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Merci Roselyne !


Merci Roselyne !

On finira par trouver ça suspect. Mais il me faut une nouvelle fois voler au secours de Roselyne Bachelot, avant qu’elle ne succombe sous le poids de la critique et qu’il ne subsiste plus d’elle, dépassant des décombres de sa charge ministérielle, qu’un oripeau rosâtre.

Interdire le gras, le sucre, le redbull, l’alcool, les open bars ou le téléchargement gratuit de pinard sur Internet : ce sont là d’excellentes mesures. Eloigner les adolescents de la bouteille relève de la salubrité publique : êtres mi-hommes, mi-enfants, pas tout à fait finis, ils s’occuperont désormais à percer leur bubons d’acné plutôt que de se pochtronner tout habillés de noir.

Il se trouve pourtant quelques esprits chagrins pour regretter les décisions courageuses de la ministre française de la Santé. Savent-ils seulement ce qu’est un adolescent ? En ont-ils jamais vu un de près ? C’est l’animal le plus inutile de toute la Création. Le plus nuisible aussi. Ça geint et gémit, se plaint d’un rien, alterne borborygmes incompréhensifs et cris hystériques. Comme ses cheveux sentent le pubis, l’hygiène publique réclame qu’on le parque loin des odorats normaux, dans ces lycées où il essaie de se reproduire, mais n’y arrive pas, à cause de la muselière inoxydable que lui a posée l’orthodontiste. Donnez un peu d’alcool à cet être vil et repoussant, et vous aurez devant vous le pire : un animal stupide, mais désinhibé.

C’est que la Nature a bien fait les choses : se rendant compte qu’elle s’était trompée en créant l’adolescent, elle l’a chargé d’inhibitions, de névroses et d’une prodigieuse dextérité à rédiger des sms – ce qui a la vertu de le rendre relativement silencieux et amorphe la plupart du temps. Servez-lui un verre et il se met à brailler son malheur à la face du monde comme une génisse qu’on égorge. On ne saluera donc jamais assez le beau geste de Roselyne Bachelot, par lequel elle permet aux adolescents de ne pas sombrer dans les ravages de l’alcoolisme, mais de se soumettre dès leur plus jeune âge aux neuroleptiques et antidépresseurs[1. Et encore, ça ne marche plus à chaque coup : depuis qu’ils surfent sur Internet, ils matent des films X qui leur échauffent les sangs. Là encore, il faudrait sévir.].

Quant à l’interdiction des open bars, il faut être vraiment inconscient pour critiquer cette sage disposition. Je le dis d’autant plus volontiers que je fréquente depuis longtemps les open bars. Dès qu’un ami ou une connaissance sait qu’en France ou en Allemagne un bistrot s’apprête à tenir une telle soirée, il me prévient. J’arrive. Je me mets assise au comptoir et je commande ma première caïpirinha.

Généralement, au bout du douzième verre, le garçon prend un air navré pour me dire qu’il n’a plus de citron vert, plus de cachaça ou plus la force nécessaire pour piler de la glace. A ce moment-là, j’essaie de croiser comme je peux son regard pour le fixer dans les yeux et je lui lance un terrible et retentissant : « Mojito ! » S’il se montre récalcitrant, je me termine au champ, à la vodka, à la bière ou à l’essence de térébenthine. Enfin à ce qu’il reste dans la taule, s’il reste quelque chose.

C’est du moins ce que je faisais jusqu’à ce que, informée d’un open bar dans le coin, je me rende récemment à Berlin. A l’Orya, petit troquet de l’Oranienstrasse[1. Orya, Oranienstr., 22, Berlin-Kreutzberg.], j’assistai au plus touchant des spectacles. Je venais d’entrer, je m’étais installée au comptoir et j’avais à peine allumé ma première cigarette qu’un sournois murmure parvint à mes oreilles : « Elle est là. »

Le patron du bistrot, un Turc du Kreuzberg, pleurait en me regardant. Sa femme lui présenta ses trois enfants dont il baisa le front comme s’il les quittait à jamais, puis elle le serra dans ses bras, effondrée en larmes. Au bout d’un long moment, l’homme se détacha d’elle, passa derrière le bar et se planta devant moi : « Caïpirinha ? »

Il n’eut pas le temps de déposer le bilan après sa soirée open bar. On le retrouva pendu le lendemain matin. C’est dommage, c’était un as de la Caïpirinha.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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