Accueil Édition Abonné Jeux olympiques: à la fin, c’est toujours le CIO qui gagne!

Jeux olympiques: à la fin, c’est toujours le CIO qui gagne!


Jeux olympiques: à la fin, c’est toujours le CIO qui gagne!
Célébration de l'attribution des JO de 2024 sur le perron de l'Elysée, Paris, 15 septembre 2017. Photo: Ludovic Marin

Quoi qu’en disent Macron et Hidalgo, l’addition finale des JO sera très douloureuse pour les contribuables. Raison de plus pour s’interroger sur les incroyables largesses fiscales de l’Etat en faveur du Comité international olympique (CIO). 


Sans suspens, la ville de Paris a décroché le 13 septembre 2017 l’organisation des Jeux olympiques 2024. Il n’y avait pas d’autre candidat. Hambourg, Rome et Budapest ont abandonné tour à tour, voyant grimper la note ou le mécontentement des habitants.

Il n’y a pas davantage de suspens sur le devis de 6,6 milliards d’euros. Il sera pulvérisé. Pour les JO de Tokyo, en 2020, les organisateurs japonais envisageaient un budget de 5 milliards. Ils en sont déjà à 17 milliards. Idem à Londres en 2012 où les 6 milliards annoncés sept ans avant les Jeux sont devenus 15 milliards. De Montréal à Barcelone, en passant par Sydney ou Athènes, les Jeux d’été dépassent en moyenne de 176 % les estimations initiales, ce qui situerait le prix réel des JO de Paris à 18 milliards d’euros. De quoi financer un porte-avions nucléaire (6 milliards), plus quatre ou cinq hôpitaux (200 millions pièce), plus une douzaine de lycées (40 millions), plus un bon millier de rames de RER et de Transilien (8 à 10 milliards). Les milliards d’euros de retombées pour l’économie locale ? Plus personne ne prend les estimations au sérieux. JO ou pas, Paris fait le plein de touristes en août.

A lire aussi: Paris 2024: les JO d’Hidalgo, vous ne pouvez pas être contre!

« Les Jeux, c’est très joli, mais il n’y a pas une ville qui s’y soit retrouvée sur le plan financier », disait Anne Hidalgo… en février 2015. Il serait donc étonnant que Paris 2024 échappe à cette règle. Très fréquents dans la construction, les retards deviennent impossibles quand il s’agit des Jeux. Quoi qu’il en coûte, les épreuves commencent le 2 août 2024. Les sociétés de BTP le savent et font les prix. Si une association de quartier veut intenter un recours susceptible de retarder les travaux, elle joue également sur du velours. Le maître d’œuvre devra revoir sa copie. Les actions en justice des riverains contre le projet de rénovation du Forum des Halles parisien ont fait perdre des années à la Canopée, inaugurée en 2016.

Trois chantiers à risque

Paris fait valoir que l’essentiel des infrastructures existe déjà, ce qui limite le danger de dérapage. Il reste néanmoins plusieurs chantiers à risque, à commencer par le village olympique (1,7 milliard budgété). Il doit être construit en Seine-Saint-Denis, sur 40 hectares, près du carrefour Pleyel. Il implique de lancer un pont sur la Seine, d’enterrer des lignes à haute tension et de dépolluer les terrains, quasi systématiquement souillés par des décennies d’activité industrielle dans ce secteur. Le devis explosera probablement bien au-delà des 2 milliards d’euros. Étienne Thobois, directeur général du comité Paris 2024, a fait savoir que le village pourrait être financé par un partenariat public-privé (PPP), laissant entendre que le montage réduit les risques pour la collectivité. C’est faux. Dans le cadre du PPP, le privé construit et gère l’équipement pendant deux ou trois décennies, et la collectivité lui paye un loyer. Les stades de Lille, Marseille, Bordeaux, Le Mans et Nice ont été construits ou rénovés suivant ce schéma pour l’Euro 2016 de foot. Résultat, un gouffre financier, dénoncé par la Cour des comptes et le Sénat.[tooltips content=’Rapport annuel 2015 de la Cour des comptes. Les Contrats de partenariats : des bombes à retardement ?, Rapport d’information des sénateurs Sueur et Portelli, 16 juillet 2014.’]1[/tooltips] Les PPP étalent l’addition dans le temps, mais ils la font flamber !

A lire aussi: Jeux olympiques: plus vite, plus haut, plus cher!

Il faut compter également avec la grande gare Saint-Denis-Pleyel. Cette infrastructure clé du Grand Paris Express, le futur supermétro francilien, équivalent de Châtelet-Les Halles, verra se croiser les futures lignes 14, 15, 16 et 17. Elle n’est pas construite spécialement pour les JO, mais ces derniers obligent impérativement à tenir le délai d’inauguration, prévu en 2023. Problème, aucune ligne de métro ou de RER n’a été finie à temps ces vingt dernières années. Le prolongement de la ligne 13 accuse déjà trois ans de retard (en comparaison de la grande gare Pleyel, c’est pourtant un chantier simple, 6 km de souterrains et quatre stations). Le devis initial de cette gare, par ailleurs, semble grossièrement sous-estimé. Il est question de 208 millions, alors que la rénovation de Châtelet-Les-Halles a coûté 1 milliard d’euros ! « Je tire le signal d’alarme depuis des mois sur les dépassements de budget » du Grand Paris Express, a lâché Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, cinq jours après l’attribution des JO à Paris. À bon entendeur…

Troisième chantier à risque, le centre nautique (15 000 spectateurs), construit près du Stade de France, et les deux piscines d’entraînement pour les athlètes. Le tout pour 100 millions d’euros ? Difficile à croire. Un centre nautique lambda, comme celui que Châteauroux doit inaugurer en 2019, par exemple, frôle déjà les 30 millions d’euros. Plus la salle Arena 2 pour 7 000 spectateurs, à construire à Bercy.

Évasion fiscale en plein Paris

Les contribuables français vont donc payer. En revanche, le CIO et son émanation française, le Comité national olympique et sportif français, ne régleront probablement pas un centime d’impôt. Entre deux vœux pieux sur la lutte contre l’optimisation fiscale, le gouvernement Valls a en effet introduit dans la loi de finances rectificative 2014 un article ahurissant, qui prévoit une exonération d’impôt « au bénéfice des organismes chargés de l’organisation en France d’une compétition sportive internationale ». Il s’agissait alors de complaire à l’UEFA, pour décrocher l’Euro 2016. Afin d’éviter une censure du Conseil constitutionnel, qui goûte peu la fiscalité sur mesure, l’exonération a été élargie à d’autres compétitions, dont les JO, si jamais la candidature française l’emportait. Comme le dossier tricolore avait déjà été retoqué deux fois, en 2008 et 2012, personne n’a peut-être pris la peine de mesurer la portée de cet engagement.

L’État se couche

Elle sera considérable, car l’État français, dans ce dossier, s’est couché devant le CIO. Pendant quatre ans avant les Jeux et jusqu’à un an après, le CIO et le Comité d’organisation (COJO, en cours de constitution) seront totalement exonérés d’impôt sur les sociétés, d’impôts locaux et de taxes sur les salaires. Ces mesures sont minutieusement listées dans le dossier de candidature officiel (p. 17), qui s’engage même à aller plus loin si nécessaire, au nom du Parlement ! « Les éventuelles mesures additionnelles nécessaires pour limiter l’impact fiscal tel que visé dans le Contrat Ville Hôte seront intégrées dans la Loi Olympique et Paralympique Paris 2024, dont la promulgation est prévue immédiatement après l’élection de la ville hôte. » Vous doutez de l’existence des zones de non-droit en Seine-Saint-Denis ? Visitez le Stade de France, le 2 août 2024.

Quel sera le montant du cadeau, mystère. Personne ne sait encore combien le CIO et le COJO brasseront d’argent au total. Les organisateurs avancent une estimation à 3 milliards d’euros, ce qui représenterait plusieurs centaines de millions d’euros de manque à gagner pour le fisc français. À l’origine, la vague justification de ces exonérations était d’éviter les doubles impositions. Comment y croire ? Basé à Lausanne, le CIO est exonéré d’impôt sur les sociétés en Suisse ! Dans ses comptes publiés en juillet 2017, il annonce posséder plus de 3,2 milliards de dollars d’avoirs financiers.

Négociations mal menées

Le Royaume-Uni avait fait preuve de la même complaisance pour décrocher les JO en 2012. À l’époque, néanmoins, les villes candidates se bousculaient. Cette fois, Paris était seul dans la course et tenait le CIO. « C’est ce qui est le plus déplorable avec cette organisation parisienne des Jeux », relève sur son blog Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Lille 1, qui dénonce depuis des années les errements financiers des Jeux. « Au lieu d’apporter une solution au problème en mettant le CIO dans l’obligation de faire autrement, cela permet de continuer les gaspillages, comme si de rien n’était. » La seule édition des JO qui n’a pas perdu d’argent est celle de 1984.

Comme Paris, Los Angeles s’était retrouvée seule candidate. Mais contrairement à Paris, Los Angeles en avait profité pour négocier durement. La Ville avait exigé que les instances olympiques se portent garantes des pertes éventuelles. Résultat : 150 millions de dollars de bénéfices ! Le CIO avait touché 15 % seulement des droits télé, en 1984. Pour 2024, tout était déjà bouclé il y a deux ans. Le Comité olympique a vendu les droits au groupe américain Discovery (1,3 milliard d’euros) et il en fera ce qu’il voudra. Bref, Paris pérennise un système calamiteux de mutualisation des pertes et de privatisation des bénéfices. Grecs, australiens, britanniques ou français, les contribuables payent les Jeux et le CIO en empoche les retombées.

Le contrat « ville hôte » qu’Anne Hidalgo se félicite d’avoir signé à Lima le 13 septembre est un traité de capitulation. Le CIO prend sa dîme sur tout, y compris les timbres (1 %) et les éventuelles monnaies commémoratives (3 %). Il impose ses fournisseurs et prestataires (art. 31). Il récupérera « toutes les données d’utilisateurs » collectées pendant les Jeux ! (art. 32) En cas de conflit juridique, le Tribunal arbitral du sport de Lausanne est la seule juridiction admise (art 51). Bien évidemment, les instances olympiques ne seront pas « conjointement responsables des engagements financiers de la ville hôte » (art. 4). En revanche, si jamais les Jeux étaient bénéficiaires, elles garderaient 80 % de l’excédent ! (art. 10)

Entre claquer la porte au nez du CIO et accepter benoîtement ses exigences démesurées, il y avait un moyen terme : se battre âprement sur tous les termes du contrat. On n’a même pas essayé. Il fallait avoir les Jeux, les embouteillages, les chantiers. Fallait-il vraiment, de surcroît, passer pour des jobards ?

Octobre 2017 - #50

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Ploërmel: le Conseil d’Etat a bien fait de se prononcer contre la croix
Article suivant Benedict Wells, orphelin de solitude
Journaliste

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération