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Fin de partie pour le Tea Party ?


Photo : nmfbihop (Flickr)

Un juif d’origine anglaise saura-t-il sauver le Tea Party, la frange la plus conservatrice de la société américaine ? Récemment naturalisé américain, Simon Conway anime pour des auditeurs de droite une émission de radio désormais bien connue, le Who-AM radio show. Mais il aura fort à faire car, rattrapé par la réalité des rapports de force et des compromis politiques, le Tea Party est redescendu de son nuage ces derniers mois. La virginité « hors système » des activistes du mouvement cède la place à la volonté de s’organiser, d’établir une stratégie, bref s’institutionnaliser et transformer la guérilla politique en armée régulière. Car pour battre le système il faut devenir un parti de système, exercice compliquée pour un mouvement antisystème…

Depuis 2009, la puissante vague conservatrice comptait pourtant ses succès, avec un groupe parlementaire fort de plusieurs dizaines de membres, une attention médiatique soutenue, et surtout 20% d’opinions favorables dans les sondages. Sonné par la victoire quasi religieuse d’Obama, le Parti Républicain n’est sorti de sa torpeur que sous l’impulsion des provocations du Tea Party, mouvement hors cadre, issu de la base et totalement décentralisé. Pour ces francs-tireurs l’horreur, c’est l’« Etat », c’est-à-dire « Washington » et ses impôts et ses régulations. Antisystème, anti-élites, ses adeptes ne jure que sur le respect des libertés individuelles.

Cette irruption inespérée d’énergie politique a regonflé les voiles républicaines les permettant lors des dernières élections de remporter la donne au Congrès et grignoter la majorité démocrate au Senat. Au sommet de leur influence, il y a quelques mois encore, les deux figures soutenus par cette mouvance partaient favoris à droite dans la course aux présidentielles : Ron Paul et Michele Bachmann.

Aujourd’hui la bataille des investitures républicaines s’est muée en duel entre Newt Gingrich et Mitt Romney, deux candidats beaucoup plus modérés et surtout pas redevable au Tea Party. Selon un sondage du Gallup Daily Tracking Poll publié mardi, le premier est crédité de 25% des intentions de votes parmi les inscrits républicains et le second de 24%. Il faut descendre bien plus bas sur cette échelle pour trouver les candidats « AOC » Tea Party : Ron Paul avec 11% des intentions exprimées et Michele Bachmann bénéficiant de seulement 6% des intentions de votes aux primaires. Les partisans du Tea Party pourront toutefois se consoler avec le New Hampshire, où la compétition place Paul, Romney, et Gingrich au coude à coude.

Si l’élan du Tea Party s’essouffle c’est essentiellement parce qu’il n’a pas su gérer sa crise de croissance au sein des institutions. Dernier exemple en date : quand une loi sur la prolongation des allègements fiscaux pour les salariés a récemment été présentée au Congrès les partisans du Tea Party se sont déchirés. Fallait-il s’opposer, conformément à leurs convictions ou bien transiger pour ne pas se mettre à dos une opinion publique très favorable à cette mesure ? Situation inédite pour le mouvement ultraconservateur, beaucoup plus à l’aise lorsqu’il s’agit de s’opposer au nouveau système de santé proposé par la Maison blanche, mais bien embarrassé face à l’exercice du pouvoir, ici au Congrès. Quand finalement ils ont décidé de faire marche arrière et soutenir la loi – c’est-à-dire de faire la politique – la frange la plus intransigeante du mouvement a jugé qu’en scellant ce compromis avec les Démocrates, certains congressmen avaient trahi la pureté de leurs principes.
Dans un régime où la vie politique progresse par compromis parlementaires, le Tea Party, dont la pureté idéologique et le refus de transiger est la marque de fabrique, découvre les limites de l’exercice.

Autre difficulté : bien définir le périmètre idéologique du mouvement et créer une sorte d’AOC « Tea Party ». «Le plus grand défi du Tea Party : protéger sa marque », écrit ainsi Carolyn McKinney, un militant de New Hampshire. Partant du constat que la mouvance n’a jamais été dirigée par personne, elle estime qu’il peut donc être volé par tous. La décentralisation, force de cette vague conservatrice, fait aussi sa faiblesse. « Certains candidats affichent maintenant leurs liens avec le mouvement, dénoncent-elle, mais leur bilan montre un clair décalage avec le Tea Party ». Pour résoudre le problème Carolyn McKinney souhaite ainsi que son mouvement établisse des priorités et un agenda, autrement dit, qu’elle s’institutionnalise.

Mais le temps presse. Les candidats républicains modérés ont déjà marqué des points face à leurs rivaux labélisés Tea Party. Sur la soixantaine de parlementaires identifiés avec le Tea Party, un seul soutien la candidature de Michele Bachmann, alors que Mitt Romney en compte huit, et Newt Gingrich quatre. Quant à Ron Paul, sur lesquels nombre de « tea-partistes » portaient leurs espoirs, il ne recueille qu’un seul soutien. Celui de Rand Paul. Son fils… Le Tea Party est donc arrivé à imposer certains de ses thèmes dans les débats mais n’arrive pas à muer ses élans protestaires en une organisation politique structurée, avec leadership et stratégie. Comme jadis l’Eglise catholique avec les faiseurs de miracles charismatiques devenus saints officiels et absorbés dans l’Institution, le parti républicain va probablement canaliser cette irruption d’enthousiasme populaire non contrôlable et d’énergie politique, et la harnacher à sa vieux carrosse.



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