Le colon et le Palestinien


Le colon et le Palestinien

Négociations dans l’impasse, méfiance réciproque, communication réduite : Israéliens et Palestiniens sont pris dans une nasse infernale dont on voit mal l’issue. Et pourtant se dessinent des éclaircies, s’ouvrent des perspectives ténues, à l’image de cette rencontre que j’ai faite avec deux « pèlerins de la paix ».

C’est ainsi qu’en plein cœur de la Cisjordanie, j’ai rencontré deux hommes : Ali et Shaul. Le premier est palestinien, musulman, élevé dans la haine d’Israël. Le second est israélien, colon juif, religieux dont la famille a été meurtrie par la guerre.

Le rendez-vous a été organisé par l’intermédiaire du représentant de l’American Jewish Joint Distribution Commitee, organisme d’aide humanitaire juive mondiale, quelque part à Hébron.

Nous nous retrouvons, sur un terrain, dans ce qui ressemble à « un poulailler à ciel ouvert » : canapés usés, tapis au sol, couvertures, voilà le QG de la paix, « The Field » comme on l’appelle ici.

Ali, gueule de baroudeur, d’une force saisissante,  assis à côté de son « frère » Shaul, au physique de bobo écolo, nous raconte son histoire.

Dès l’âge de 15 ans, Ali Abu Awar a tenu une kalachnikov dans ses mains pour combattre Israël. Il rejoint le Fatah dont sa mère est une des dignitaires et grandit dans ce contexte politique. Actif dès la première intifada, lançant des cocktails Molotov, il est condamné à quatre ans de prison.

Il reçoit une balle dans la jambe tiré par un colon et est soigné en Arabie saoudite. Son frère sera tué sous ses yeux, une balle dans la tête.

La haine l’envahit. Il veut venger la mort de son frère. Pour cela, combien d’enfants doivent mourir ? Combien de mères doit-il faire souffrir ? Mais la haine nous détruit autant qu’elle veut détruire l’autre, explique Ali, dans un anglais teinté d’accent arabe.

Dans les geôles israéliennes vint le temps du questionnement, grâce à la lecture. Ali découvre Martin Luther King, Gandhi et la non-violence. Apres une grève de la faim gagnée, il comprend la valeur tactique de la non-violence. Son séjour en prison a été sa meilleure université. Que faire ? Déposer les armes, parler et dialoguer. « Ma liberté et celle des Palestiniens ne se gagne pas en tuant des juifs ; ils sont ici et nous aussi. Nous sommes obligés de vivre ensemble ».

« La non-violence n’est pas une lâcheté »

Quatorze ans plus tard, la vie d’Ali n’a plus rien à voir avec sa jeunesse d’activiste. Héritier de dissidents, il tente de faire bouger les choses. Il crée un centre pour l’étude de la non-violence et est rejoint par des colons israéliens. Il réalise que la non-violence est la meilleure arme et une vraie force : « Je veux donner aux jeunes les outils pour résister à la violence. La non-violence n’est pas une lâcheté. »

Ali est convaincu qu’il faut parler à ses ennemis et parler aux colons. « Les juifs ne sont pas mes ennemis mais la peur oui ». Au lieu de diaboliser les colons et de les décrire comme des monstres, il veut créer des infrastructures et des programmes pour créer un langage commun.

Shaul Judelamn refuse lui aussi la haine. Installé dans la région du Goush Etzion, l’homme originaire de Seattle travaille la terre et monte un projet : une zone agricole où il cultivera les légumes pour les familles palestiniennes. Ainsi né Roots, un « mouvement populaire, de compréhension, de non-violence et de  transformation des mentalités entre Israéliens et Palestiniens ».

Accusé de trahison par certains Palestiniens, Ali répond : « Si ma lutte non-violente pour la libération de la Palestine nous aide à avancer dans le processus de paix, je serai fier d’être appelé un traître. » Si on lui demande si sa vie est en danger, il répond qu’elle l’est en permanence.

Aujourd’hui, Ali voyage. Il participe à des groupes de paroles aux Etats Unis et parcourt le monde. J’espère l’inviter bientôt à Paris avec Shaul.

Deux heures ont passé, le soleil se couche, l’air devient frais, nous quittons les deux hommes, Ali retourne dans sa maison délabrée, Shaul dans son kibboutz.

Sur le chemin du retour, je repense au livre d’Amos Oz, Comment guérir un fanatique et je comprends qu’Ali est guéri et mesure le chemin qu’il lui a fallu parcourir pour passer du fanatisme au pragmatisme.

Construire un mouvement pacifiste palestinien est aujourd’hui le rêve d’Ali. Doux mirage d’une utopie romantique ? Peut-être, sauf que pour Ali et Shaul, l’utopie est en marche.

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Odile Cohen est avocate.

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