Le FN et Israël : Aliot à front renversé


Le FN et Israël : Aliot à front renversé

louis aliot fn

Longtemps, le Front national a limité sa pensée en politique étrangère aux obsessions de son président-fondateur, Jean-Marie Le Pen. Viscéralement anticommuniste pendant la guerre froide, et de ce fait pro-américain, il pouvait sans états d’âme soutenir Israël – Le Pen avait participé à l’expédition de Suez en 1956 – et, dans le même temps, cultiver un antisémitisme style vieille France maurassienne. Son antigaullisme radical rassemblait derrière lui les anciens vichystes et les rescapés de l’OAS, nostalgiques de l’Algérie française. La chute du communisme, en 1989, a quelque peu perturbé ce schéma simpliste. Le critère d’appréciation des régimes en place dans le monde, c’est alors le nationalisme de leurs dirigeants : le FN a un tropisme pour les régimes autoritaires, style Saddam Hussein et Bachar al-Assad. Vladimir Poutine présente à ce moment-là toutes les qualités d’un chef d’État incarnant les aspirations du peuple russe. Jean Marie Le Pen ne se soucie pas, alors, de la cohérence de ses prises de position en politique étrangère, et son seul souci est de se démarquer de « l’établissement » atlantiste, pro-européen, droit-de-l’hommiste, avec une particulière jouissance à provoquer le scandale en s’affichant avec des dictateurs sanguinaires, ou en allant danser, à Vienne, avec des nostalgiques du nazisme. Le changement de paradigme initié par Marine Le Pen ne pouvait pas se passer d’une doctrine géopolitique moins fruste, plus à même de donner du FN l’image d’un parti de gouvernement. C’est la mission que s’est assignée Aymeric Chauprade, géopoliticien récemment rallié au FN, qui nous a accordé un entretien.[access capability= »lire_inedits »]

Au sein de l’appareil, c’est Louis Aliot, compagnon de Marine Le Pen et numéro 2 du Front national, qui est le principal initiateur de cet aggiornamento. Il vient de gagner un procès contre Alain Soral, qui l’avait élégamment traité de « suceur de sionistes ». Nolens, volens, Aliot apparaît donc comme le cheval de Troie, au sein du FN, d’une judéophilie et d’un penchant pro-israélien, dans la droite ligne du « marinisme » recentré, en rupture avec le lepénisme paternel.

Nous avons donc voulu apprendre, « de la bouche du cheval », quels étaient les vrais sentiments et analyses de Louis Aliot sur le conflit du Proche-Orient, la dernière crise de Gaza et l’attitude de la « communauté juive française organisée » vis-à-vis du FN. Ces questions ont fait l’objet de débats animés au sein de la direction nationale du parti, les revirements d’Aymeric Chauprade ayant quelque peu perturbé les « anciens ». « Si on lit bien Chauprade, affirme pourtant Aliot, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de rupture avec la ligne traditionnelle du Front, qui dénonce les ravages de l’islamisme radical et les compromissions des gouvernements français de droite comme de gauche avec les monarchies arabes qui le soutiennent et le financent… » Admettons, mais est-on encore dans la continuité quand Chauprade constate qu’en raison de ses difficultés actuelles avec l’administration Obama, Israël adopte une position « multipolaire », estimant en conséquence : « À moins donc qu’il ne soit gouverné par un antisémitisme obsessionnel, un patriote français ne peut chercher à former, contre Israël, et avec l’extrême gauche pro-palestinienne, la racaille de banlieue et les islamistes une alliance à la fois contre-nature et sans issue politique. » Aliot se retranche alors dans une attitude qui pourrait être celle de cette « UMPS » régulièrement épinglée par les dirigeants frontistes : « Nous sommes en faveur de l’existence de deux États, sur la base des frontières de 1967, avec des garanties pour la sécurité d’Israël et la reconnaissance des droits des Palestiniens. » Au-delà de ce slogan par ailleurs inattaquable, Aliot, comme sa patronne Marine Le Pen, estime qu’une expression publique et tranchée en faveur de l’un ou l’autre des camps en présence serait parfaitement « contre-productive » : « Il n’y a que des coups à prendre ! » Ce faisant, le dirigeant frontiste est en phase avec l’opinion publique hexagonale, dont un sondage publié par Sud-Ouest en pleine crise de Gaza révèle que les trois quarts des Français considèrent que les deux parties portent également la responsabilité des affrontements meurtriers lors de l’opération « Bordure protectrice ». En revanche, il n’a pas de mots assez durs pour fustiger les manifestations pro-palestiniennes du mois d’août, « où l’on a vu défiler dans les rues de nos villes des gens portant des drapeaux étrangers, c’est intolérable ! ». Il se prononce également pour une interdiction à tous les citoyens français de porter les armes d’un belligérant étranger, au sein des milices djihadistes, comme dans Tsahal, « où des Français n’ont rien à faire ». Ce fils de pieds-noirs – dont un grand-père juif d’Algérie, tient-il à préciser – trace un parallèle entre la guerre de Gaza et la bataille d’Alger de 1957, au cours de laquelle, selon lui, le FLN aurait agi comme aujourd’hui le Hamas, en protégeant ses combattants derrière les populations civiles…

C’est par le biais de la communauté des rapatriés et de leurs descendants, à laquelle appartiennent beaucoup de juifs français, qu’Aliot entend contourner l’ostracisme dont le FN fait toujours l’objet de la part des institutions juives, au premier rang desquelles il place le CRIF. « Le CRIF ferait bien de se méfier, tonne-t-il. Je rencontre de plus en plus de juifs, notamment dans ma ville de Perpignan, qui disent n’être plus représentés par ces notables. Ils viennent sans problème dans nos sections locales pour discuter avec nous… » Il est particulièrement amer que le gouvernement d’Israël ait annoncé, après l’élection européenne, que Marine Le Pen et les élus frontistes ne seraient pas reçus officiellement à Jérusalem ou à Tel-Aviv, alors qu’elle s’était désolidarisée sans ambiguïté des positions de son père considérant « la Shoah comme un point de détail de l’Histoire ». Pour Aliot, c’est encore la faute du CRIF, qui a fait pression sur les autorités israéliennes. En décembre 2011, il s’est cependant rendu en Israël, et même dans des implantations juives de Cisjordanie, à l’invitation d’un groupe de pieds-noirs.

Un sondage de l’IFOP, publié début septembre, ne lui a pas échappé : il indique qu’entre 2002 et 2012 la proportion des juifs français votant pour le FN est passée de 4 % à 13,5 %. En valeur absolue, le chiffre est négligeable, si l’on considère que les électeurs se déclarant de confession juive représentent à peine 0,6 % du corps électoral. Mais, symboliquement, cela révèle un malaise croissant au sein d’une population particulièrement sensible à la montée de l’intégrisme islamiste dans le pays. Rejeté par les notables communautaires, Aliot mise sur le petit peuple juif de Perpignan, Créteil et autres localités où les frictions entre communautés se multiplient.

Partisan d’une laïcité intransigeante, il s’offusque de voir les dirigeants français s’afficher dans des lieux de culte, église, temple, mosquée ou synagogue : «  À la rigueur, cela peut être la place du ministre de l’Intérieur, en charge des cultes, mais pas des maires, ni des autres membres du gouvernement, qui se livrent ainsi à la pêche aux voix communautaristes ! » Le FN n’a pas envoyé ses vœux à la communauté juive de France à l’occasion de Rosh ha-Shana, qui se fêtait cette année le 25 septembre : « Ce n’est pas dans nos habitudes, ni pour les juifs, ni pour les autres. » [/access]

*Photo: ALAIN ROBERT/APERCU/SIPA.00683194_000007

Octobre 2014 #17

Article extrait du Magazine Causeur



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