Accueil Édition Abonné Au petit jeu de «l’héritage politique», rares sont les gagnants…

Au petit jeu de «l’héritage politique», rares sont les gagnants…


Au petit jeu de «l’héritage politique», rares sont les gagnants…
Le Premier ministre Elisabeth Borne, Paris, 30 mai 2023 © Jacques Witt/SIPA

Reparle-t-on des relations de François Mitterrand avec le régime de Vichy à chaque fois qu’on interroge un socialiste? Ou de l’admiration de certains « Insoumis » pour la Terreur révolutionnaire ou les dictatures communistes lorsqu’on tend le micro à Jean-Luc Mélenchon?


Élisabeth Borne a dit une énorme bêtise à propos du « RN, héritier de Pétain », et le président de la République l’a recadrée pendant et après le Conseil des ministres. Sans doute la Première ministre appréciera-t-elle de savoir qu’elle compte, dans les milieux médiatiques de gauche, des soutiens de poids. Le 31 mai, sur France Inter, Yaël Goosz a critiqué Emmanuel Macron auquel il reproche d’emprunter au vocabulaire maurassien – « jusqu’aux ambiguïtés de la “décivilisation” » – et d’avoir prétendu que le combat contre l’extrême droite ne passe plus par des « arguments moraux ». Pour Yaël Goosz, non seulement le RN est l’héritier de Pétain et n’a pas rompu avec ce qu’il appelle la « Gud connection », mais encore il serait l’héritier de l’extrême droite de l’entre deux guerres – parti comme il l’était, s’il avait eu le temps, sans doute aurait-il évoqué la sinistre Cagoule. De son côté, Thomas Legrand a rabâché grosso modo la même chose dans son éditorial pour Libération. Il veut, écrit-il, « alerter » les électeurs de Marine Le Pen sur la « réalité de l’héritage politique de l’extrême droite » et reproche à Emmanuel Macron un « vide idéologique l’empêchant de faire la différence fondamentale entre Marine Le Pen et Éric Zemmour d’un côté, et tout le reste de la société politique ». Sacré Thomas Legrand, toujours aussi subtil.

Réalités contemporaines de l’extrême gauche

L’idéologie rend aveugle. Borne, Goosz et Legrand dissertent sur l’éventuel « héritage politique » du RN mais occultent celui du PCF, de LFI, voire du PS. Il ne viendrait bien entendu à l’idée de personne de dire que Fabien Roussel est un nostalgique du léninisme révolutionnaire inventeur du goulag ou du totalitarisme stalinien. Il n’empêche, nul n’ignore plus que l’histoire du communisme est emplie de désastres, d’arrestations arbitraires, de déportations, d’occupations de pays, d’écrasements des populations voulant se défaire de son joug, et que le PCF est longtemps resté dans les jupes du stalinisme – il faudra attendre 1976 et l’abandon du concept de « dictature du prolétariat » lors du 22ème congrès du PCF pour commencer d’entrevoir un désir d’autonomie de ce dernier vis-à-vis de la maison-mère soviétique. Dans son Livre noir du communisme, Stéphane Courtois affirme que le communisme est responsable de près de cent millions de morts. A-t-on jamais entendu un journaliste français parler de ce lourd « héritage » à l’actuel secrétaire général du PCF, Fabien Roussel ? Peut-on reprocher à ce dernier un « héritage stalinien » ou, par exemple, le pacte germano-soviétique qui lia, pendant les premiers mois de la guerre, les poings et les pieds de la direction PCF ? – ce qui n’empêcha pas une vingtaine de parlementaires de déchirer leur carte du parti et les communistes les plus patriotes de se ranger dès le début du conflit au côté du général de Gaulle, imitant en cela ceux qui les avaient précédés dans la résistance, le maurassien Daniel Cordier en tête.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Cinq ans du RN: le cadeau d’Emmanuel Macron au parti de Marine Le Pen

A-t-on jamais entendu un journaliste français parler de ce lourd « héritage » à Jean-Luc Mélenchon et aux plus éminents représentants de LFI ? Les racines trotskistes de ce parti opaque ont-elles jamais été rappelées à ses dirigeants ? LFI c’est, avant toute autre chose, une admiration sans bornes pour la Terreur révolutionnaire et pour les régimes cubains et vénézuéliens, un islamo-gauchisme électoraliste, un antisionisme exacerbé et flirtant parfois avec l’antisémitisme, des simulacres d’écrasement ou d’exposition en haut d’une pique des têtes des adversaires politiques, des accointances avec la “Jeune Garde”, association « antifasciste » n’hésitant pas à agresser les étudiants de l’UNI et à provoquer la police lors des manifestations, à quoi l’on peut ajouter, pour faire bon poids, une rhétorique outrancière, une contestation systématique de la légitimité du vote, ainsi que le fonctionnement autocratique, anti-démocratique, vertical et brutal du parti et de son Lider Maximo. Nous parlons ici d’une réalité contemporaine, concrète, celle d’un parti ayant « hérité » de quelques principes idéologiques parmi les plus autoritaires et les moins démocratiques et continuant d’en perpétuer, à sa mesure, la tradition. Cette réalité-là échappe étrangement à MM. Goosz et Legrand, journalistes engoncés dans un discours « contre l’extrême droite » servant de paravent aux catastrophes de la gauche historique et au naufrage de la gauche contemporaine.

Mme Borne se sent-elle l’héritière des égarements de François Mitterrand ?

Les déclarations de Mme Borne sur le RN sont idiotes, anachroniques et mensongères ; elles dissimulent mal le désarroi d’une classe politique qui sent le vent tourner et s’accroche désespérément à la branche de plus en plus mince du « barrage républicain contre l’extrême droite ». Au petit jeu de « l’héritage » politique, rares sont ceux qui sortent gagnants – quand on cherche, on trouve. Mme Borne, par exemple, a longtemps été proche du PS. Que pense-t-elle de la Francisque remise à François Mitterrand par le Maréchal Pétain sous le parrainage de deux Cagoulards (Gabriel Jeantet et Simon Arbellot) ? Mitterrand demanda-t-il cette distinction par conviction et attachement au Maréchal ou pour « couvrir » une activité de renseignements au sein de l’organisation vichyste ? Si la seconde option est la bonne, pour quelles raisons son passage à Vichy fut-il si longtemps occulté ? Et que dire des liens que François Mitterand continua d’entretenir après la guerre avec d’anciens Cagoulards ou avec Jean-Paul Martin, haut fonctionnaire de Vichy, directeur de cabinet de René Bousquet qui participa activement à la déportation des juifs étrangers et que Mitterrand nomme directeur adjoint de cabinet au moment où lui-même est ministre de l’intérieur en 1954 ? Que dire du recrutement par Mitterrand de Jacques Saunier, collaborateur sous les ordres de Bousquet, responsable de l’arrestation de 1500 résistants juifs et communistes, au poste de sous-préfet ? Que dire des liens du futur président de la République avec Pierre Saury, nommé par Bousquet intendant de police à Lyon en 1943, révoqué de la fonction publique à la Libération mais « récupéré » par François Mitterrand qui en fera même son suppléant dans la Nièvre en 1967 ? Que dire, enfin, des relations amicales entretenues avec René Bousquet quasiment jusqu’à la fin de la vie de celui-ci ? Mme Borne se sent-elle l’héritière des égarements de François Mitterrand et de son amitié indéfectible avec d’anciens cagoulards, d’anciens collaborationnistes, d’anciens pétainistes ? Nous imaginons que non et nous garderons bien de lui en faire le reproche.

Ce serait stupide et il n’y a pas besoin d’aller chercher dans des « ismes » anciens les explications et les motifs d’insatisfaction concernant son bilan calamiteux, la désastreuse politique énergétique française et l’abandon de Fessenheim, la soumission à l’UE sous la férule des Allemands, les tergiversations face à l’immigration et une réforme des retraites qui ne convainc que les élites politiques européennes et qui a fait perdre de vue les véritables menaces économiques et civilisationnelles qui pèsent sur notre pays.

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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