La brusque suppression de la Foire internationale d’art contemporain de Paris, fin janvier, après presque cinquante ans d’activité est le résultat d’un immobilisme dogmatique. Le naufrage était prévisible – voire souhaitable.
On la croyait indéboulonnable. Créée en 1974 et soutenue par les pouvoirs publics, la FIAC (Foire internationale d’art contemporain) était le principal événement d’art contemporain en France. Mais son organisateur, l’Anglo-Néerlandais RX, a été « remplacé » début janvier par le groupe MCH, responsable de la foire de Bâle, qui appartient en grande partie au « philanthrope et investisseur » américain James Murdoch, fils du célèbre Rupert.
Encéphalogramme plat
Ce coup de tonnerre n’a pas eu lieu dans un ciel sans nuages. Deux reproches étaient faits à cette foire depuis longtemps. Le premier : un immobilisme quasi dogmatique. Ses dirigeants appliquaient une stricte orthodoxie que l’on nomme, par abus de langage, « art contemporain ». Leurs choix étaient dramatiquement peu éclectiques comparés à ceux d’autres foires françaises plus vivantes, telle « Drawing Now », qui laisse la porte ouverte à la figuration réaliste notamment, alors que celle-ci est restée persona non grata à la FIAC. Nombre de visiteurs étaient frappés par le contraste entre la petite foire agile et le vieux mastodonte.
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Il y a quelques années, déjà perplexe devant cette étrange stagnation, j’ai demandé à consulter les archives de la FIAC chez son organisateur. J’ai feuilleté les catalogues sur près de cinquante ans. C’est une expérience que je recommande à ceux qui en auraient la patience. Aussi bizarre que cela paraisse, je n’ai vu pratiquement aucune évolution sur le plan artistique ! La principale transformation réside dans le fait que ces catalogues deviennent de plus en plus classieux au fil des décennies. Un aficionado de l’art contemporain serait sans doute très choqué par mon propos et invoquerait toutes sortes de nouveautés qui m’échappent. Cependant, je le répète, à moi qui suis en dehors du microcosme, les changements semblent si minimes que je ne leur trouve pas de consistance. La FIAC était en état d’encéphalogramme plat.
Portion congrue pour les galeries françaises
Le second reproche tient au fait qu’on attendait de cet événement qu’il contribue à la vie économique et sociale du pays et, d’abord, qu’il profite aux galeries françaises. Or la FIAC, plus soucieuse de prestige que d’utilité, faisait un peu trop systématiquement la part belle aux grandes galeries anglo-saxonnes. En outre, contrairement à tant d’acteurs qui ont multiplié les initiatives réelles ou virtuelles pendant la crise du Covid, la FIAC a, pour l’essentiel, simplement fermé boutique et laissé tomber ses partenaires. Il est vrai que RX a subi des compressions d’effectif et un arrêt des investissements. Ces éléments ont sûrement convaincu la RMN-GP (Réunion des musées nationaux-Grand Palais) de changer de cheval.
Grand public indésirable
On aurait aussi pu s’attendre à ce que la FIAC soit accueillante pour le public parisien. Telle n’était pas la volonté des organisateurs. Ils ont multiplié les facilités, gratuités et cajoleries pour les VIP mais, visiblement, ils ne voulaient pas des badauds et des landaus. Le prix d’entrée porté à 40 euros par personne était dissuasif. Était-ce un tarif décent dans un lieu aussi républicain que le Grand Palais ?
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Chaque édition de la FIAC a été soutenue par une communication tonitruante. Aussitôt la foire achevée, des communiqués claironnaient une formidable progression de la fréquentation. Toutefois, d’année en année, la foire plafonnait à 70 000 entrées et encore, « selon les organisateurs ». La dernière édition, pour laquelle on n’a pas hésité à sacrifier un tiers des pelouses du Champ-de-Mars, a enregistré une forte baisse (46 655 visiteurs). On peut penser que c’est à cause de la crise sanitaire. Cependant, la même année, le petit frère de la FIAC, Art Paris, a comptabilisé 72 756 entrées. Les chiffres de la FIAC sont en réalité très mauvais. Les associations d’artistes (Art Capital), avec leur budget misérable, font 30 000 à 40 000 entrées. Les expositions d’art ancien aux galeries nationales du Grand Palais attirent en moyenne 300 000 à 400 000 visiteurs, sur des durées plus longues, il est vrai.
Situation préoccupante de l’art en France
Ces conceptions néfastes ont entraîné des répercussions bien au-delà de la foire elle-même. Croyant sans doute bien faire, le ministère de la Culture et ses réseaux ont imposé une sorte d’art officiel qui a découragé le public. Il suffit d’entrer dans n’importe quelle librairie pour remarquer que le rayon art contemporain a presque disparu au profit des BD, des livres sur le cinéma, la cuisine, la mode, etc. Ce désintérêt contraste avec le fait que les Français aiment toujours l’art (au sens commun) et en font leur première pratique amateur, devant la musique. La part économique de l’art en France (produit à titre professionnel) est estimée entre un cinquième et un dixième de ce qu’elle est en Allemagne ou en Grande-Bretagne, pays auxquels nous pourrions légitimement nous comparer. Les sources statistiques sont fragiles et indirectes, mais l’écart est significatif. Enfin, dernier aspect et non des moindres, la très grande majorité des artistes résidant dans notre pays, y compris les plus talentueux, vivent dans la misère et relèvent des politiques sociales.
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Difficile, dans ces conditions, de regretter la FIAC et de l’entendre plaider « une exception française ». Saluons la décision courageuse et réaliste de la RMN-GP. Le nouvel organisateur aura-t-il toutefois une approche plus ouverte de l’art actuel dans sa diversité ? Il est trop tôt pour le dire. De plus, que l’organisation du principal événement artistique en France soit confiée à un groupe américain a sans doute de quoi alerter ceux qui, comme Aude de Kerros[1], se sont inquiétés d’une « géopolitique de l’art » archidominée par New York.
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[1] Aude de Kerros, Art contemporain, manipulation et géopolitique, Eyrolles, 2019.