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Noms de métiers: la féminisation n’a pas eu besoin du féminisme

La féminisation des noms de métiers n'a rien à voir avec la féminisation de la langue


Noms de métiers: la féminisation n’a pas eu besoin du féminisme
©DURAND FLORENCE/SIPA / 00203466_000001

La féminisation des noms de métiers n’a rien à voir avec la féminisation de la langue française. La première suit le réel quand la seconde en est déconnectée.


Dans la grande confusion médiatique et idéologique concernant les questions de « genre », la « féminisation » est sur toutes les langues. La symbolique politique prenant le pas sur les sciences du langage, il serait bon de rappeler quelques évidences, notamment la confusion entre signe linguistique et référent extralinguistique : une vedette peut être un homme comme un mannequin peut être une femme.

« Elle est très bien, ma proctologue »

Obnubilé par quelques questions protocolaires qui ne concernent pas vraiment le bas peuple que nous sommes (faut-il dire madame le/la ministre ?), personne ne prend vraiment le temps de spécifier ce qu’est la « féminisation » comme opération en langue.

On oublie ainsi que quand les locuteurs – qui sont aussi des locutrices : le pluriel servant à regrouper, il est par définition inclusif… – veulent désigner une femme, cela fait belle lurette (salut, Lulu) qu’ils y arrivent très bien tout seul. Dire « elle est médecin » ne pose aucun problème. Pourquoi vouloir marquer sur le nom ce qui est marqué sur le pronom ?

En confondant métiers, activités et raison sociale, on néglige le fait que le but de la parole n’est pas d’identifier le sexe des gens (tiens, un mot collectif sans genre !). En effet, quand on dit « faut que j’aille chez le proctologue », il est question de la fonction et elle n’est pas sexuée. Cela n’empêche pas qu’on puisse ensuite dire « elle est très bien, ma proctologue »…

Le réel plus fort que le féminisme

En réalité, la féminisation a déjà eu lieu. Dans les faits, d’abord. Et dans les noms ensuite : partout où l’on a besoin de féminiser, l’usage (c’est-à-dire les locuteurs) s’en occupe naturellement. Pourquoi ? Parce que c’est une nécessité quotidienne. Personne n’a besoin de l’aval de l’Académie française ou du gouvernement pour parvenir à parler du réel. En français, nous utilisons depuis fort longtemps des constructions épicènes (« elle est juge, auteur, professeur »), des suffixations (avocate, policière) et toutes sortes de moyens qui permettent de référer au caractère féminin d’une personne.

Certes, la symétrie n’est pas toujours possible : la « portière » pourra difficilement devenir la femme du portier, ni la « traiteuse » celle du traiteur… Cela ne nous empêche jamais de construire notre discours.

On oublie surtout que, la plupart du temps, les prétendus nom de métiers sont en réalité des raisons sociales : transporteur, assureur, employeur, fournisseur, etc. désignent des entreprises et pas des personnes. La féminisation n’a aucun sens pour ces mots. Il en va de même des mots collectifs : nous avons lu des militants mentionnant des représentants « des personnel.le.s »… alors que le mot « personnel » ne peut pas désigner des individus singuliers (« je suis un personnel » n’est pas plus envisageable que le féminin) et qu’il n’est pas non plus pluriel.

Dans la plupart des cas, les mots fonctionnent à plusieurs niveaux : pour désigner une fonction (« je vais chez le boulanger ») ou une personne (« la boulangère était charmante aujourd’hui »). La féminisation ne peut donc pas du tout être une opération mécanique ou obligatoire car parler ne consiste pas à appliquer des nomenclatures mais à exprimer des contenus de pensée toujours contextualisés.

« Une brute » ou « une andouille » est souvent un homme

On confond aussi la féminisation des métiers, qui est l’affaire de la société, et celle de la langue qui n’en est que le reflet : « plombier » n’est masculin que dans la mesure où le métier est majoritairement masculin. Quand les « plombières » seront légions, le mot sera courant. Il n’y a rien là à réformer et il n’existe aucune injustice, ni dans la pratique socio-professionnelle ni dans la dénomination.

Au nom d’une idéologie hâtive, ignorante de la réalité grammaticale, on nous sert bien souvent une bouillie conceptuelle où le mot « femme » tient lieu d’étrange regroupement thématique. À côté de la féminisation des noms de métiers, qui est une évolution naturelle de la dicibilité du monde, se tient en ordre de marche militant l’écriture inclusive, qui est un snobisme ostentatoire où se mélangent utopisme soviétique et cratylisme crasse. Ces phénomènes sont très distincts. La féminisation est en rapport avec des intentions de discours : elle est portée par les locuteurs. L’écriture inclusive est une lubie militante.

En français, tous les mots portent nécessairement une marque de genre. On dit que le genre est grammaticalisé parce qu’il sert à différencier des mots, pas à désigner quelque chose de réel : « le piano » n’est pas plus viril que « la pendule » n’est féminine.

Quand les mots réfèrent à des humains, le genre grammatical et le genre sexuel peuvent être en décalage (quand vous avez affaire à « une brute » ou « une andouille », ce sont souvent des hommes…).

L’écriture inclusive est discriminatoire

Quand le mot est pluriel, il inclut évidemment tout le monde (au passage « le monde » est un singulier alors qu’il désigne… « une multitude » !). Personne n’a jamais cru que dire « chers collègues » impliquait de ne s’adresser qu’aux hommes.

Quand le mot est générique, il désigne les femmes et les hommes selon le cas. C’est pour cette raison qu’on peut à la fois parler de « l’assuré », de « la victime », du « demandeur », du « candidat » à un niveau général et désigner des personnes concrètes comme « candidate », « demandeuse », etc.

Vouloir indiquer des accords doubles n’a aucun sens puisque c’est déjà ce que font le pluriel et le générique. Les militants prennent au pied de la lettre les dénominations grammaticales : ils n’ont pas compris que « masculin » et « féminin » ne voulaient pas dire « mâle » et « femelle ». Ils se scandalisent, sans saisir que le masculin et le neutre ont, en réalité, la même forme en français.

L’orthographe est déjà l’objet d’un jugement sociolinguistique car elle révèle (plus ou moins) un niveau d’études. L’écriture inclusive est encore plus clivante parce qu’elle introduit une terrible sommation : par leur orthographe, les gens devront se positionner politiquement à chaque fois qu’ils enverront un mail !

En opérant une distinction entre ceux qui sauront pratiquer l’écriture inclusive et les autres, les militants exigent que l’allégeance idéologique soit marquée à chaque instant de notre vie graphique. Drapé dans la vertu des justiciers donneurs de leçons, ce combat est en réalité un snobisme. En effet, il ne semble concerner que trois ou quatre termes fortement valorisés (« auteur », « écrivain », « chercheur »…) sans qu’il existe de revendication équivalente pour « éboueur », « charpentier », « bûcheron » ou « balayeur ».

La neutralisation des imbéciles

Seul un symbolisme politique de niche a décidé d’imposer une morale dans la langue qui n’a en fait rien à voir avec la langue. Seule l’ostension morale et idéologique d’une classe ultra-bourgeoise intervient dans ces débats vite transformés en pugilats médiatiques.

L’exigence de soumission à un ordre moral fantoche des « inclusivistes » se fait en toute ignorance des phénomènes de neutralisation du genre (l’impersonnel, le générique, le pluriel), de l’oralité, de la distinction entre genre linguistique et genre sexuel et en postulant un lien mystique entre l’influence des signes de la langue et la réalité sociale. Si ce lien existait, alors selon leur interprétation, on se demande bien comment la condition féminine aurait jamais pu se libérer du carcan de la langue…

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Spécialiste de linguistique, professeur en Université et traducteur.

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