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De pages en plages

"Le Grand Livre de la littérature de plage" de Jean-Christophe Napias (Séguier, 2025)


De pages en plages
Bains de mer à Ostende à la fin du xix e siècle : cabines de bain sur roues et baigneurs en costume © Hervé Lewandowski

Le Grand Livre de la littérature de plage de Jean-Christophe Napias révèle que le soleil estival a inspiré Chateaubriand et Morand, Hugo et Colette, Loti et Modiano, Gide et même Balzac. Un florilège de haut vol pimenté par des curiosités piochées dans la presse ancienne et des arrêtés municipaux d’un autre temps.


Chaque été, c’est la même chose. Que je rejoigne Antibes ou Dinard pour m’alléger l’esprit, je m’alourdis de trop nombreux livres. Hésitant, je prends toujours plus que moins : la mesure n’est pas mon fort. Par bonheur, je ne suis pas le seul. C’est un peu pour nous (et pour les autres aussi sans doute) que cette anthologiede la littérature de plage existe. Remercions Jean-Christophe Napias de s’être décidé à compiler ces textes et rendre nos valises moins lourdes.

Nostalgie de plages

En exergue, une citation de Jacques Laurent : « Puis ils partirent pour la plage et le bonheur commença. » Nous voilà embarqués, et en bonne compagnie. L’équipage est d’élite : Chateaubriand, Hugo, Morand, Loti, et même Balzac que l’on imagine difficilement un doigt de pied dans l’océan… Mille autres encore. Par exemple, ce Maupassant amer dans Pierre et Jean : « Toutes ces femmes ne pensaient qu’à la même chose, offrir et faire désirer leur chair déjà donnée, déjà vendue, déjà promise à d’autres hommes. Et il songea que sur la terre entière c’était toujours la même chose. » Ou bien Colette, née pour mettre ses pieds dans le sable et perdre ses doigts dans les cheveux : « La plage éblouit et me renvoie au visage, sous ma cloche de paille rabattue jusqu’aux épaules, une chaleur montante, une brusque haleine de four ouvert. » On voyage vers les plages dix-neuviémistes de Trouville ou Biarritz avec la nostalgie de ceux qui rêvent à des époques qui ne les ont pas vu naître : « Les tapis d’œillets roses ne seront bientôt plus ici qu’une légende du vieux temps » (Loti). Tout (ou presque) est chaleur et volupté.

Les souvenirs rejaillissent par ricochets. L’érotisme des corps au soleil, les jeux de l’enfance, les siestes salées et les nuits chaudes. Les chapitres s’enchaînent pêle-mêle au hasard de « la poésie de l’aléatoire et du charme des voisinages improbables », comme l’explique Napias. Le dilettantisme sied bien aux charmes estivaux. Si les plages sont devenues incontournables denos vies modernes, les auteurs contemporains se sont finalement moins emparés de ce thème que leurs aînés. Ils ne sont pour autant pas absents de cette anthologie. Chantal Thomas, Modiano (« Il faisait très chaud cet été-là et nous avions la certitude que l’on ne nous retrouverait jamais ici »), Olivier Rollin seul ou Olivier Adam moins seul (« J’aime cette vie d’êtres familiaux, de plages bondées, de gestes mécaniques et de sourires »). Mais aussi les auteurs oubliés, noyés posthumes, qui réapparaissent à la surface. Joie de voir le nom de Taine s’inscrire sur une page : « Arcachon est un village d’opéra-comique : un débarcadère rouge, jaune et vert, avec des toits retroussés en pavillon chinois, une lieue de plage couverte de trois rangées de cottages, chalets peints bordés de balcons, pavillons pointus, tourelles gothiques, toits ouvragés en bois coloriés. »

On s’amuse beaucoup durant cette lecture où l’on picore au gré du hasard. J’apprends que « Jean Patou fait, pour le bateau et la plage, des pyjamas qui feront fureur dans quelques semaines à Juan-les-Pins » grâce à un article du 1er juin 1931 de Femina. C’est une des particularités réjouissantes du singulier Napias : il a farfouillé partout, retrouvant à côté des classiques et incontournables des curiosités qui, tout au long de ce livre de plus de quatre cents pages, pimentent drôlement l’ensemble. Aussi cet arrêté municipal de Saint-Gilles-sur-Vie du 8 juillet 1887 qui annonce, par l’article 1, que les femmes « devront toujours être décemment vêtues pour se mettre à l’eau », et que les hommes « pourront également se baigner avec un pantalon de laine, une chemise ou un gilet ». On était alors plus habillés à la plage qu’aujourd’hui dans les rues de nos villes. De son côté, André Gide nous apprend dans son Journal que certaines choses ne changeront jamais : « Attrapé un fameux coup de soleil sur presque tout le corps, à me laisser rissoler hier sur la plage. » Oui, vous venez d’imaginer André Gide presque nu.

Victor Hugo sur la plage de la grève d’Azette, à Saint-Hélier (Jersey), peu après son exil, 1852 (c) RMN – Grand Palais

Même ceux qui détestent la vulgarité dégoulinante des plages, les plus pudiques, les ennuyés des vagues, les ronchons d’après les repas, ceux qui cherchent l’ombre et ne désirent pas se transformer en voyeurs, ceux-là aussi auront bien besoin de cette anthologie. Accompagnés de Louis-Ferdinand Céline (« Papa il savait bien nager, il était porté sur les bains. Moi ça me disait pas grand-chose. La plage de Dieppe est pas bonne. ») pendant que leur amante, amant, cousins, cousines, tante ou oncle seront « Sur la plage élégante au sable de velours / Que frappent, réguliers et calmes, les flots lourds » (François Coppée). Il faut bien s’occuper. Avec manière. À ce sujet, Nadine de Rothschild donne des conseils essentiels : « Avant de quitter l’endroit que l’on occupait, on ramasse dans un sac-poubelle tout ce qui s’y trouve et on le dépose dans les endroits prévus. » On en avait bien besoin : merci, Nadine.

Comme les livres de gare, les livres de plage sont déconsidérés, parce que mineurs. J’entendais il y a peu, dans une archive radiophonique, Jean-Patrick Manchette dire qu’il n’y avait que cette littérature ferroviaire qui l’intéressait vraiment. C’est une pose comme une autre. Grâce à ce Grand Livre de la littérature de plage, l’on a désormais les plaisirs et les joies de l’été dits par les plus grands auteurs. L’accessoire et l’indispensable réunis dans un ouvrage. Un voyage géographique, des sens, du temps et de l’esprit. Sans doute ne pourrais-je pas m’empêcher, malgré cela, d’emporter avec moi encore trop de livres, toujours trop de livres, mais ce qui est certain, c’est que celui-ci sera dans ma valise qui reviendra pleine de sable et de l’odeur de crème solaire que portait ma sœur quand j’étais enfant et que je ne lisais pas encore.

Au fait, Monsieur Napias, vous avez oublié Paul-Jean Toulet. Je ne vous en veux pas, mais acceptez que je termine sur l’un de ses plus beaux poèmes : « Douce plage où naquit mon âme / Et toi savane en fleurs / Que l’Océan trempe de pleurs / Et le soleil de flamme. »

Jean-Christophe Napias, Le Grand Livre de la littérature de plage : une anthologie insolite des écrivains balnéaires, Séguier, 2025. 420 pages

Été 2025 – #136

Article extrait du Magazine Causeur




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