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Impressions d’Amérique


Impressions d’Amérique

Pardonnez-moi, mais j’aime bien l’Amérique. Il y a encore quatre mois, cet aveu était passible du pire. Mais peut-être n’est-il plus nécessaire de se justifier. Vous l’aurez remarqué, depuis l’élection d’Obama, tout le monde aime l’Amérique ! Même Télérama et Le Monde Diplo, les profs laïcards et les cailleras à keffieh. Everybody loves Barack. Mais tout cela n’est pas très raisonnable et ne devrait pas durer. On attend le moment, proche, où Obama passera chez nous pour un Oreo cookie, noir à l’extérieur et blanc à l’intérieur. Un digne successeur de Bush, version light, un Sarkozy basané qui sème la zone aux quatre coins de la planète. On en reparlera le moment venu.

Comme toute personne normalement constituée, je dois la majorité de mes émois culturels à des artistes américains[1. Note d’EL : Ah ? Proust, Mozart, Dostoïevski, Shakespeare… bons à jeter, cher David ? Je dois être anormalement constituée.]. Des Ramones à Philip Roth en passant, au hasard, par Elvis, Kurt Cobain, John Ford, Larry Clark ou les Marx Brothers, la société américaine a enfanté une cohorte de génies en tous genres. Il m’est donc permis d’émettre quelques réserves sans entrer dans le club très couru chez nous des antiaméricains primaires (« l’antiaméricanisme, le progressisme des cons », comme disait Pascal Bruckner).

Je me suis rendu une bonne cinquantaine de fois aux États-Unis en tant que journaliste. J’y ai habité un moment, et j’ai même trouvé le moyen d’épouser une de leurs ressortissantes. Si je connais un peu ce pays et sa société, ce n’est pas uniquement à travers les livres de Philippe Labro, les films du populiste Michael Moore et les revues de la presse étrangère de Marie Colmant.

Mes deux derniers voyages au pays de l’Oncle Sam, en pleine crise des subprimes, m’ont particulièrement marqué. La déconfiture économique est une chose dans la bouche de Jean-Pierre Gaillard, elle devient une réalité écrasante quand on discute avec l’Américain moyen qui vit dans une ville moyenne où les maisons mises en vente forcée (foreclosure) se comptent par dizaines de milliers. Ils font froid dans le dos, ces panneaux bank owned ou for sale by owner, plantés devant la porte des pavillons. A Fort Myers, Floride, on voit des camions de déménagement à tous les coins de rue. Sur les pelouses, on voit des frigos, des vélos, ou les tuyauteries que les familles vendent avant de partir refaire leur vie ailleurs. Des quartiers entiers ressemblent à des villes fantômes. Il y a encore quelques mois, ces mêmes familles organisaient des barbecues avec leurs voisins. Les types en pantalon chino partaient au boulot en 4X4 le matin et les femmes rejouaient Desperate Housewives en veillant sur leurs têtes blondes. L’American way of life, dans toute sa banalité, semblait devoir durer pour toujours. Game over.

Aujourd’hui, c’est le même spectacle d’exode un peu partout aux États-Unis. Pour autant, et c’est peut-être le plus surprenant, pas de panique apparente, pas d’émeutes (imaginez la même chose en France…). On serre les dents. On parle d’une passe difficile, mais jamais de la fin d’une époque dorée. Il ne semble venir à l’idée de personne que l’American way of life, le modèle économique du pays basé sur la consommation de masse, doit être sérieusement remis en cause. « In this economy, difficile de s’offrir ceci ou cela », disent les gens en grimaçant. « In this economy, this… In this economy, that… » Comme si l’économie, cet animal imprévisible et coquin, n’allait plus tarder à reprendre ses esprits. Comme si la sortie de route des classes moyennes n’était qu’un accident – terrible, certes –, et que le plan de relance d’Obama allait bientôt permettre de refermer cette sinistre parenthèse.

« L’american way of life n’est pas négociable », avait dit George Bush père en 1992 au moment de la première guerre du Golfe. La doctrine n’a pas changé depuis l’élection d’Obama. Le nouveau locataire de la Maison Blanche ne se risquera jamais sur ce terrain aussi tabou qu’impopulaire. Par une sorte d’aveuglement idéologique, la sortie de la crise du crédit n’est jamais associée à la nécessité d’un aggiornamento. Obama parle tout juste d’un improbable virage vert (quand l’empreinte carbone d’un Américain équivaut à celle de quatre Allemands…). Bref, pas question de briser le rêve, même si le cadre se fissure de tous côtés. Qu’on ne s’y trompe pas, l’Américain moyen ne ressemble pas du tout au branché de la côte Ouest qui conduit une voiture hybride, recycle ses déchets, a renoncé à la clim et aux sacs en plastique… Le péquin de base, qui forme l’immense majorité de la population sans la collaboration de laquelle rien ne pourra changer, consomme toujours comme une brute, n’a pas renoncé à son 4X4, et jongle avec les cartes de crédit pour continuer comme si de rien n’était. Obama parviendra-t-il à convaincre le péquin de base de changer de comportement ? En a-t-il seulement la volonté ?

En cette période noire, la surexploitation des ressources naturelles et le gaspillage énergétique dément qui caractérisent l’Amérique, sautent aux yeux avec plus de force que d’habitude. La semaine dernière à Miami, en me baladant dans un luxueux shopping mall sur-climatisé, alors que le givre se formait presque sur mes lunettes, l’Amérique m’a fait penser au Titanic fonçant droit sur l’iceberg. L’équipage a enfilé les gilets de sauvetage et mis les chaloupes à la mer. Pendant ce temps, les passagers continuent à danser en sirotant un Manhattan.

Dans la peau de Nicolas

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Romancier, journaliste, conseiller politique, createur de l'Université du Futur

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