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Crime sans châtiment?

« La disparition de Josef Mengele », un film de Kirill Serebrennikov, mercredi 22 octobre 2025


Crime sans châtiment?
© Bac Films

Dans La disparition de Josef Mengele, Kirill Serebrennikov signe un film sombre et magistral qui retrace la fuite misérable du médecin d’Auschwitz à travers l’Amérique du Sud. Une déchéance glaciale…


Argentine, 1956. Au moment où « Gregor » s’apprête, muni d’un énorme couteau, à couper le gros gâteau sur lequel un petit serveur latino, en guise de déco, vient de planter le drapeau à croix gammée, une invitée plaisante : « il sait faire. N’oublions pas qu’il est chirurgien ». La défaite consommée, dans cet entre soi d’anciens nazis confortablement repliés à Buenos Aires, le Führer reste idolâtré, et l’on rêve encore du retour du Reich millénaire – une question de temps ?

Fuite pathétique

« Gregor », plus tard, s’appellera « Peter », puis « Pedro ». Ces fausses identités dissimulent Josef Mengele, l’ « ange de la mort » d’Auschwitz, auteur d’atroces expériences médicales sur les déportés juifs. L’homme est recherché par toutes les polices, et par le Mossad en particulier.

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Tiré du roman éponyme d’Olivier Guez (Prix Renaudot 2017), La disparition de Josef Mengele n’est pas le récit d’une traque, mais au contraire celui de la fuite pathétique du criminel, jusqu’à la noyade, en 1979, à Embu, sur une plage non loin de Sao Paulo, de celui qui se cachait sous le nom de Wolfgang Gerhard. Dans le rôle, le comédien allemand August Diehl  – déjà SS dans Inglourious Basterds (2009), la comédie macabre de Tarantino, mais il a aussi incarné Karl Marx dans un autre film, ou encore, ailleurs, l’architecte Walter Gropius. Grande figure du théâtre, Diehl vient d’emprunter les traits du prince danois dans Hamlet/fantômes, au théâtre du Châtelet, sous la direction du même Kirill Serebrennikov, encore plus fameux comme metteur en scène lyrique que comme cinéaste, Russe exilé désormais, comme l’on sait, à Berlin depuis quelques années, et opposant déclaré au régime de Poutine.

Pour en revenir à Mengele, cette farce tragique du déni, de la déréliction, de la misère physique et morale d’un homme est captée dans un somptueux noir et blanc qui renvoie, en quelque sorte, à une archive intemporelle, mais également au cinéma d’Orson Welles  (cf. Le Criminel, 1946) : l’on voit vieillir par étapes (grimage particulièrement réussi), l’ex-tortionnaire dans ses refuges successifs, de l’Argentine au Brésil, en passant par le Paraguay, chaque jour plus atteint de paranoïa, pris dans l’étau inexorable du déclin, et rattrapé par le châtiment d’une errance sans issue. Apprenant l’exécution d’Eichmann en Israël, en 1962, Mengele verra le nœud coulant se resserrer sur lui. Mais la protection d’anciens nazis lui permettra de disparaître pendant une bonne dizaine d’années, abrité au Brésil chez des fermiers hongrois. Episode qui, ramassé dans le présent film, donne lieu à des scènes d’anthologie !

Acteurs extras

En 1977, Rolf (Max Bretschneider), son fils né en 1944 d’un premier mariage viendra, muni d’un faux passeport – un ‘’Mengele’’ ne saurait franchir aucune frontière ! – rejoindre au Brésil celui qui n’est plus alors qu’un vieillard éructant, aigri, valétudinaire, survivant au milieu de ses bergers allemands. Rolf repartira sans être parvenu à arracher à son père l’aveu d’une quelconque culpabilité, ou d’un remord. Là encore, dialogue et direction d’acteur extraordinaires.

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Si le scénario, pour en montrer le caractère implacable, juxtapose habilement les périodes en cassant la chronologie, Serebrennikov ménage au spectateur, au cœur du long métrage, une surprise horrifique : passant sans prévenir à la couleur, quelques séquences nous dévoilent d’abord le Mengele jeune, batifolant ou s’accouplant avec sa tendre épouse aryenne. Mais surtout, toujours en couleur, comme exhumées de ces pellicules amateur de format carré, rayées par le temps, et qu’on regarde ensuite en famille, d’autres séquences sont supposées avoir été filmées à Auschwitz : telle cette petite phalange musicale de nains en tenues de gala, contraints de se produire devant leurs bourreaux, dans un passage chanté de Lohengrin. Ou cette scène d’équarrissage du cadavre encore frais d’un infirme dont les praticiens viennent de mesurer au compas les malformations… Pas de rédemption pour le disparu Mengele.


La disparition de Josef Mengele. Film de Kirill Serebrennikov. Avec August Diehl, Max Bretschneider, David Ruland… Allemagne/France, couleur, 2025. Durée: 2h16
En salles le 22 octobre 2025

A lire: La Disparition de Josef Mengele, roman de Olivier Guez. 237p. Grasset, 2017. À l’occasion de la sortie du film, le livre est réédité en Livre de Poche.




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