castéra visite l’école publique Littré, où son fils a été scolarisé six mois avant de rejoindre le privé, 16 janvier 2024 © Thomas SAMSON / AFP

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Ensuite, les effectifs et le manque de moyens

Sur les effectifs, il n’a jamais été démontré qu’une réduction du nombre d’élèves par classe améliorerait les conditions de travail des professeurs, ou même le niveau général ; au contraire : une expérimentation lancée au début des années 2000, en France (c’est la seule), a démontré que le dédoublement des effectifs n’avait aucun effet notable. Normal, en vérité : le problème est moins le nombre d’élèves que la discipline évanouie, avec la politesse et le respect ; une classe peut contenir quarante élèves aisément, s’ils sont sages et disciplinés ; et il suffit de dix sauvageons pour détériorer l’activité des professeurs, jusqu’à des limites qui ne devraient jamais être franchies – on se souvient de ces maîtres du savoir braqués au pistolet en plein cours, ou violemment poussés contre les portes devant leurs bourreaux hilares, et puis de l’affaire, plus récente, de Diane et Actéon. Un chiffre : entre 2011 et 2023, les personnels d’éducation se disant satisfaits du climat scolaire dans leur école sont passés de 73,5% à 58,5% (enquête de l’Autonome de solidarité laïque).

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Sur le manque de moyens, nous nous contenterons de rappeler des chiffres trop bien connus (mais la répétition est la vertu de l’enseignement) : avec plus de soixante milliards d’euros, le budget de l’Éducation nationale est le premier budget de l’État. Alors, pourquoi tant de plaintes ? Parce que là encore, le problème est moins dans la quantité des moyens, que dans l’importance des dégradations. Ici aussi, les images ne manquent pas, et l’on égrènerait sans fin les chiffres des violences urbaines contre les établissements scolaires. Le gouvernement se félicité d’une hausse de 6,5% dans le budget de l’Éducation nationale. Je prédis que cela ne changera rien : ce sera comme avec les banlieues !

Enfin, la création des groupes de niveau

Nos pédagogues passent ici de l’aporie au sophisme. Premier énoncé : le niveau de l’école française est l’un des meilleurs au monde. Second énoncé : la création du collège unique fait chuter le niveau considérablement (c’est un euphémisme). Conclusion : il faudrait accentuer encore la mixité dans les classes ! On est loin du siècle de Voltaire, des Lumières et de la Raison.

Que les enseignants continuent donc de manifester ; ils obtiendront des augmentations dérisoires, des hausses de budget, d’autres poussières – tant que le respect, qui passe par la discipline, ne sera pas revenu au cœur de l’école, leur profession les rendra malheureux.



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Ancien étudiant au lycée Henri-IV de Paris, avocat puis professeur de lettres, Paul Rafin a créé le blog Les Grands Articles, consacré à la littérature française et étrangère. www.lesgrandsarticles.fr

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