Le célèbre auteur de science fiction s’attaque à l’histoire de la Grèce à travers une oeuvre de vulgarisation très touffue. De l’époque archaïque à l’après-1945, le romancier démontre une érudition remarquable. Le texte, parfois d’une grande densité, est allégé par les belles illustrations de l’artiste Benjamin Van Blancke.
Après La République romaine puis L’Empire romain, diptyque dédié à l’histoire de la Rome antique, voilà qu’en avril dernier feu le manitou de la SF Isaac Asimov (1920-1992), auteur chéri d’Elon Musk – cf. le cycle Fondation, Fondation et Empire, Seconde Fondation…- se
rappelait à nous avec, inédit en traduction française, un nouveau volume sobrement intitulé Les Grecs, mais dont le sous-titre annonce « une aventure grandiose » : digest haut en couleur, que votre serviteur avait mis de côté, s’en réservant la lecture pour les sables de l’été.
Changé en essayiste, le génial romancier y fait montre une fois encore de sa stupéfiante érudition : condensant les millénaires qui séparent l’ère mycénienne, Sparte, la guerre du Péloponnèse, la pax romana, la domination ottomane, etc., des modernes Hellènes réchappés des deux guerres mondiales puis de la dictature militaire, désormais assagis et rentrés en bon ordre dans le rang des démocraties européennes. Enfin, pas tout à fait encore, du temps où Asimov publie son essai, en 1965, dédié « A John Fitzgerald Kennedy, 35ème président des États-Unis ».

Un puissant tropisme nord-américain sous-tend d’ailleurs sa prose : celle-ci s’adressait clairement à un lectorat autochtone, pas nécessairement féru de culture attique. D’où les raccourcis, aussi saisissants que savoureux, dont elle est émaillée, telle un moderne épitomé. Cet abrégé goûteux compte tout de même 350 pages – et plutôt denses ! On y apprendra par exemple que « le territoire d’Athènes était de la taille de celui de Rhode Island, le plus petit état des États-Unis. Celui de Sparte faisait celui de Rhode Island plus celui du Delaware, les deux plus petits états des Etats-Unis ». Tout au long, la volonté didactique le dispute au détail anecdotique, non sans un certain prosaïsme. Ainsi, autour de l’Acropole, « la peine de mort était prévue pour plusieurs délits contre la propriété, même légers. On pouvait ainsi être condamné à mort pour avoir volé un chou et à quelqu’un qui lui demandait pourquoi, Dracon [que, trois lignes plus haut, Asimov a soin de relier au mot « draconien »] aurait répondu : ‘parce que je n’ai pas trouvé de châtiment plus sévère’ ».
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Les Grecs pour les nuls ? Lecture faite, vous n’ignorerez plus rien de Thémistocle, de Darius, de Xerxès ou de Périclès ; vous saurez de source sûre qu’« en octobre 356 av. J.-C., l’Artémision fut détruit par le feu et il s’avéra que l’incendie était volontaire » ; qu’« après la bataille de Gaugamèles, Alexandre s’empara sans résistance de Babylone et, quelques mois plus tard, arrivait à Suse, au cœur de la Perse » ; ou encore que « l’Empire séleucide continua de décliner après la révolte judéenne » [ au deuxième siècle avant J.-C.]. Bref, pour le lecteur ingénu tout à fait ignorant de l’histoire antique et de ses prolongements, l’ouvrage invite à un profitable exercice de mémoire. Esprits paresseux, s’abstenir !

C’est donc fort judicieusement qu’insérées au fil des chapitres, un certain nombre de cartes se rappellent aux cerveaux rebelles à la géographie, ou sans aptitude particulière à placer sans se tromper les cités de Thèbes, de Marathon ou de Chalcis. Flanquée d’un index, une intimidante chronologie referme, sur 12 pages, ce récit aux mille visages et aux cent lieux, de la Perse à la Sicile, dont la visée vulgarisatrice ne préserve pas absolument du risque de perdre pied dans la touffeur de ses linéaments.
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Quoiqu’il en soit, à l’élégance de cette belle édition participent au premier chef les capiteux dessins à l’encre noire signés du jeune artiste bruxellois Benjamin Van Blancke, de longue date illustrateur maison aux Belles lettres, lesquels accompagnent le texte d’Asimov : ponctuation imaginative, délectable et sensuelle, à la limite du kitch, aussi évocatrice des mœurs antiques que le furent, en leur temps, pour la Rome de Jules César, les bandes dessinées d’Alix telles que tracées au trait par le regretté Jacques Martin.
A lire : Les Grecs, une aventure grandiose, essai historique de Isaac Asimov. Traduit de l’anglais par Christophe Jaquet. Illustrations de Benjamin Van Blanke. 386p., Les Belles Lettres, Paris, 2025.
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