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Et si la monarchie, c’était la solution?


Et si la monarchie, c’était la solution?

juan carlos espagne

Moi, j’aime les monarchies, comme tout Français républicain, vraiment républicain. Ce sont les démocrates qui n’aiment pas les monarchies parce que les démocrates sont persuadés que la somme des intérêts particuliers est supérieure à l’intérêt général. Le républicain, lui, est certain du contraire. Pour lui, la nation est une donnée spirituelle de l’histoire, quelque chose qui lui survivra, qui survivra à la puissance dissolvante de la mondialisation spectaculaire-marchande, aux éphémères constructions supranationales, à l’instar de l’UE,  qui vivront ce que vivent les roses du libéralisme. Et ce quand nous serons enfin sortis de l’irréalité de la valeur d’échange, aurait dit Marx, pour retrouver la jolie figure de cette jeune fille séquestrée depuis des lustres dans les culs-de-bas de fosse du capitalisme : la valeur d’usage.

C’est pourquoi on peut aimer les monarchies en étant républicain, les monarchies qui sont une façon d’incarner la nation, de lui donner un corps réel, légitimé par l’histoire. Et l’histoire, c’est un mode de légitimation tout de même un peu moins cheap qu’un scrutin qui donne temporairement à un clan le droit d’imposer sa volonté à un autre. Péguy, qui s’exclamait, « La république, notre royaume de France » avait parfaitement compris la chose.

C’est ces quelques ronchonneries un peu réacs, j’en conviens, qui me sont venues à l’esprit quand j’ai appris, assez chagriné, le  discrédit grandissant dont souffre Juan Carlos. Pour ses 76 ans, la presse espagnole lui a fait un vilain cadeau : un sondage indiquait dans El Mundo de dimanche que 62% des espagnols souhaitaient que le roi abdique en faveur de son fils, et, pire encore ; qu’une courte majorité, pour la première fois depuis son accession au trône en novembre 75 où Franco est définitivement allé mieux en allant au cimetière à pied[1. Ceux qui ont connu la presse satirique des années 70 saisiront l’allusion. Les autres n’ont qu’à chercher.], rejette la monarchie dans son ensemble. Je comprends le mélange de colère et d’écœurement des Espagnols. Depuis deux ans, Juan Carlos, ce n’est plus ça. Il s’est fait photographier non pas en fumant des cigarettes avec des SDF sur les Quais (un roi n’est jamais démagogue, contrairement à un élu, car un roi a un plus joli costume, parfois même un uniforme et n’a donc pas besoin de flatter le chaland par des menteries électoralistes) mais au Botswana devant un éléphant mort au cours d’un safari qui devait valoir à la journée quelques centaines de salaires moyens espagnols, enfin pour ceux qui ont un salaire et ne suicident pas dans un appartement avec un crédit sur cinquante ans dont ils vont pourtant être expulsés par des banques – par ailleurs renflouées par leurs impôts.

C’était la première vraie maladresse d’une série d’un roi qui avait pourtant été jusque-là un modèle et non seulement avait assuré la transition démocratique mais avait déjoué plusieurs tentatives de putsch, dont celle, bouffonne mais potentiellement dangereuse, du colonel Tejero un jour de février 81[2. On pourra lire sur le sujet le grand roman de Javier Cercas, Anatomie d’un instant (Actes Sud)]. Il avait suffi qu’il paraisse à l’écran, qu’il explique qu’il était le garant de la constitution et qu’il faudrait lui passer sur le corps si l’on voulait en finir avec la constitution. Essayez d’imaginer au hasard aujourd’hui la même scène et la même situation avec un chef d’Etat postmoderne dont tout le monde sait qu’il est là pour servir avec plus ou moins de zèle des intérêts supranationaux et financiers qui se présentent comme indispensables à la marche du monde. Ce ne sont pas avec leurs discours calibrés de technocrates tous identiques d’un pays l’autre, leur charisme d’huitres à lunettes, qu’ils pourraient empêcher des blindés de prendre position aux carrefours stratégiques. Et Juan Carlos avait ainsi gagné une légitimité autrement plus forte que celle donnée par des élections ou même un referendum. La preuve, le lendemain du putsch, la principale force antimonarchiste, celle du parti communiste espagnol, par la voix du vieux loup rouge Santiago Carrillo qui avait en son temps participé aux combats républicains de fin 36 pour défendre Madrid contre les fascistes, s’inclinait devant le jeune monarque et murmurait en lui serrant la main « Dieu sauve le roi ».

Oui, on peut comprendre l’exaspération du peuple espagnol à qui on a pourtant envie de dire : « ne jetez pas le bébé de la monarchie avec l’eau du bain de quelques scandales. »  Il faudrait aussi leur rappeler que l’Union Européenne  a tout intérêt à casser les nations, à favoriser les ethnorégionalismes, (cf la charte sur les langues régionales) et à regarder d’un œil faussement neutre mais avec une lueur de joie mauvaise au fond de la pupille, l’arrogance catalane, ou ailleurs la nouvelle étape de fédéralisation qui arrive en Belgique sous la pression nationaliste flamande, vidant un peu plus l’état de sa substance.

En Espagne, en Belgique mais aussi au Royaume-Uni où un referendum écossais sur l’indépendance s’annonce à haut risque, qu’est-ce qui permet à ces pays ne  pas se déliter complètement, façon Yougoslavie : le corps du roi, sa présence réelle. C’est toujours plus compliqué d’en finir avec un chef d’Etat qui est à la fois un être humain et un symbole. L’UE a beau se montrer de plus en plus impérieuse, on ne bouscule pas comme ça un monarque. On remarquera d’ailleurs que les trois pays qui pourraient l’être mais ne sont pas dans la zone euro de leur propre volonté sont trois monarchies : Royaume-Uni, Danemark et Suède. Il est vrai que remplacer une reine ou un roi sur les faces des billets par des monuments qui n’existent pas, ce n’est pas très sexy. Je porte moi-même le deuil de Montesquieu, Delacroix, Quentin de la Tour remplacés par des aqueducs dessinés par ordinateur.

Et puis l’autre avantage d’une monarchie, ce n’est pas seulement d’incarner, d’avoir de beaux billets, c’est de rendre impossible que soient un jour chef de l’Etat, je ne sais pas moi, Nadine Morano par exemple. Ne riez pas, un accident électoral est vite arrivé. Vous avez bien, les deux dernières fois, élu des présidents qui n’aiment ni le vin ni les romans, autant dire des contrôleurs de gestion, en fait. Si c’est comme ça que vous croyez éviter la dissolution définitive dans une Union Européenne qui transforme un continent en galerie commerciale, vous vous faites des illusions.

Non, par moment, je me demande s’il ne nous faudrait pas un roi. Il suffirait juste de lui expliquer de ne pas aller de faire de parties de chasse au Botswana et de prendre des ministres communistes.

*Photo : TabascoEye.



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