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Fannie, Freddie et les bonnes intentions


photo : @MSG

Quand le gouvernement américain nationalise de fait Freddie Mac et Fannie Mae, le 6 septembre 2008, les deux government-sponsored enterprises (GSE)[1. Mot pour mot : « Entreprises parrainées par le gouvernement »] détiennent ou garantissent, au travers de mortgage-backed securities (MBS)[2. Les MBS sont des paquets de crédits immobiliers revendus sur les marchés financiers sous forme d’obligations], l’équivalent de 5,2 trillions de dollars, soit environ 40% du marché des crédits immobiliers américains (mortgages)[3. Les « mortgages » sont des crédits hypothécaires (la forme classique d’un prêt immobilier aux États-Unis)]. La situation de Freddie et de Fannie est si catastrophique et leur taille tellement gigantesque que le Trésor des États-Unis et la Federal Reserve doivent s’engager à rembourser jusqu’à 200 milliards de dollars à leurs créanciers, leur racheter plus de 1,3 trillion de dollars de MBS et acquérir en urgence
leurs dettes pour 132 milliards de dollars.

Toute cette histoire avait pourtant commencé avec de bonnes intentions… mais vous savez ce qu’on dit de l’enfer et des bonnes intentions.[access capability= »lire_inedits »]

Au lendemain de la Grande Dépression de 1929, Herbert Clark Hoover puis Franklin Delano Roosevelt décident de faire en sorte que le plus grand nombre possible d’Américains puissent devenir propriétaires de leur résidence principale. C’est le Federal Home Loan Bank Act de 1932 et la naissance, en 1938, de la Federal National Mortgage Association, plus connue sous le nom de « Fannie Mae ». Fannie est une agence fédérale chargée de racheter les mortgages des banques. En 1968, sous l’administration Johnson, Fannie Mae est privatisée mais garde sa mission de service public et devient officiellement une government-sponsored enterprise. Deux ans plus tard, le Congrès des États-Unis donne à Fannie un petit frère − Freddie Mac − qui recevra les mêmes missions et le même statut que sa grande sœur.

Les GSE sont donc nées d’un deal entre l’« Oncle Sam » et des actionnaires privés. La charte de Fannie et de Freddie leur impose d’acheter ou de garantir le plus grand nombre possible de mortgages − et notamment des crédits accordés à des familles à faibles revenus − en contrepartie de quoi le gouvernement fédéral accorde à ses deux poulains une série d’avantages sonnants et trébuchants. Jugez plutôt : les GSE disposent d’une ligne de financement directe auprès du Trésor ; leurs obligations ont le même statut que celles des agences fédérales ; elles ont des avantages fiscaux, une réglementation prudentielle des plus accommodantes et le gouvernement fédéral les protège de toute forme de concurrence. En conséquence, le monde entier considère que prêter à Freddie et à Fannie, c’est prêter de l’argent à l’Oncle Sam lui-même… et la suite prouvera que le monde entier avait raison. Les deux entreprises bénéficient ainsi d’un avantage notable: elles peuvent s’endetter dans des proportions absolument gigantesques à un coût qui défie toute concurrence − à peine plus élevé que celui qui est imposé au gouvernement fédéral lui-même. L’Oncle Sam y gagne car il peut désormais canaliser l’épargne américaine vers le marché immobilier sans intervenir officiellement (puisque les GSE sont officiellement des entreprises privées) et les actionnaires y gagnent… beaucoup d’argent. Wayne Passmore − l’un des directeurs associés de la recherche de la « Fed » − évalue ,dans un article publié en janvier 2005, le bénéfice de ces relations ambiguës entre les GSE et l’État fédéral à 147 millions de dollars, dont 72 millions tombent directement dans les poches des actionnaires. L’Oncle Sam sait se montrer généreux avec ceux qui le servent …

Dès 1968, Freddie et Fannie passent sous l’autorité du Department of Housing and Urban Development (HUD) qui leur fixe des objectifs chiffrés de prêts à accorder aux familles modestes. En 1992, le HUD précise et augmente ces objectifs : les GSE devront affecter au moins 30% de leurs achats à des mortgages accordés à des familles pauvres ou modestes (définies comme des familles dont les revenus sont inférieurs au revenu médian de la région dans laquelle elles vivent). Avec la réélection de Bill Clinton en 1996, cet objectif passe à 40% et le HUD impose aux GSE d’acheter au moins 12% de crédits accordés à des familles vivant avec moins de 60% du revenu médian de leur région (c’est-à-dire sous le seuil de pauvreté). Dans les années qui suivent, ces objectifs seront régulièrement revus à la hausse pour atteindre 55% et 25% en 2007.

Soucieuses de préserver leurs avantages, Fannie et Freddie doivent donc racheter des mortgages accordés à des ménages modestes et pauvres. Elles se tournent donc vers les banques et, bien sûr, les banques fournissent − après tout, elles gagnent de l’argent et c’est l’Oncle Sam qui régale. Les banques se mettent donc à accorder des crédits sans trop se soucier des risques puisque Fannie et Freddie les rachètent dans la foulée et qu’elles en revendent une partie aux marchés financiers avec la garantie (implicite) de l’État. Dès cette époque, plusieurs observateurs s’en inquiètent, comme le journaliste Steven Holmes qui note, en septembre 1999 dans le New York Times, que « Fannie Mae prend significativement plus de risques » et que « l’entreprise pourrait avoir des problèmes en cas de crise économique, provoquant un sauvetage gouvernemental similaire à celui de l’industrie des saving and loans dans les années 1980 »[4. Ah ? Vous pensiez que c’était la première fois ? On y reviendra une autre fois…].

Rien n’y fait : le HUD continue à augmenter les objectifs des GSE pour le plus grand bonheur des banques qui poussent à la roue, trop contentes de ce regain d’acticité hautement patriotique. De 2004 à 2006, Freddie et Fannie achètent pour 434 milliards de dollars de mortgage-backed securities adossées à des crédits subprimes (c’est-à-dire plus risqués) et créent littéralement un marché pour ce que nous connaissons aujourd’hui sous le doux nom d’« actifs toxiques ». Au cours de la seule année 2007, les deux entreprises vont acheter pour 1,5 trillion de mortgages et de mortgage-backed securities, dont environ 450 milliards servaient à financer les investissements immobiliers de familles modestes et environ 375 milliards ceux de familles vivant carrément sous le seuil de pauvreté. On ne sait pas exactement quelle proportion des crédits immobiliers détenus ou garantis par les GSE était constituée de subprimes, d’autant plus qu’il n’existe pas de définition claire de ce qu’est un crédit subprime. Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’en 2008, Freddie et Fannie détiennent ou garantissent 40% des crédits immobiliers américains à elles seules et que, depuis 1992, elles ont régulièrement et considérablement assoupli leurs critères d’achat et inondé les marchés de MBS avec la bénédiction et la garantie implicite de l’Oncle Sam. Ce que l’on sait aussi, c’est que c’est précisément ce genre de produits − des MBS adossés à des crédits risqués − qui se sont retrouvés dans les bilans des banques du monde entier (avec les encouragements sonnants et trébuchants de la réglementation bancaire − on en reparlera) et qui, un beau matin du 15 septembre 2008, ont déclenché rien de moins qu’une des plus violentes récessions depuis les années 1930.

La commission d’enquête sur la crise financière mise en place par le Congrès des États-Unis devrait bientôt rendre son rapport. On sait déjà que Fannie, Freddie et les administrations successives seront blanchies de toute responsabilité dans ce gigantesque fiasco[5. Non, sérieusement, vous les imaginez nous avouer officiellement qu’ils sont à l’origine de cet énorme merdier planétaire ?]. Mais j’ai quand même une question à leur poser : s’il n’y avait pas de problème avec ces entreprises protégées par l’État, pourquoi avez-vous eu besoin de plus de 1500 milliards de dollars américains pour les sauver ?[/access]


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Mars 2011 · N°33

Article extrait du Magazine Causeur



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