Accueil Édition Abonné Alexandre Jardin : Gueux malgré eux

Alexandre Jardin : Gueux malgré eux

Grand entretien avec Alexandre Jardin


Alexandre Jardin : Gueux malgré eux
Alexandre Jardin © Hannah Assouline

Avec Les #Gueux, Alexandre Jardin a lancé la fronde contre les ZFE. Selon lui, ces zones à faibles émissions visent à purifier l’air des riches en chassant les pauvres des centres-villes. Cette ségrégation au nom de l’écologie trahit le cynisme d’une partie de nos élites


Causeur. Le mouvement des « gueux » rappelle évidemment les gilets jaunes. Où s’arrête la comparaison ?

Alexandre Jardin. J’ai connu de près les gilets jaunes puisque j’ai aidé plusieurs groupes à s’organiser via mes réseaux d’associations, puis à se faire entendre dans les médias. Mais aujourd’hui on est face à un mouvement dix fois plus important. Derrière les quelque 12 millions de véhicules concernés par les ZFE il y a 22 à 26 millions de Français. Le mot « gueux » va bientôt synthétiser la grande crise de la déconnexion, qui révèle et trahit un phénoménal mépris.

Songez que dans l’étude d’impact de la loi de 2021 « contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets » de 2021, les habitants des ZFE n’ont même pas été recensés. Ils sont tellement invisibles que les technocrates qui préparent nos lois n’ont pas pensé à les compter !

Qu’est-ce que cela dit de l’appareil d’État ?

Les hommes politiques avec lesquels je discute au fil de mes engagements associatifs partagent des croyances toutes faites, figées, qui ne relèvent plus de la réflexion. Si vous voulez faire carrière dans un parti ou dans la haute fonction publique nationale, régionale ou européenne, vous devez adhérer sans discuter aux croyances du biotope. Quitte à sortir de la trajectoire républicaine.

En quoi sort-on de la trajectoire républicaine ?

Quand un citoyen est coupable de rouler dans son pays avec sa vieille voiture parce qu’il n’a pas les moyens de s’en payer une nouvelle, quand la pauvreté est un délit, cela s’appelle de la ségrégation – sociale, territoriale et spatiale. Les métropoles décident de virer les gueux. Le mécanisme de partition et de sécession arrive à son point ultime. Si vous ne pouvez pas changer de voiture, vous restez chez vous. Ce mépris social est confondant.

On sait pourtant à quel point les Français ont la religion de l’égalité, de façon souvent excessive d’ailleurs.

Eh bien, cette rupture d’égalité ne dérange absolument personne. Dans l’esprit du législateur, il n’y a pas rupture d’égalité puisque ces gens n’existent pas. Ils oublient qu’en triant les voitures, on trie les êtres humains. Le technocrate qui connaît la raison et l’écolo qui agit au nom du bien couchent ensemble et font un bébé qui s’appelle ZFE. Puisque leurs intentions sont pures, personne ne moufte. L’écologie politique se présente comme une morale et toutes les saloperies dans l’Histoire se sont appuyées sur une manipulation de la morale. Beaucoup pensent que c’est le sens de l’Histoire, qu’on doit y passer qu’on le veuille ou pas. Un comble ! Une folie ! Et si on proteste, on est un affreux populiste ! Je me demande jusqu’à quand les gueux vont supporter ce niveau de maltraitance.

Vous croyez changer les choses en protestant ?

On ne va pas faire la révolution tous les six mois. Je propose de compléter la démocratie représentative, qui a du mal à représenter, par une démocratie directe grâce à des référendums d’initiative citoyenne directement inspirés des votations suisses. En Suisse, il y a des rendez-vous annuels, du coup, pour ne pas être désavoué, l’exécutif est à l’écoute. Et s’il passe à côté d’un sujet, la votation le remet sur le bon chemin. Cela donne une démocratie vivante. C’est ce que je veux. Une sortie par le haut. Et je suis très optimiste car maintenant, en plus des maires, je vois arriver des présidents de région et beaucoup de sénateurs – dont une majorité nous soutient. L’alliance entre les gueux et les maires doit mener une révolte républicaine, pour obliger l’État central à accepter une dose de démocratie directe. Tous mes interlocuteurs me suivent parce qu’ils ont compris que l’État central est tellement « bunkerisé », que les résistances au sein du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel sont si fortes, que sans le recours au suffrage direct, ils finiront par perdre leur pouvoir.

À lire aussi, Didier Desrimais : France terre d’islamophobie

D’accord, mais quid de la défense de l’environnement, de la qualité de l’air ?

Si on évacue ces 12 millions de véhicules, où vont-ils finir ? En Europe centrale, en Afrique du Nord ou en Afrique noire. Chez d’autres gueux, plus pauvres que nos gueux. C’est d’un cynisme épouvantable. Il s’agit bien de purifier l’air des riches en chassant les pauvres. La gauche devrait s’indigner, mais cela correspond à la demande de son électorat de centre-ville. Certains partis, comme LFI, sont divisés, mais le grand chef tient à son alliance avec les Verts. Donc ils demandent davantage d’aménagements, mais ne se prononcent pas clairement pour l’abrogation.

Votre première manifestation, le 6 avril, n’a pas été un grand succès.

Les télévisions ont préféré traiter les trois rassemblements politiques organisés le même jour par Marine Le Pen, de Gabriel Attal et de LFI. Reste qu’il s’est passé quelque chose. De nouvelles manifestations des gueux auront lieu le 17 mai. Je crois à la convergence des luttes. Les paysans savent que c’est un rendez-vous important. Que vont-ils faire ? Cela ne dépend pas de moi. Les artisans routiers discutent actuellement avec les infirmières libérales, des foyers de résistance se créent partout. Mon objectif, c’est de donner un cadre républicain à ces luttes. Mais nous avons déjà fait bouger les lignes. Le gouvernement comptait installer les caméras du dispositif ZFE le 1er janvier dans l’indifférence générale. C’est devenu un sujet de société.

Si la loi n’est pas abrogée, ce qui est probable, le gouvernement est prêt à faire des concessions et, peut-être, à refiler le mistigri aux maires. Sauf à Lyon et Paris où c’est à eux qu’incomberait l’application de la loi.

C’est ce qui se dit à Matignon. En pleine crise sociale, en pleine crise internationale, au moment où nous aurions besoin d’unité du pays, c’est irresponsable. Mais le gouvernement sait très bien que la fin des ZFE entraînerait, de facto, la fin du pacte vert européen, qui attise la convoitise de multiples lobbys. Derrière chaque norme européenne transposée en France, il y a un lobby. On est loin des écolos avec des pulls qui grattent ! Ce sont de vrais durs soutenus par de gros business. Tout ce petit monde ne s’attendait pas à une résistance populaire. Et maintenant, j’ai les maires avec moi et ça change tout. On pouvait effrayer les gilets jaunes, c’est plus compliqué d’effrayer les maires.

Alexandre Jardin, Les Gueux, Michel Lafon, 2025, 48 pages

Les #Gueux

Price: 4,90 €

8 used & new available from 3,05 €

Mai 2025 - #134

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Les Bourbons dans leurs ultimes fastes: le sacre de Charles X
Article suivant Ces irresponsables qui ont permis l’islamisation de la France
écrivain et critique littéraire

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération