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Europe-Russie: les trous de mémoire

Malgré les crises à répétition, l’Europe a négligé son indépendance énergétique


Europe-Russie: les trous de mémoire
Charles Michel, Emmanuel Macron et Mario Draghi, Versailles, 11 mars 2022 © Sarah Meyssonnier/AP / SIPA

En 2022 les dirigeants européens se réunissent pour constater que leur énergie est très dépendante de la Russie. Ils réalisent qu’en conséquence, ils ne peuvent pas peser autant qu’ils le souhaitent sur le conflit ukrainien…


Ils ne peuvent peser sur le conflit, puisqu’ils paient des centaines de millions par jour pour le gaz, le pétrole et le charbon à ce pays qu’ils considèrent comme l’agresseur.

Si les opinions publiques des 27 pays concernés s’en lamentent de bonne foi, c’est qu’elles ont des trous de mémoire. Lors de l’invasion de la Crimée en 2014 l’observation était la même et rien n’a été engagé depuis pour mettre les approvisionnements en meilleure condition. C’est même tout l’inverse puisque le projet du second gazoduc passant par la mer Baltique, North Stream 2 a été, au cours de ces sept dernières années, engagé, financé et en voie de certification au moment de l’engagement du conflit. L’Europe, et en particulier l’Allemagne, moteur de cet investissement, ont donc eu sept années pleines de réflexion à propos de leur dépendance énergétique à l’égard de la Russie.

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Mais il y a encore plus grave. Notre continent a pu observer depuis bien plus longtemps son absence d’autonomie énergétique, en particulier lors des chocs pétroliers des années 1973/1974, quand le prix du baril a soudainement été multiplié par quatre et quand les économies occidentales ont connu des périodes de pénurie et de restrictions. C’est depuis cette période que des politiques d’économies d’énergie et surtout de doubles diversifications des fournisseurs se sont mises en place, avec des programmes d’énergies alternatives d’une part et d’autre part des recherches de gisements pétroliers et gaziers permettant d’échapper au chantage de l’OPEP.

Pas tous les œufs dans le même panier

Depuis une cinquantaine d’années tous les pays développés se sont mis à chercher comment accélérer la lutte contre les gaspillages de toutes sortes, assurer la compétitivité du nucléaire et des énergies renouvelables, et mondialiser les marchés des produits énergétiques pour éviter les dépendances mortifères. Les mots d’ordre ont donc été indépendance, sobriété et compétitivité.

Très rapidement, malgré tous les espoirs (et l’argent !), le caractère intermittent des énergies éoliennes et solaires s’est révélé un sérieux obstacle aux investissements majeurs. Ce sont donc des pays venteux (par exemple, le Danemark) ou à très bas coût de main d’œuvre (la Chine) qui ont concentré l’industrie de ces alternatives. Cependant, ces solutions ne pouvaient rivaliser ni avec des fossiles dont le prix baissait avec l’abondance ni avec le nucléaire et l’hydroélectricité qui avaient l’avantage incontestable d’être pilotables (ajustables à la demande).

Mais les hydrocarbures n’avaient pas que l’avantage du prix. Le pétrole s’échangeait depuis toujours dans un marché mondial et pouvait venir de partout, mais  le gaz était attaché à la géographie (gazoducs). En quelques décennies le gaz naturel liquéfié (GNL ou LNG) s’est développé (constructions des terminaux de regazéification portuaires et de flottes de méthaniers) et il est désormais très répandu dans le monde.

Tous les pays, à partir des années 1990 avaient donc pleinement intériorisé la nécessité de diversifier leurs approvisionnements et de se doter d’un « mix »  énergétique répondant à l’adage « on ne met pas tous les œufs dans le même panier ».

La chute du Mur de Berlin et la montée dans les urnes de l’écologie politique ont, semble-t-il, éloigné les dirigeants européens de cette politique prudente. L’ennemi soviétique a été remplacé par le genre humain coupable de polluer la planète et même de la faire disparaitre avec le réchauffement climatique essentiellement à cause de l’utilisation des fossiles. Cette nouvelle religion a voulu exclure en priorité l’énergie nucléaire du dispositif alors qu’il était clair qu’elle ne concourait en rien aux émissions de CO2 jugées condamnables. Ainsi l’ « urgence climatique » considérée désormais comme le péril ultime à éviter a-t-elle conduit à effacer l’exigence de l’indépendance et de la diversification des sources. Était oublié aussi le problème de l’inexistence de capacités de stockages de l’énergie électrique. La « fin de l’histoire » professée par Hegel et Fukuyama et mal interprétée par le public, trouvait sa traduction dans une poussée de fièvre mondiale ignorant les vieilles règles qui avaient permis l’approvisionnement d’une énergie abondante et bon marché assise sur une multiplication des sources.

Des élites européennes blâmables

Et c’est ainsi que l’Europe, à quelques exceptions près, s’est laissée endormir par la soumission au meilleur prix et donc à la dépendance. En développant les gaz de schiste et l’exploitation des sables bitumineux, pourtant couteux, l’Amérique du Nord faisait un autre choix, celui de l’indépendance. L’Europe, au contraire, en attaquant l’énergie nucléaire en Allemagne, en Belgique et bientôt en France, en multipliant les énergies intermittentes (et dépendantes des centrales à charbon, fioul ou gaz comme source de secours) et couteuses, s’est à la fois éloignée des réalités (vaincre les émissions de CO2 en particulier), a augmenté les coûts et s’est mise en état de dépendance à l’égard de la Russie et son gaz. L’Europe n’a même pas pris la précaution de construire des terminaux de gaz naturel liquéfié dans tous ses ports. Alors que l’invasion de la Crimée en 2014 était suivie de sanctions inefficaces (la guerre en Ukraine en est la preuve), pas un pays n’a évoqué la possibilité d’investir pour une diversification des sources, seule possibilité de réellement montrer à la Russie que la manière n’avait pas été convenable à l’égard de l’Ukraine.

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Tous les avertissements des techniciens demandant de poursuivre le développement nucléaire ont été vains. La France a abandonné le programme Astrid (neutrons rapides, programme permettant d’utiliser les déchets comme combustible ainsi que l’uranium appauvri) en 2019, tandis que la Belgique décidait comme l’Allemagne de fermer ses derniers réacteurs nucléaires. Et encore aujourd’hui, alors que l’on annonce en grandes pompes versaillaises de nouvelles sanctions sur les produits de luxe, aucune décision n’est prise par tous ces pays sur la prolongation de l’exploitation nucléaire.

Qu’il soit bien clair : la multiplication des énergies intermittentes et le combat contre le nucléaire sont les raisons principales de notre dépendance au gaz (et au charbon). Si l’on estime pour certains de ces pays européens que l’existence de terminaux gaziers est impossible, et que le gaz de schiste existant en Europe doit être conservé dans notre sous-sol, cela signifie que notre économie européenne sera durablement dépendante de notre voisin russe.




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Industriel, consultant, auteur, chroniqueur, bloggeur. Dernier ouvrage 'Pour une France Industrielle

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