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Faut-il pleurer pour être un homme?

La dictature de l'émotion


Faut-il pleurer pour être un homme?
Les larmes de Barack Obama, président des USA et candidat à un second mandat, en conclusion de son dernier meeting de campagne en 2012, à Des Moines (Iowa), USA, 5/11/12 © Carolyn Kaster/AP/SIPA, Numéro de reportage : AP21324962_000002

La mode est aux larmes, notamment pour les hommes, versées en toutes circonstances. Il s’agit, cependant, bien plus souvent d’un moyen de proclamer sa vertu plutôt que du témoignage d’une réelle sensibilité. Et s’il y avait d’autres moyens d’être un homme ?


Cette interrogation n’est qu’apparemment provocatrice, puisque sur les réseaux sociaux et les sites d’information, il me semble que la grande mode est dorénavant d’annoncer qu’untel a pleuré, que tel autre a fondu en larmes, qu’un autre a éprouvé une émotion qui l’a fait larmoyer. Pourquoi suis-je gêné par cette profusion lacrymale ? Sans doute parce qu’elle émane d’hommes, qu’elle est offerte à tous et que je la soupçonne aussi d’être insincère, comme pour montrer qu’on a du cœur et que derrière l’enveloppe virile, il y a une authentique sensibilité.

Suis-je insensible ?

Au risque de me faire agonir, qu’une femme pleure ne me paraît pas aussi surprenant, en vertu, je l’admets, d’une conception traditionnelle des sexes, le sexe absurdement qualifié de faible étant cependant plus sensible quand l’autre se pique volontiers d’une sorte de maîtrise de soi parfois proche de la sécheresse.

Je ne peux m’empêcher de me questionner sur ce point qui n’est pas capital mais me taraude assez régulièrement. Pourquoi suis-je tellement déstabilisé, pour ne pas dire plus, par les émotions affichées, proclamées et traduites en larmes ? Peut-être parce qu’elles me renvoient à ma propre aridité qui cherche à se justifier en dénonçant l’impudeur des autres alors que moi-même je m’attacherais à l’essentiel qui serait l’esprit, le jeu des intelligences et la richesse des idées ? Pourtant je sais que je me leurre et qu’il y a là une forme de désert, comme un gouffre entre une approche intellectuelle de l’existence et son appréhension émotive.

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Je l’ai relevé plus d’une fois à mon détriment : pour m’immerger dans une désolation unanime et consensuelle, il fallait d’abord que je persuade mon esprit que c’était triste. Comme si j’étais dépourvu de cette faculté élémentaire de prendre de plein fouet, sans aucune médiation, la douleur, les afflictions qui auraient dû naturellement faire advenir des larmes ou au moins des états d’âme pas à ce point intérieurs qu’ils pouvaient échapper totalement aux autres.

Les démons de l’enfance

C’est l’enfance qui, semble-t-il, explique tout. Ou n’est-ce pas ce qu’on invoque forcément quand on est confronté au mystère de l’intime ? Pourtant je ne suis pas loin de penser que pour ce qui me concerne elle constitue probablement une clé qui éclaire les approches contradictoires que j’ai de cet âge béni ou non, c’est selon. Sans entrer dans des détails biographiques qui ne seraient pas de mise dans un billet, je ne saurais qualifier mon enfance de traditionnelle. J’ai l’impression que, si elle n’a pas correspondu aux canons classiques, elle n’a jamais été à ce point atypique qu’on aurait pu la juger malheureuse. Elle a été faite d’un climat hétérogène, contrasté, qui mêlait douceur et tendresse mais aussi vigueur et même dureté. Probablement cette atmosphère unique a-t-elle nourri des relations compliquées avec autrui – l’autre pas forcément immédiatement désiré. Je n’ai jamais par exemple ressenti une révérence de principe pour la jeunesse, jamais mythifiée sauf démonstration contraire. Je me suis toujours perçu comme un adversaire du laxisme propre à la justice des mineurs et, sur le plan de la politique pénale, cette distinction entre des âges en définitive si proches – 13 à 15, 15 à 18 puis après 18 – m’a semblé artificielle quand elle prétendait octroyer seulement de l’éducatif à une malfaisance même très précoce. On comprendra que les juges des enfants et la démagogie rousseauiste n’ont jamais fait partie de mes dilections quand j’étais avocat général à la cour d’assises de Paris.

Le courage d’être un homme

En même temps il serait faux de me croire alors aux antipodes d’une affection profonde pour mes propres enfants avec cet argument capital qui a guidé mon existence: ils ont toujours été les seuls êtres à l’égard desquels je n’avais pas d’autre option que l’inconditionnalité. Alors que le monde des adultes était au contraire pour moi celui de la liberté critique et du déplaisir autorisé. Cette conception de la vie, qui n’est pas un modèle, s’est accompagnée d’une adoration sans limite pour la grâce et le miracle des bébés – un âge à part.

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Les larmes sont à la fois de la faiblesse et, pourquoi pas, de la force quand on résiste à une vision tellement rigide de la virilité qu’elle les interdirait. Mais tout dépend : pleurer sans cesse, pour tout et n’importe quoi, s’avachir dans les pleurs, relève d’une forme d’exhibitionnisme qui vise à se faire admirer dans un monde qui veut nous convaincre qu’il faut pleurer pour être un homme. Heureusement il y a des moyens moins mouillés pour l’être.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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