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«C’est la pression à la normalisation qui est affreuse, pas nos visages»

France 2 diffuse ce soir le documentaire "La Disgrâce" à 22h55


«C’est la pression à la normalisation qui est affreuse, pas nos visages»
Image d'illustration Unsplash

France 2 diffuse ce soir le film « La Disgrâce ». Entre les murs du mythique studio Harcourt, le réalisateur Didier Cros donne la parole à ceux dont le visage a été meurtri.


Dans la délicatesse d’un arpège de piano, des voix émergent. Leurs silhouettes se joignent à l’atmosphère si particulière du studio, où depuis 1934, tant de grands noms sont venus se faire tirer le portrait. Aujourd’hui, trois femmes, et deux hommes, prennent place pour le maquillage. Un profil, un regard, une main, nous sont distillés ; les traits se dessinent peu à peu. À travers de longs cheveux commencent à émerger les stigmates, puis c’est avec une gravité sensuelle, cash et sans artifice que nous sont dévoilés les acteurs.

Mort sociale

Patrica n’a pas besoin de sa crinière blonde pour briller sous la caméra. L’œil de verre qu’elle porte est à peine moins étincelant que celui qui a été épargné par le jet d’acide lancé par son ex-compagnon : « Je suis morte socialement. Trois mois de coma. ». Cette mère de famille raconte comment est survenue la rencontre avec ce nouveau visage. Alors que les miroirs sont bannis dans les centres pour grands brûlés, c’est en ouvrant un placard d’hôpital que son reflet lui est apparu – nez à nez avec ce nouveau « moi », cette image qu’elle renverra désormais à tous ceux qui croiseront sa route, et qu’elle-même ne pourra plus jamais éviter. Pourtant, son affliction semble diluée dans une incroyable capacité de résilience : « Mon visage a été touché gravement à l’acide, et je suis debout ; et je vis. »

Au fil des mots, des sourires remplis de grâce et des larmes, nous faisons la connaissance de Ghuilem. Au-delà de la maladie génétique qui a déformé sa figure, il nous confie ses « blessures psychologiques et narcissiques ». Lui, que l’on vouait pendant ses études à travailler derrière un ordinateur pour y dissimuler sa « disgrâce », a ignoré le regard de ses camarades et professeurs. Dans leurs réprobations, il a surtout puisé la motivation pour décrocher un doctorat – sa « revanche ».

Défiguré ça veut dire sans figure, mais c’est faux

Il y a aussi Gaëlle, blessée au Bataclan, la mâchoire et le bras déchirés par les balles. Avec la douleur d’avoir perdu celui qui partageait sa vie, et après les incessantes séances au bloc-opératoire, elle appréhende l’existence de manière « désinhibée », avec une fougue remplie d’humour : « Ça me relaxe de remettre les gens à leur place », quand les passants la dévisagent.

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Puis Jenny, gravement blessée durant ses premiers mois, et qui n’a toujours eu face à elle qu’un visage modelé par les dizaines d’opérations. Avec le chant comme exutoire, la jeune femme à la vivacité et au sourire inébranlables clame que « défigurée ça veut dire sans figure, mais c’est faux ! ».

Image: capture d'écran France 2
Image: capture d’écran France 2

Enfin, il y a cet homme d’1m90, aux épaules massives et à la chevelure interminable. Stéphane a subi une reconstruction faciale suite à un cancer. Sa nouvelle mâchoire provient de son péroné. Sa langue a été prélevée sur un muscle pectoral. Pour réapprendre à parler, les médecins lui prescrivaient vingt à trente minutes de « grimaces » quotidiennes – exercice qu’il effectuait avec sa petite nièce, et qui lui apportait la légèreté nécessaire pour avancer. Le regard des autres, il l’évoque également, parlant d’une « obligation de paraître, de critères très stricts, qui excluent ce qui n’y correspond pas », avant d’aiguiser son propos : « C’est la pression à la normalisation qui est affreuse, pas nos visages. ».

Un ostracisme autorisé

Je connaissais Stéphane avant sa participation au film, et j’ai pu, sur une chaise de bar ou dans une rame de métro, sonder cette pression à laquelle chacun des protagonistes fait allusion. L’insistance, l’indécence des regards qui s’abattent sur eux à chaque foulée. Alors que de nos jours le racisme et le droit à la différence sont mis à toutes les sauces possibles et imaginables, l’ostracisme qu’ils subissent devrait être dénoncée comme la plus grande des discriminations. Mais elle reste pourtant sourde – ce à quoi Didier Cros tente de remédier.

À travers les témoignages qu’il recueille, il agite sous notre face de gens « normaux » de quoi nous inciter à rompre avec la tyrannie de l’apparence. Il nous invite à prendre du recul sur ce monde d’images, la futilité qui le caractérise, et la soumission qu’il exerce sur nous. La Disgrâce est l’anti-Instagram. C’est un reflet inversé de la société actuelle, une fenêtre ouvrant sur l’humain – sans filtres ni oreilles de lapin –, avec pour seuls propos la réalité du cœur.

Diffusion ce mardi 5 janvier à 23h10, sur France 2.



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