Pour masquer la réalité inquiétante d’une présence envahissante de courants islamistes incompatibles avec les valeurs démocratiques, de beaux esprits parlent souvent d’une « obsession » supposée de l’Occident pour l’islam. Charles Rojzman observe que depuis 20 ans, en France, on ne parvient pas à une réforme profonde de l’islam ni à mettre en place une résistance ferme contre un totalitarisme politico-religieux menaçant.
Il est devenu coutumier — comme le sont les lamentations modernes, usées jusqu’à l’ennui — d’entendre que l’Occident souffrirait d’une obsession maladive vis-à-vis de l’islam : accusation si facile, jetée à la face des sociétés européennes déjà accablées par leur propre déclin, comme s’il leur fallait encore porter le fardeau de leur prétendue compulsion à scruter, caricaturer, vouer aux gémonies une religion qui, à les entendre, ne leur aurait rien demandé.
Mais c’est là une fiction — une fiction qui se veut consolatrice, et qui masque mal une réalité autrement plus inquiétante : ce n’est pas l’Occident qui est obsédé par l’islam ; ce sont certaines manifestations contemporaines de l’islam qui, pour nombre de nos concitoyens, s’imposent comme une présence obsédante, diffuse, rampante, suintant dans les failles d’un monde à bout de souffle.
Certains musulmans, feignant l’innocence, protestent, s’étonnent : pourquoi tant de bruit ? pourquoi tant d’hostilité ? Ils se disent stigmatisés, injustement assimilés à des extrémistes qu’ils prétendent ne pas reconnaître. Mais cette indignation, cette posture de victime outragée, sonne creux. Ils savent. Oui, ils savent ce qui travaille en sourdine la trame de nos sociétés fatiguées : ils voient les revendications communautaires s’infiltrer dans les institutions, ils entendent les prêches dans les mosquées, connaissent les réseaux, soupçonnent les intimidations faites aux femmes, ferment les yeux sur les menaces contre les libres penseurs. Tout cela, ils le savent — et pourtant, ils se taisent, ou détournent le regard.
Il est temps de cesser de les prendre pour ces enfants blessés qu’il faudrait, au nom d’une humanité mal placée, ménager à tout prix. Leur responsabilité est là, nue, massive, irréfutable. S’ils souhaitent vivre dans des sociétés libres — ce mot si précieux et pourtant si galvaudé —, ils doivent prendre part à la réforme intérieure de leur religion. Non pour complaire à une quelconque injonction extérieure, mais parce qu’aucune société moderne ne peut survivre à l’intérieur de laquelle subsiste un corpus doctrinal figé, archaïque, autoritaire, frontalement opposé aux principes mêmes de la démocratie.
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L’islam doit se réformer, non pas comme on repeint une façade, mais comme on entame une mue spirituelle, intellectuelle, théologique. Abandonner toute prétention hégémonique, toute confusion entre foi et loi, toute tentation totalitaire. S’il ne le fait pas, il s’exclura de lui-même du monde moderne, et précipitera dans l’impasse ceux-là mêmes qui, sincèrement, s’en réclament.
Depuis deux décennies, nous assistons, impuissants ou complaisants, à l’essor d’un islam revendicatif, parfois conquérant, qui s’emploie à redéfinir les normes culturelles, sociales, parfois même juridiques, de certains espaces publics. À chaque polémique sur le voile, à chaque demande d’aménagement religieux, à chaque manifestation de séparatisme culturel, s’ajoutent les ombres portées des agressions verbales, physiques, des attentats, des meurtres. Tout cela tisse une atmosphère d’effroi larvé, de méfiance endémique, de peur rentrée.
Ce n’est pas un fantasme, ce n’est pas une lubie d’intellectuels aigris : c’est un constat empirique. Les sociétés européennes se trouvent confrontées à un phénomène de réislamisation, souvent militante, le plus souvent incompatible avec ce que l’on nommait jadis, avec une gravité un peu naïve, les principes fondamentaux de la République, de la laïcité, de l’humanisme des Lumières. Cette incompatibilité n’est pas une vue de l’esprit : elle est vécue, chaque jour, dans la chair, par les enseignants, les médecins, les élus locaux, les policiers, les citoyens anonymes, tous ceux qui, en silence, encaissent.
Et pourtant, ceux qui osent parler, qui alertent, sont réduits au silence, disqualifiés, acculés par des élites politiques et médiatiques toujours promptes à voir en eux des « fascistes », des « semeurs de haine ». On oublie — ou feint d’oublier — que parmi ces voix, certaines viennent précisément du monde arabo-musulman, qu’elles connaissent de l’intérieur les dérives de l’islam politique, qu’elles parlent avec le courage de ceux qui vivent sous protection policière, menacés de mort. Mais ces voix-là, trop souvent, sont rejetées, marginalisées, traitées en traîtres.
Alors, de quoi parlons-nous ? D’un malaise diffus ? D’une crispation passagère ? Non : nous parlons d’un totalitarisme rampant, d’autant plus dangereux qu’il se drape dans les habits de la foi, de la justice, de l’identité blessée. Comme tous les totalitarismes, il prospère sur les failles de nos démocraties : sur les inégalités sociales, sur le vide spirituel, sur le communautarisme, sur la lâcheté morale des élites.
Face à cette menace, il ne suffit plus d’invoquer la tolérance ou le « vivre-ensemble », ces mots usés comme des prières profanes. Il faut résister. Nommer l’adversaire pour ce qu’il est : un totalitarisme politico-religieux qui cherche à soumettre la société à ses dogmes. Et ce combat, nous ne pourrons le mener qu’avec des lignes claires, une volonté ferme d’exclure de l’espace commun tout ce qui nie la liberté, l’égalité, la dignité humaine.
Oui, il faut exclure : non par haine, mais par fidélité à l’idée même de démocratie, qui ne survit qu’à condition de poser des frontières et de faire preuve de fermeté morale.
Et surtout — surtout — il nous faut l’humilité de reconnaître que ce totalitarisme s’engraisse de nos faiblesses : de notre passivité, de notre silence, de notre complaisance. Chaque fois que nous acceptons qu’une femme renonce à sa liberté, chaque fois que nous tolérons le recul de la mixité, de la libre pensée, du débat, nous trahissons les valeurs que nous prétendons défendre. Ce n’est pas seulement l’islamisme qu’il faut combattre, c’est notre propre faiblesse face à lui.
L’obsession ? Non. La lucidité, oui : celle qu’il faut cultiver sans relâche, à l’heure où l’histoire bascule dans l’ombre. Car ce que nous devons rejeter, ce n’est pas l’islam en tant que foi privée, c’est cette entreprise politico-religieuse qui entend soumettre nos sociétés. Et nous ne pourrons l’emporter que si nous nous montrons, enfin, à la hauteur des idéaux que nous prétendons incarner — ou si nous acceptons, avec une forme de stoïcisme tragique, de contempler notre propre chute.
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