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La société du spectaculaire


La société du spectaculaire
Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur.
Brice Hortefeux
Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur.

Le président de la République avait déjà utilisé l’adjectif dans son intervention télévisée il y a huit jours. Spectaculaires ! Cet adjectif qualifiait, non pas la victoire de l’Espagne intervenue la veille, ni le défilé et les feux d’artifices devant avoir lieu le surlendemain. Ce que Nicolas Sarkozy qualifiait de spectaculaires, ce sont les résultats de son gouvernement dans la lutte contre la délinquance.

A l’occasion d’une intervention aussi importante, le président n’improvise pas. Il ne choisit pas ses mots au hasard. Il avait décidé d’en mettre plein la vue aux Français. Les statistiques, semblait-il nous dire, lui donnaient raison. Alors, fidèle à son habitude, il a plastronné : spectaculaires ! Larousse.fr nous donne deux définitions du mot : celle qui correspond au contexte de la phrase est « qui est très net, très visible ». Le lecteur appréciera. Si quelqu’un trouve que les progrès contre la délinquance sont très nets et très visibles, qu’il lève le doigt.

Si un doigt timide s’était alors levé, il se serait très rapidement baissé, un léger rougissement du front accompagnant le geste. Car les évènements survenus à Saint-Aignan et surtout à Grenoble sont venus rappeler à quel point il était téméraire de s’accorder de tels brevets d’autosatisfaction. Des gendarmes sont contraints à se barricader dans leurs locaux assiégés dans une petite bourgade du Loir et Cher[1. Ces gens là ne font pas de manière.] et la police nationale essuie des tirs à balle réelle lors d’émeutes dans un quartier grenoblois. Cela devrait inciter à changer son fusil d’épaule et à opter pour un autre plan de communication. La principale qualité des grands généraux n’est-elle pas de savoir changer de plan de bataille en s’adaptant aux circonstances ? On attendait donc à un retour à une certaine modestie en la matière, d’autant que les autres fronts médiatiques n’incitent pas forcément à l’arrogance.

Et c’est pourtant dans la commune de Saint-Aignan que Brice Hortefeux a cru bon de réutiliser l’épithète. Je conseille d’aller voir cette vidéo où le ministre de l’Intérieur prononce cette phrase qui pourrait devenir « culte » : « Nous enregistrons des progrès spectaculaires dans la lutte contre la délinquance. » Suit un relevé de statistiques qui indique, selon lui, que les atteintes aux biens, les cambriolages et l’activité liée au stupéfiants sont toutes en recul par rapport à l’année précédente. En ce qui concerne les atteintes à l’intégrité physique qui étaient[2. On remarquera qu’il utilise déjà l’imparfait alors que son énumération pourrait au contraire signaler que le présent aurait été plus indiqué…] le point noir, le ministre informe que la spirale a été cassée, jolie façon d’annoncer qu’elles augmentent un peu moins rapidement.

C’est là que la seconde définition du mot « spectaculaire » peut finalement être étudiée, tant celle que nous avions retenue a priori semble inappropriée. Qui frappe la vue, provoque l’étonnement par quelque aspect exceptionnel. Exemple : un accident spectaculaire. Larousse.fr évoque t-il sans le vouloir la situation de la gendarmerie de Saint-Aignan, les armes lourdes utilisées pour tirer sur les policiers grenoblois ou tout simplement cette déclaration aux journalistes de Brice Hortefeux ? Je penche pour la troisième proposition tant les situations analogues aux deux premières ont tendance à se multiplier ces dernières années, dernières années au cours desquelles Nicolas Sarkozy était, soit à l’Elysée, soit Place Beauvau.

Brice Hortefeux a t-il choisi de son propre chef de reprendre l’élément de langage que le Président avait inauguré une semaine auparavant, avec le zèle qui sied à un ami de trente ans ? Ou – plus grave – l’a t-il repris en concertation avec l’Elysée ? Nous n’avons pas la réponse aujourd’hui. J’ose espérer qu’il s’agit de la première solution. Inventer le « sentiment d’augmentation de l’insécurité » de la part de celui qui fustigeait les socialistes et leur « sentiment d’insécurité » constituerait une preuve que le Président de la République a perdu tout contact avec l’état d’esprit des Français. Cela signifierait qu’il a perdu les pédales. Complètement. Dans ce domaine, comme sur d’autres, qu’on me permette de ne pas trouver ceci très rassurant.

PS. Mercredi matin Brice Hortefeux a déclaré sur Europe 1, Brice Hortefeux déclare ceci : « Dans le combat que nous menons pour assurer la sécurité, nous obtenons des résultats parfois spectaculaires. On observe une baisse des vols, des cambriolages, des escroqueries… » Quelqu’un lui aura t-il soufflé qu’il fallait quelque peu modérer son enthousiasme peu communicatif ? En tout cas, cet adverbe relativise très avantageusement l’adjectif. C’est un bon début.



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