Accueil Culture Hommage à René Ehni (1935-2022)

Hommage à René Ehni (1935-2022)


Hommage à René Ehni (1935-2022)
L'écrivain français René Ehni phographié en 2008 © ULF ANDERSEN / Aurimages via AFP

Héritier de Nimier, Morand ou Scott Fitzgerald, devenu lecteur de Simone Weil et de Léon Bloy…


Personne ne connaît René-Nicolas Ehni. Quelques-uns peuvent se targuer d’avoir croisé René Ehni dans les années 70. C’était alors un personnage assez sulfureux, beau gosse, provocateur, intelligent, supposé paresseux jusqu’à la parution, en 1964, chez René Julliard, de La Gloire du vaurien, manière de bref chef-d’œuvre que Jacques de Ricaumont saluait ainsi dans Les Nouvelles littéraires : « Le premier roman du jeune écrivain alsacien René Ehni se rattache ostensiblement à la ligne qui va de Paul Morand à Roger Nimier, en passant par Scott Fitzgerald. Son héros, Manni, qui a gardé à vingt-cinq ans le charme de l’adolescence, est un frivole par discipline et un cosmopolite par ennui. » 

C’est exactement écrit, à cette réserve près que la littérature que « pratique » Ehni est d’abord orale et décourage toute forme de rapprochement. L’écrivain a un style qui l’isole autant qu’il l’exalte. Ce qui situe La Gloire du vaurien sans doute du côté de Nimier et de Fitzgerald – mais alors d’un Nimier et d’un Fitzgerald qui auraient connu et apprécié les expressionnistes allemands, Lotte Lenya, Zarah Leander et les Comedian Harmonists : ce qui complique notre affaire.

L’excellente idée de Christian Bourgois est d’avoir, il y a vingt ans, réédité La Gloire du vaurien (1964), Babylone vous y étiez, nue parmi les bananiers (1971) et Pintades (1974), en même temps qu’une nouveauté, Quand nous dansions sur la table – qui inaugurait la « nouvelle » manière, plus « orthodoxe », de René Nicolas Ehni, 65 ans en 2000, installé en Crète, converti à l’orthodoxie – d’où le Nicolas popal du prénom. 

Soit une sotie, un grand roman et un pamphlet baroque, lyrique et prophétique – que l’on recommandera volontiers aux lecteurs du Monde diplomatique en leur notifiant expressément que ce livre a TRENTE ans (en 2000) et que, depuis, Ehni a fait beaucoup, beaucoup de chemin… De fait, après Babylone vous y étiez, nue parmi les bananiers (1974), on aurait pu dire de Ehni qu’il était notre Truman Capote – en plus cérébral, en plus métaphysique, en moins évidemment poète. 

Lui aussi, à l’instar de l’auteur de Prières exaucées, aurait pu écrire : « Ces gens s’imaginaient-ils donc que je me contentais de les distraire ? ». Et d’aligner – plutôt que les Kennedy, Cocteau, Monty Clift, Tennessee Williams – les Guy Dumur et autres critiques du Nouveausnob (sic), ou les « disaineurs » à la mode (comme Nimier aurait aimé ce « disaineur », lui qui détestait tant les « coquetèles » (sic)…).

Mais il ne s’agit pas seulement là de la chronique mondaine des années soixante-dix. Ehni, passionné par son époque, lit alors journaux et revues à la pelle (en 2000 encore, quatre heures par jour), surligne, découpe – et commente. Il n’évite certes pas toujours les amalgames et les facilités, mais emporte souvent le morceau : l’Alsace, ses origines paysannes et ouvrières, son attachement à une certaine tradition, la guerre d’Algérie qu’il n’évoque qu’avec rage et indignation, gonflé par la fureur, l’appropriation de la culture par la bourgeoisie furent, un temps, ses obsessions.

Enfin il y eut Quand nous dansions sur la table, un livre à la lisière du politique, de l’autobiographie, du Sade troisième millénaire (sic), des mélanges du sexe et de Dieu, de la mystique enfin. C’est le plus proche de l’écrivain de l’an 2000 – celui-là même qui évoque ses lectures de Simone Weil, de Nietzsche et de Chateaubriand, la préface de Pierre Boutang au Banquet de Platon, ou encore Nathan Katz, Bernanos et Léon Bloy. 

René Nicolas Ehni, on l’a compris – même s’il est impossible ici de faire le tour du propriétaire – est irrécupérable, pétri de contradictions et plein d’humour : le lire est un exercice de salubrité intime.

À lire :

Quand nous dansions sur la table, suivi de Lettre à Dominique, 160p.

Quand nous dansions sur la table, suivi de Lettre à Dominique

Price: 13,72 €

14 used & new available from 5,92 €

La Gloire du vaurien, 140p.

La gloire du vaurien

Price: 12,20 €

18 used & new available from 11,57 €

Babylone vous y étiez, nue parmi les bananiers, 502p.

Babylone vous y étiez nue parmi les bananiers

Price: 21,34 €

15 used & new available from 16,99 €

Pintades, 128p. 

Pintades

Price: 12,20 €

17 used & new available from 5,83 €



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent <strong>Et le Grand Prix de la Carpette anglaise a été décerné à…</strong>
Article suivant Olivier Maulin, l’enchanteur picaresque
Né à Paris en mai 1968. A collaboré ou collabore à La NRF, Esprit, Commentaire, La Quinzaine littéraire, Le Figaro littéraire, Service littéraire, etc.. A publié récemment "Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés" (Editions de Paris, 2018) et "Bien sûr que si !" (Editions de Paris, 2020)"

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération