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C’est dommage, j’aime le Bon Marché

À vouloir faire rire, ils ont enterré le rock…


C’est dommage, j’aime le Bon Marché
DR.

Notre contributeur est ressorti déçu et un peu triste de l’exposition « Rock’n drôle » du Bon Marché. Il nous raconte sa visite.


C’est le magasin de mon enfance… Il y avait ce rayon disques au sous-sol, immense et spectaculaire, où, gamin, je passais des heures à décrypter les pochettes des Beatles et autres Koobas, Smoke, ou Antoine, ses expositions remarquables (« Swingin London » et « Chine de Mao »), ses vitrines de Noël devant lesquelles se pressaient des nuées d’enfants en snow-boots.

Reacn’roll

Depuis les 80’s, l’historique échoppe de Monsieur Boucicault (c’était le Bonheur des Dames de Zola) a, certes, drastiquement évolué. Avec la Grande Épicerie bien sûr, mais, surtout, via un recentrage mode et chic, censé séduire la clientèle internationale (enfin, asiatique) et faire sortir ainsi vainqueur l’antique institution de la guerre larvée avec les hypermarchés naissants.
Et en cette rentrée, le Bon Marché ouvre une exposition aux couleurs… du rock. Du rock ? Voui.
Toutes les vitrines affichent le même slogan : « Rock’n’Drôle ». Et Zep, le dessinateur star des gamins — pâle émule, voire plagiaire malchanceux de Frank Margerin et de son Lucien — a griffonné pour l’occasion un Didier l’Embrouille de carnaval, ce personnage incarné par Antoine de Caunes sur Canal+. Résultat : on le retrouve placardé partout. Alors, c’est ça, le rock ? Une caricature vulgaire et ringarde ? Réduit à l’image stupide du blouson noir des sixties ? Non merci.

C’est triste, en fait. Le rock sait être tragique, excessif, transgressif, messianique, poétique, futuriste, baroque, romantique, choquant… ou prophétique, entre autres. Mais l’humour n’est pas son fort, sinon à ses marges.
De Caunes en son niais interview du catalogue s’en tire en proclamant que les Beatles étaient de fameux rigolos. Mouais, à leurs tout débuts, peut-être, et encore, le temps de deux films et de quelques interviews, le Lennon ne renâclait pas devant l’humour acerbe, et Ringo, dans Heel, montrait des talents d’acteur comique, c’est vrai, mais sinon…
De Caunes poursuit et généralise. Le rock, c’est chouette et rigolo, surtout quand les British s’en mêlent.
Hormis le fait que les champions de l’humour « rock » ont toujours été les Français, y’a pourtant un monde entre la gaudriole façon Didier je t’embrouille et les univers de Bowie, des Stones, du Floyd, du Clash, de Dylan ou de qui on voudra. En fait, l’humour désamorce, l’humour empêche le rêve. Des fameux rigolos, les Keith, Iggy, Patti Smith ? Allons !

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Juteux contrat

C’est tout le contraire, les rockers jouent les tristes sires depuis toujours. Comme avant eux, Paganini, Fréhel, Sarah Bernhardt, les acteurs tragiques façon Baron, Sarrazin… jusqu’à Delon, tiens ! On l’a rarement vu dans la gaudriole. Le rock aime le drame.
C’est donc de Caunes qui orchestre ce machin. Personne ne lui reprochera d’avoir accepté le juteux contrat, seulement, il aurait pu se fouler un peu plus et montrer un panache de plus fière allure.
Au deuxième étage, l’installation « rock motel » propose une dizaine de prétendues chambres reconstituées de stars du rock. Elvis, Bowie, McCartney, Keith, Prince ou Rita Mitsouko. De Caunes est allé au plus facile. Admettons.
Seulement, toutes les chambres se ressemblent, dédaignent les objets d’époque et multiplient les anachronismes. On ne parlera pas des quelques fringues accrochées. Laides et n’ayant qu’un rapport lointain avec les panoplies supposées. On sauvera les guitares : une par chambre, emblématique de son propriétaire. Un collectionneur a prêté les objets. Bon.
Pendant la visite, via un casque, de Caunes raconte l’histoire du rock sur un ton badin. Voui.
Sinon, on a droit à quelques hardes chères, moches et hors sujet. Ils auraient dû se contenter des habituels corners Céline/Hedi Slimane ou Lanvin de leur rayon mode. Pas donnés, ces costards et ces boots-là, néanmoins, elles sont bien plus rock ! Et ce n’est pas Nick Cave qui me contredira.
On finira avec quelques objets prétendument « vachement rock » – flipper et jukebox numériques – qui se battent en duel auprès d’un chiche rayon disques – une trentaine de vinyles – et d’un pingre rayon guitares Gibson. Le plus drôle, c’est qu’à Noël, le Bon Marché a exposé les légendes du rap. Il y en avait trois fois plus.
Je ne parlerai pas du désolant catalogue. Des chapitres intitulés « glam rock », « électro rock », etc. présentant des nippes nulles et sans aucun rapport avec le sujet. Vraiment aucun. De la doudoune et du jogging oversize au rayon glam. Que dire de plus ?
Que le Bon Marché suppose que son cœur de cible bobo et bourgeois au fort pouvoir d’achat aime le rock et qu’il lui faut donc servir cette soupe ne me gêne pas. Et ils ont d’ailleurs probablement raison : question de génération. Presque au contraire, glorifier cette musique du passé et démodée pourrait aller jusqu’à m’attendrir.
Hélas, trois fois hélas, le machin est si mal gaulé que… je pense au gamin émerveillé qui découvrit jadis le monde en visitant les rayons de ce grand magasin et, irrésistiblement, s’est imposée à moi cette évidence : ce n’est pas avec ce truc que le loupiot d’aujourd’hui (cible, d’ordinaire, de Zep le gribouilleur), confronté à ce Didier l’Embrouille ou à ces objets laids, sinon ineptes, risque de découvrir le rock. Et de rêver. Quant au bourgeois client, je ne vois pas trop ce qu’il risque d’y acheter. Sa Gibson à 4000 euros ? J’en doute. C’est finalement pour le marmot égaré-là que j’ai le plus de peine. Il mérite mieux.

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est écrivain et musicien.

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