Accueil Économie Europe fédérale : c’est oui ou c’est non ?

Europe fédérale : c’est oui ou c’est non ?


Sans en exagérer la portée, comme le fait l’UMP, on constate que le fameux « couple franco-allemand » traverse une zone de turbulences depuis l’élection de François Hollande. Quoique Merkel et Hollande soient d’accord sur l’essentiel, c’est-à-dire sur l’« Europe politique » comme objectif stratégique à atteindre à moyen ou long terme, ils semblent profondément diverger sur les moyens d’y parvenir.

Angela Merkel est prête à mutualiser les dettes des pays européens et donc à payer un taux d’intérêt plus élevé pour permettre aux Français, aux Espagnols, aux Italiens et aux Grecs de payer moins. A une condition : que ces pays acceptent de passer leurs budgets nationaux sous la toise du contrôle européen. Autrement dit, en échange des « eurobonds », Berlin exige un ministère européen des finances et des budgets.

De ce côté-ci du Rhin, la nouvelle majorité socialiste souhaiterait renverser l’ordre des choses : que l’Allemagne délie d’abord les cordons de sa bourse. Eurobonds d’abord, ministère européen des finances et des budgets ensuite : la France entend tirer les conclusions tactiques de l’échec du Traité Constitutionnel Européen. Pour Hollande, le non de 2005 n’est qu’un échec temporaire qui ne doit pas remettre en cause une stratégie européenne vieille de cinquante ans : puisque les peuples rechignent à construire une Europe fédérale, avançons sur le front de l’union économique pour préparer les esprits à l’union politique.

Bernard Cazeneuve, le ministre français des Affaires européennes, ancien noniste – comme son ministre de tutelle Laurent Fabius – expose cette logique d’une manière limpide : « la priorité n’est pas de mettre en chantier une nouvelle réforme institutionnelle » longue et laborieuse car la crise actuelle nécessite des « réponses urgentes ».

Mais il ne s’agit bien évidemment pas que d’un problème de délais. Le fond de l’affaire, explique Cazeneuve, est qu’une réforme aussi ambitieuse ne peut être envisagée sans un large soutien des peuples, inaccessible aussi longtemps que l’Union Européenne n’aura pas fait la démonstration de sa capacité à répondre à la crise. « Sans ces réponses, précise-t-il, la crise démocratique et la crise économique et financière se conjugueront au risque de ruiner les efforts accomplis pour intégrer davantage nos processus de décision politiques. C’est la raison pour laquelle la réforme institutionnelle ne peut être un préalable aux réponses urgentes qu’appelle la crise ». Diplomatie oblige, le ministre français des Affaires européennes propose des formules qui pourraient permettre à Merkel de consentir à un compromis sans perdre la face ni les prochaines élections allemandes : « La France est favorable à l’approfondissement de l’intégration européenne au plan politique. Celle-ci doit inclure la dimension fiscale et sociale et assurer un haut niveau de protection des salariés et des services publics forts ». En clair, comme contrepartie des Eurobonds, en lieu et place du ministère des finances exigé par Berlin, Hollande aimerait proposer à Merkel un ministère européen du Travail et des Affaires sociales. Gageons que Moscovici n’aurait pas accepté une telle proposition !

Si en Allemagne l’adhésion à la position de Merkel dépasse les frontières de son camp politique – il n’est pas sûr que le SPD accepterait le projet d’Eurobonds – ce n’est pas le cas en France. Les récents commentaires de Bruno Le Maire révèlent un alignement des positions de l’UMP sur la ligne allemande (ce qui n’enlève rien à la légitimité de cette opinion) de maîtrise des budgets nationaux comme condition préalable à la mutualisation de la dette. Mais sur le fond, c’est-à-dire sur le fait que l’« Europe politique » reste l’horizon politique de la France, ancienne et nouvelle majorité sont d’accord. Or, dans les deux camps, au delà des divergences entre dirigeants actuels du PS et de l’UMP, cette question pose des problèmes idéologiques majeurs restés irrésolus depuis le référendum de 2005. A gauche, au PS en particulier, la crise du « non » de 2005 a été, au mieux, plâtrée et à droite il s’agit d’une véritable bombe à retardement.

Si aujourd’hui la bataille UMP-FN se focalise sur ce qu’on appelle « les valeurs » – termes vagues qui désignent en fait les positions vis-à-vis de l’islam, de l’immigration et de la lutte contre la criminalité – le vrai fossé idéologique est bien évidemment du côté de l’Europe et de l’euro. Comment différencier autrement quelqu’un comme Florian Philippot d’un Droite pop’ pur sucre comme Jacques Myard voire d’une sarkozyste dure comme Nadine Morano ?

Or, si on peut facilement envisager un compromis UMP-FN sur la laïcité, la sécurité et la politique migratoire[1. Au passage, vu le volte-face de Hollande au sur le vote des étrangers, même un compromis FN-PS sur « les valeurs » n’est pas inenvisageable !], sur la question européenne il semble impossible de faire converger leurs positions diamétralement opposées. Ainsi, si la solution passe par une Europe politique, celle-ci pourrait bientôt déboucher sur une crise politique et démocratique qui n’aura rien à envier à sa sœur aînée, la crise économique et financière.

La seule manière de crever cet abcès est d’arrêter de mentir : l’Europe est d’abord un projet politique visant la stabilité, la démocratie et la paix sur le Vieux continent. L’Europe a soutenu à coup de milliards des anciennes dictatures fascistes (l’Espagne, le Portugal et la Grèce) et plus tard les « démocraties populaires » des pays de l’Est pour y implanter durablement la démocratie dans sa version occidentale et libérale. Dans cette histoire, l’économie ne fut que l’instrument principal au service de cette fin. L’Europe est donc avant tout politique et c’est en tant que telle qu’il faut l’accepter ou la rejeter.

*Photo : Robin Hood Tax



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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