Un fabiusien nommé Fabius


Un fabiusien nommé Fabius
Laurent Fabius, en visite à Amman, le 21 juin 2015, pour défendre son initiative de paix entre Israël et la Palestine (Photo : SIPA.00688801_000002)
Laurent Fabius, en visite à Amman, le 21 juin 2015, pour défendre son initiative de paix entre Israël et la Palestine (Photo : SIPA.00688801_000002)

En entrant au Quai d’Orsay en 2012, Laurent Fabius avait un plan : faute de pouvoir briguer l’Élysée, il allait employer toute son énergie à se construire une fin de carrière à la mesure de l’idée qu’il se fait de lui-même – satisfaite, voire mégalomane. Le peuple français ayant rechigné à lui confier la seule fonction digne de ses mérites, il fallait que la communauté internationale organisée reconnût en lui un homme d’État d’ampleur historique, figurant en bonne place dans le panthéon des héros immortels de la démocratie planétaire. Objectif : rien moins que le prix Nobel de la paix, clé d’une nouvelle carrière d’elder statesman de première catégorie. La pantoufle luxueuse de la présidence du Conseil constitutionnel ne saurait être, pour lui, un aboutissement.

Son ralliement à François Hollande, lors de la primaire de 2011, était dicté par la nécessité, mais il amenait au futur président le soutien de sa faction, très puissante au sein de l’appareil du PS. En échange, il obtenait, dans son domaine de compétence, la politique étrangère, une liberté de manœuvre bien éloignée de l’esprit des institutions de la Ve République. Le conseiller diplomatique de François Hollande, l’excellent Jacques Audibert, en convenait d’ailleurs volontiers, pour le déplorer lorsqu’on le titillait un peu sur le sujet. Au fil des ans et des événements, une sorte de partage du fameux « domaine réservé » s’est établi : à l’Élysée la conduite de la guerre et de ses retombées commerciales (ventes d’armes), menée par François Hollande et son fidèle Jean-Yves Le Drian, au Quai d’Orsay le soft power, la diplomatie traditionnelle, et la défense des intérêts commerciaux et culturels de la France. Laurent Fabius arrache à Bercy le Commerce extérieur et le Tourisme, et s’efforce de transformer les héritiers de M. de Norpois en VRP du made in France pour rééquilibrer un commerce extérieur tragiquement déficitaire.

Et alors, objectera-t-on, qu’importe le dogmatisme constitutionnel si un génie politique permet à la France de défendre au mieux ses intérêts et sa place dans un monde en pleine mutation ! Certes, mais c’est à la fin du marché que l’on compte les bouses, comme on dit dans les réceptions Ferrero Rocher de monsieur l’ambassadeur, et l’état du foirail laissé à son successeur Jean-Marc Ayrault n’est pas brillant : si l’on met à part les succès à l’exportation du Rafale en Inde, en Égypte et en Arabie saoudite, ceux des sous-marins de la DCNS, pilotés par l’Élysée et le ministère de la Défense, et les bonnes performances d’industriels français suffisamment puissants et organisés pour se passer du coup de pouce de l’administration française, les résultats en matière de diplomatie économique sont plutôt maigres.[access capability= »lire_inedits »]

De surcroît, sous Fabius, la « voix de la France », son poids dans les grands dossiers internationaux ne se sont pas affirmés, bien au contraire. On a vu la chancelière Angela Merkel s’emparer, sans ménagements pour Paris, des commandes des grands dossiers européens, la Grèce, l’Ukraine, la crise des migrants, pour les orienter en fonction des intérêts immédiats de l’Allemagne, et de sa vision de l’avenir de l’UE. Le numéro de téléphone de l’Europe, que cherchait jadis en vain Henry Kissinger, a été découvert par Barack Obama : son indicatif est le 00 49 30, préfixe pour appeler Berlin. Lors de son dernier voyage en Europe, à Hanovre, le président des États Unis a remis la France à la place qu’elle mérite à ses yeux : aux côtés de l’Italie, invitée pour le café après ses agapes avec Merkel lors de la plus grande foire industrielle du monde…

C’est cela la réalité, et non pas le cirque invraisemblable de la COP 21, une mise en scène spectaculaire du génie diplomatique fabiusien, consistant à faire croire que la France avait réussi à accorder les violons planétaires pour arrêter le réchauffement climatique. Comme les opinions publiques d’un certains nombre de pays démocratiques sont travaillées par les prêcheurs d’apocalypse au mépris de toute approche rationnelle de ce sujet complexe, on leur livre un grand show parisien sans réelles conséquences pour la suite. La Chine se donne trente ans pour réfléchir à la question, et les États-Unis, en dépit des envolées climatiques de Barack Obama, continuent comme devant à pomper le gaz de schiste et à extraire le charbon, à l’instar de l’Allemagne, d’ailleurs… Après sa sortie du gouvernement, Laurent Fabius entendait bien garder la présidence de la COP 21 jusqu’à la fin de l’année, où elle sera transférée au Maroc. Cela lui aurait permis de parader quelque temps encore dans les institutions internationales (toujours le prix Nobel…), mais c’était compter sans la hargne de Ségolène Royal, qui n’avait pas digéré d’être confinée à un rôle mineur dans cette affaire, et trouvait là l’occasion d’une revanche sur un ennemi intime au sein de la famille mitterrandienne.

Mais il y a plus grave : Laurent Fabius s’est mis en tête de faire plier Israël dans l’interminable conflit israélo-palestinien. De réussir, avec ses petits bras, la où son collègue américain John Kerry, après Bill Clinton, s’est cassé les dents : contraindre les protagonistes à conclure un accord « définitif » sur la base du principe « deux États pour deux peuples entre la Méditerranée et le Jourdain ». Et pourquoi pas ? Tout effort visant à mettre un terme à un conflit réputé insoluble vaut mieux que l’acceptation passive de sa perpétuation. Sauf qu’en diplomatie, l’irréalisme est une faute, qui vire au crime lorsqu’elle se double de cynisme. Pour qu’une tierce puissance parvienne à faire cesser une guerre, il convient soit qu’elle dispose de moyens de contrainte sur des protagonistes rétifs, soit qu’elle soit reconnue par eux comme un intermédiaire honnête et impartial. Or la France, dans ce dossier, ne remplit aucune de ces conditions.

Dès le départ, Laurent Fabius avait décidé que le seul obstacle à la paix était l’ignoble Benyamin Netanyahou, auquel il fallait tordre le bras pour qu’il se soumette au narratif palestinien du conflit. Prétendre imposer les termes d’un accord, alors que la partie palestinienne est plus divisée que jamais, sur le terrain et politiquement, relevait soit de l’inconscience, soit, ce qui est plus probable, d’un incroyable cynisme. Pour Fabius, peu importait que « sa » conférence échoue, pourvu qu’il fît porter le chapeau au Premier ministre d’Israël ! Cela serait bien vu à Oslo, et dans les pays scandinaves, où se font les prix Nobel…

Dans cette perspective, le vote, par la France, de la honteuse résolution de l’Unesco sur Jérusalem n’est pas une « erreur », comme le concède aujourd’hui le gouvernement, mais l’application de la « ligne Fabius » avant que son successeur, Jean-Marc Ayrault, ait pu ou su voir le lézard… Cela contraint aujourd’hui Hollande, Ayrault et Valls à un périlleux rétropédalage : abandon de la menace de reconnaissance automatique par la France d’un État palestinien en cas d’échec de la conférence, assurance donnée à Washington qu’aucune injonction contraignante ne soit imposée aux parties, pour obtenir au finish la participation de John Kerry à la réunion de Paris. Cela évite le fiasco total de cette initiative, dont personne ne croit plus qu’elle fasse avancer le schmilblick israélo-palestinien d’un millimètre. L’avenir de Fabius, c’est Roland Dumas, dont il suit fidèlement les traces du Quai d’Orsay au Conseil constitutionnel. Alors, Laurent Fabius n’aura sans doute pas le prix Nobel, mais il a ses chances pour l’Israel Prize, qui récompense les bienfaiteurs de l’État juif : ses manœuvres grossières auront offert à Benyamin Netanyahou un prétexte en or pour envoyer Paris sur les roses.[/access]

Juin 2016 - #36

Article extrait du Magazine Causeur



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