The Politics of Fear, caricature de Barry Flitt, The New Yorker, 21 juillet 2008.
Non seulement on peut plus rigoler de rien, mais en plus, il faut s’indigner avec tout le monde. Sachez-le : l’usage du second degré est interdit à l’échelle planétaire. La polémique suscitée par la caricature du New Yorker représentant Obama en militant islamiste et sa femme Michelle, kalachnikov en bandoulière, en terroriste, avec entre les deux un portrait de Ben Laden et un drapeau américain qui brûle, doit servir d’avertissement à tous.
Faites simple. Faites direct. Parlez sans détours. Justement, les détours étaient ce qui faisait tout l’intérêt du langage. Sous le règne du premier degré et de l’esprit de sérieux, le langage est, il est vrai, de plus en plus inutile, puisqu’il ne prétend plus que coller au réel. Défense de déconner, d’allusionner, d’impliciter, de détourner. Bref, défense de rire. Comme aime à me le dire l’ami Basile : « il y a des gens qui sont morts… »
Vous, je sais pas, mais moi quand j’ai vu l’image, j’ai compris tout de suite que le journal dénonçait ce qu’il montrait : la caricature du couple Obama agitée dans des milieux d’extrême droite. Non que j’aurais un cervelet plus véloce que la moyenne. Grâce à un vieux truc qu’on appelle le contexte. Un cerveau humain raisonnablement agile peut sans doute enregistrer, en même temps que la signification immédiate d’un dessin, le fait que ce dessin n’est pas publié dans un journal d’extrême droite ni même bushiste mais dans un hebdomadaire qu’affectionne l’intelligentsia, et en déduire instantanément que le dessin n’est pas à prendre au premier degré.
Eh bien, il faut croire que non. Plus maintenant. « Je me demande quelles auraient été les réactions si [des magazines conservateurs comme] Weekly Standard ou la National Review avaient publié cette caricature », s’interroge Jake Tapper, éditorialiste politique de la chaîne de télévision ABC, cité par Libération. Ce qui est franchement inquiétant, c’est qu’il soit nécessaire d’expliquer en quoi le sens d’une telle publication eût été différent.
Immédiatement, le chœur des vierges s’est déchaîné contre cette « caricature offensante » dénoncée non seulement par l’entourage du candidat mais par son rival républicain lui-même. Et personne n’a brandi la liberté de la presse, pas même Libé qui consacre un article mitigé à la « caricature qui fait scandale ».
L’intérêt de cette affaire est que les protestations les plus bruyantes ne viennent pas de réactionnaires défraîchis ni d’évangélistes illuminés, mais du camp du Bien – souvent appelé « gauche » dans nos contrées. Outre le bannissement du second degré, les forces vives du progressisme ont décrété que Barack Obama, leur nouvelle idole, faisait partie des sujets avec lesquels on ne rigole pas. De même que les violences faites aux femmes, la pédophilie, le nazisme, le sida, le développement durable, le racisme, la guerre. L’humour, on sait où ça peut mener. Rire, n’est-ce pas déjà justifier ? C’est bien ça : on commence par se marrer et on finit chez Le Pen.
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