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Paris 2024: comment les JO peuvent détruire la ville


Paris 2024: comment les JO peuvent détruire la ville
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Les Parisiens vont souffrir avec les JO, leur ville aussi. La multiplication des installations sportives, définitives ou provisoires, va encore plus dégrader le patrimoine, et on peut craindre le pire pour certains sites classés. 


Après deux échecs en 2008 et 2012, Paris a été désignée ville hôte pour accueillir les Jeux olympiques de 2024. Grâce aux abandons de Rome, Boston, Toronto, Hambourg et Budapest, et au choix de Los Angeles de concourir seulement pour 2028, la capitale a pu « vaincre sans péril ». L’esprit sportif, sans doute. Quant à triompher sans gloire, pas question ! C’est dans un unanimisme douteux, ayant frappé politiques et journalistes – mais pas les citoyens, qu’on a prudemment renoncé à consulter [tooltips content=’Rappelons que Hambourg a renoncé après un référendum et Budapest après une pétition de citoyens.’]1[/tooltips]–, que cette aventure a été lancée et son résultat fêté. Pour tous ceux qui, en fait de sport, sont plutôt Pierre Desproges que Gérard Holz, les temps à venir seront durs et il en coûtera au moins 6,6 milliards d’euros pour un mois et demi de sport spectacle.

Patrimoine et sport business ne font pas bon ménage

Le dossier français comptait il est vrai un atout majeur, survendu par le comité d’organisation : le centre de Paris, avec son paysage monumental, doit servir de cadre à une partie des épreuves. Comme il est difficile de dire qu’on est très à l’étroit dans une ville polluée et saturée par la circulation automobile, on fait fond sur le patrimoine de la capitale et ses vertus « qualitatives », expliquant que Paris est une belle ville ! De fait, l’esplanade des Invalides, le Champ-de-Mars, le bas des Champs-Élysées avec les Grand et Petit Palais, ou encore le parc de Bercy, auquel on a ajouté pour faire bonne mesure celui de Versailles, sont des lieux hautement « qualitatifs ». Et qui formeront, à n’en pas douter, un beau décor pour les joutes sportives retransmises dans le monde entier.

Les JO ont une large part d’inconnue : ainsi leur coût réel, car il en va des chiffres avancés comme du Saint-Esprit, on y croit ou pas, c’est selon ; ou encore le résultat de la compétition, et l’on sourit ici du chauvinisme par anticipation qui annonce déjà des médailles françaises ; ou encore la lancinante question du terrorisme – de quoi 2024 sera fait ? En revanche, l’impact sur la capitale et ses sites emblématiques ne réserve pas de surprise : la mairie de Paris encourageant déjà depuis plusieurs années le mariage du patrimoine et du sport business, on possède un bon observatoire de la réalité, à l’échelle un, hors des enthousiasmes béats et de la propagande officielle.

Le sacrifice des Serres d’Auteuil

Utiliser la ville historique pour des manifestations sportives soulève en effet un certain nombre de difficultés. Composé de monuments historiques, de musées et de sites (places, jardins, avenues), le patrimoine monumental urbain est par nature fragile sur le plan de sa conservation matérielle, tandis que, dans l’ordre sensible, il repose sur un équilibre nécessairement fragile. Il n’est donc pas fait pour un usage qui combine le bruit et la fureur, ici littéralement contre nature. Hérité de l’histoire et de nos prédécesseurs, il n’a pas d’autres avocats que sa puissante beauté et quelques lois, qu’il est hélas aisé de contourner. Si les atteintes y sont de plusieurs ordres, elles se combinent toutes à l’occasion des JO.

 

La chute des JO romains

Le refus de la maire de Rome de soutenir la candidature de sa ville aux JO de 2024 avait provoqué, l’année dernière, une levée de boucliers dans le Parti démocrate italien, et notamment dans le camp de Matteo Renzi, l’ex-président du Conseil italien. Mais le « non » de Virginia Raggi, jeune élue du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, semble aujourd’hui une décision avisée, au vu de l’endettement de 13 milliards d’euros, largement hérité de la précédente municipalité. En septembre 2016, elle déclarait : « Non aux Olympiades du béton (…), non aux cathédrales dans le désert (…), nous n’hypothéquerons pas l’avenir de cette ville. » Dénonçant les Jeux comme un fardeau économique pour sa ville, qui se redresse lentement, elle a attaqué tous ceux qui espéraient s’enrichir grâce aux Jeux. Les priorités de la maire sont plutôt ce qui pourrit le quotidien des Romains : l’état lamentable des rues, la corruption répandue dans les sociétés travaillant avec la mairie et les carences dans la collecte des déchets. Le mois dernier, Virginia Raggi revendiquait à nouveau sa décision avec fierté : « Le sport peut se décliner de maintes façons. Rome peut accueillir beaucoup d’autres évènements sportifs, y compris internationaux. Rome peut réussir sans les JO. » Après cela, elle a énuméré les 254 « petits, grands succès » obtenus sous son mandat, de l’ouverture de nouvelles lignes de bus à un « plan de lutte contre la ludopathie » – cf. #Romanoslot. Des réussites « oubliées par les médias », a-t-elle déploré. Pour Raggi, les citoyens romains passent d’abord. Une sacrée différence avec son homologue parisienne, qui a sacrifié sa ville et ses habitants sur l’autel de ses ambitions.

Par Mauro Zanon

 

La plus grave est évidemment la construction pérenne de nouveaux équipements dans un centre-ville déjà trop dense. On songe ici à l’« Arena 2 », équipement d’une capacité de 8 000 places, qui doit pousser à côté de l’ancien palais omnisport, dans le parc de Bercy. Maquillé par un toit en pelouse sur les images de synthèse, il s’agit néanmoins d’un bâtiment neuf qui vient rogner un espace vert. La première victime des JO est de fait le jardin des Serres d’Auteuil, voisin du stade de Roland-Garros. Protégé au titre des Monuments historiques et partie du site classé du bois de Boulogne, ce jardin patrimonial a pourtant été sacrifié sans vergogne par la Mairie au profit de l’érection d’un stade de 5 000 places construit en son sein. Quant aux protections très fortes dont bénéficiait le lieu, elles ont été de nul effet, le ministère de la Culture a cédé, as usual, tandis que le Premier ministre, alors M. Valls, tordait le bras des derniers récalcitrants au ministère de l’Écologie. L’affaire a tout de même fait grand bruit, suscitant des réactions internationales, une pétition de 90 000 signatures, et même des recours en justice, toujours pendants… Las ! Le stade, dû à l’architecte Marc Mimram, est aujourd’hui en chantier. Le discours de propagande était pourtant bien rodé : il s’agit d’un stade écolo, presque « invisible », habillé de serres neuves dans l’esprit des lieux. Et puis quand ses arguments de pacotille se sont émoussés, a surgi le cri de la victoire du béton sur le jardin : les JO ! Certes, les deux dossiers n’ont aucun rapport, mais l’effet du souffle cocorico-sportif a suffi, avec la bénédiction du Conseil d’État. Le sport est plus puissant que le patrimoine, voilà la première leçon de cette affaire. Dans une ville devenue la plus dense d’Europe et qui manque cruellement d’espaces verts, se servir d’un jardin fleuriste aussi beau que précieux comme variable d’ajustement de la politique d’équipement est une erreur tragique. Pire, dans le cadre du Grand Paris, avoir manqué l’occasion de déménager Roland-Garros, de toute façon trop à l’étroit porte d’Auteuil, au bord de l’A 13, est encore un grave échec politique, décidé par N. Sarkozy et B. Delanoë – pour une fois d’accord. C’est enfin une solution de vaincu, puisque l’échec de la candidature de Paris aux JO de 2008, qui a tant traumatisé la Mairie, a scellé le sort du jardin, que M. Delanoë jurait encore intouchable en 2006. Les projets de bétonnage du parc de Bercy pour 2024 s’inscrivent donc dans la continuité de cette politique : un jardin est « bétonnable » comme certains sont « bancables ». Le quartier de la porte d’Auteuil est d’ailleurs un terrain d’exercice de l’hyper-densification sportive voulue par la Mairie : bétonnage de Jean-Bouin, petit stade Art déco avec ses espaces verts devenu un monstre à 200 millions ; massacre de la piscine Molitor, qui n’est plus que le reflet glacé d’elle-même ; enfin, projets à venir de modification du Parc des Princes, le chef-d’œuvre de l’architecte Roger Taillibert, qu’on redoute de voir transformer par surélévation. Encore la dure loi du sport : il détruit même son propre patrimoine, comme on le voit encore dans le triangle historique de Roland-Garros avec le projet de raser le court n° 1, en parfait état, le préféré du public et des joueurs, qui plus est œuvre d’un tennisman architecte ! Quant à rappeler que tout ce secteur est mal desservi par le métro et ne possède pas de parking à l’échelle de la fréquentation des sites redimensionnés, c’est inutile : tout le monde s’en moque.

Sites provisoires, ravages durables

La seconde atteinte est de l’ordre du provisoire : il s’agit des installations qu’il faudra aménager sur les sites choisis, soit le Champ-de-Mars, l’esplanade des Invalides ou la partie basse de l’avenue des Champs-Élysées. Un provisoire qui durera un peu plus longtemps que prévu : les travaux commenceront en fait presque un an avant, en raison de la période d’essai de ces nouveaux équipements, qui doivent être homologués. À cela, on doit ajouter le démontage et la remise en état des lieux. Ce n’est donc pas quelques semaines en 2024, mais près de deux ans qu’il faut prendre en considération, période durant laquelle les nuisances en termes de travaux seront forcément élevées. Outre les équipements non pérennes à bâtir, qui doivent pour des raisons de sécurité être fondés et stables, le sport business nécessite un déploiement de multiples barrières métalliques, portiques, bornes et panneaux d’information, tentes VIP, postes de sécurité, et autres villages pour la presse, à quoi s’ajoutent des boutiques volantes. Ici, la dégradation visuelle atteindra son maximum. Les conséquences sont également importantes sur la circulation des piétons et des voitures, qui sera contrariée, détournée, voire interdite. Dans un savoureux renversement, « l’autochtone », inutile, devient à son tour la variable d’ajustement. Qu’il râle, ce citoyen-contribuable qui croit que la ville est aussi à lui : le sport est au-dessus de ces contingences. Ici, nulle fiction : c’est ce qu’on a pu observer, deux années de suite, autour de l’hôtel des Invalides, insigne monument du Grand Siècle et hôpital militaire fameux, choisi comme cadre à une course automobile baptisée « Formule-E » : on s’est offert un circuit du XVIIe siècle, dessiné par Louis XIV et Mansart. S’il s’agissait bien de bolides monoplaces entièrement électriques – la planète est sauve –, le désordre fantastique mis dans le quartier pour quelques jours annonce ce que vivront à l’échelle de plusieurs mois les mêmes résidents en 2024. Les sols modifiés (goudronnés, puis dégoudronnés place Vauban), les pelouses défoncées, le musée de l’Armée fermé d’office (avec compensation, le sport est trop bon)… tout cela montre bien que ce provisoire entraîne une somme de désagréments qui mériteraient au moins un débat et des chiffrages non complaisants. Évidemment, l’hypothèse de travail est qu’aucun dégât sur les sols, les arbres ou même les monuments concernés n’aura lieu. Mais comment ne pas être légitimement inquiet ?

Un choix de pauvre qui veut « faire riche »

Le même type d’occupation du Champ-de-Mars lors de la « fan zone » de l’Euro 2016 a mis un stupéfiant chaos, sorte d’apéritif de 2024. Ce site classé qui s’étend majestueusement entre la tour Eiffel et l’École militaire, dans un des plus beaux espaces composés de Paris, est devenu un terrain vague constamment utilisé pour les manifestations les plus diverses. On se souvient non sans ironie des cris d’orfraie de la Mairie quand la Manif pour tous avait piétiné les pelouses du Champ-de-Mars en janvier 2014. Le résultat de la fan zone permet d’entrevoir sans peine ce que sera 2024. En 2016, les dégradations ont pris un tour plus grave, avec l’étalage de publicités géantes, l’autre mamelle du sport business avec le BTP. Or, par une disposition de la loi de 1930, il est rigoureusement interdit de planter de la publicité dans les sites classés. Comment faire alors ? En violant la loi, comme la mairie de Paris qui a été condamnée pour cela en juin dernier. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, faut-il en déduire que, pour les JO de 2024, il n’y aura pas de publicité dans les stades provisoires des sites classés et à leurs abords immédiats ? Sans doute pas. Il faudra en passer par une loi d’exception, qui tiendra les recours à distance. Dégradés matériellement et visuellement, les grands sites parisiens seront donc également souillés de publicités géantes, sur affiche et sur écran. Tout ce qui a justifié leur reconnaissance, leur protection, leur conservation et leur entretien sera donc renversé, au nom du sport.

Si la Mairie faisait montre d’un quelconque intérêt pour le patrimoine, on pourrait soupçonner là une politique même maladroite de mise en valeur : mais il suffit de voir l’état sanitaire des églises de la capitale, et de considérer la pauvreté du discours municipal sur l’héritage historique, réduit à un babillage sur le tourisme, pour sentir toute la tartufferie de cet affichage. Mettre les JO dans le Paris monumental est paradoxalement un choix de pauvre qui veut « faire riche » : on n’a pas assez d’argent pour bâtir, mais suffisamment pour dénaturer le patrimoine et le transformer en faire-valoir. Par une perversion suprême, les JO feront de la plus belle ville du monde le village Potemkine de notre gloriole sportive.

Octobre 2017 - #50

Article extrait du Magazine Causeur




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Maître de conférences à l’université de Paris IV-Sorbonne et à Sciences-Po, spécialiste de l'architecture et de l'urbanisme en France à l'âge moderne (XVIe-XVIIIe) et historien de Paris, Alexandre Gady, 40 ans, défend le patrimoine par tous les moyens existants, notamment dans la revue Commentaire et à titre de vice-président de l’association Momus.

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