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Entre peur et idéologie, l’école abandonne la laïcité

Dans les faits, elle n'est absolument pas garantie


Entre peur et idéologie, l’école abandonne la laïcité
Un lycée nantais. ©ALAIN LE BOT / PHOTONONSTOP

Au-delà des gesticulations du ministère, rien n’est fait pour assurer la laïcité à l’école. Sous pression, certains éducateurs ont peur de l’enseigner ; d’autres la refusent carrément…


« Pas de vague » disaient-ils. Pourtant, le tsunami du hashtag maritime n’en est qu’à ses premiers effets. Dès le reflux des flots, devrait apparaître ce qui était sous nos yeux, mais que certains se refusaient à  voir, par angélisme ou par intérêt : l’action de défense de la laïcité à l’école, fer de lance d’une politique revendiquée comme volontariste, repose sur de bien fragiles pilotis.

53% des enseignants en REP avouent qu’ils se sont déjà « autocensurés » 

A la lumière des récits d’abandon des troupes par la hiérarchie qui inondent le web, on peine à croire que les enseignants soient en mesure de lutter efficacement sur tous les points d’attaque de la laïcité. Dans un tel contexte, il est en effet légitime que « l’intelligence des acteurs de terrain », soit avant tout consacrée à protéger leur intégrité physique et psychique en esquivant les risques. Et, si l’on ajoute à ce réflexe humain de préservation, le choix idéologique de certains d’adhérer à une conception accommodante de la laïcité, la lecture du sondage IFOP sur les enseignants et la laïcité de janvier 2018 a de quoi inquiéter.

Quelques exemples. Alors que la circulaire de septembre 2013 précise que « dans les écoles et établissements d’enseignement publics, la Charte de la laïcité à l’École est affichée de manière à être visible de tous », 34% des sondés issus des lycées et collèges, et 23% de ceux du primaire n’ont pas la certitude qu’elle l’est dans leur établissement. La question de la Charte et des territoires demeure donc d’actualité. Plus grave, 32% des enseignants hors REP et 53% en REP avouent qu’ils se sont déjà « autocensurés dans leur enseignement afin d’éviter de possibles incidents provoqués par certains élèves ». Enfin, 20% des sondés signalent des actes de contestation de la loi sur le port des signes religieux à l’école de 2004 par… des enseignants et membres du personnel eux-mêmes !

La montée des eaux du réel est implacable et les digues que Jean-Michel Blanquer a construites, aussi haut que la Macronie le lui permettait, risquent de n’y point résister.

L’héritage bien vendu de Najat Vallaud-Belkacem

Il est vrai que certains indices auraient dû nous alerter dès le lancement de l’opération « Conseil des Sages ». Pourquoi devoir recourir à un tel conclave pour rédiger un vadémécum qui se révèle n’être, en définitive, que la compilation de textes de loi et de jurisprudences en vigueur sur la laïcité en milieu scolaire ? Il est certes fort utile et synthétique, mais la conception d’un tel outil du quotidien ne relevait-elle pas des cadres du ministère dont son administration regorge ?

Plusieurs hypothèses sont possibles autour de ce choix, dont aucune n’est rassurante. La première est la connaissance par Jean-Michel Blanquer des dysfonctionnements du système et du « principe de l’avalanche ». Cette technique de management pathogène, consiste à submerger le terrain de textes et notes de services lorsque les consignes qu’ils contiennent peuvent être sources de problèmes pour la hiérarchie. Sur la question de la laïcité, cette méthode, corrélée à la lâcheté dénoncée par #Pasdevague, a permis aux difficultés de demeurer confinées au niveau du terrain, sans atteindre l’encadrement. Peut-être le ministre a-t-il donc fait le choix de confier la conception d’un outil réellement opérationnel à des experts non contaminés par ce travers, car déconnectés de toute responsabilité dans sa mise en pratique ? La deuxième possibilité est la nécessité de sanctifier cet évangile car, actuellement, la seule existence de ces règles de droit ne suffit plus à en assurer une légitimité permettant son application. Enfin, et c’est peut-être là le plus terrible, mettre dans un écrin de prestige un outil relevant de la routine administrative était la seule marge de manœuvre dont disposait ce ministre, lucide sur l’urgence, pour maximiser son action sous contrainte du contexte macroniste.

Quant aux adjuvants de la recette, formation et référent laïcité étaient déjà les moyens mis en vitrine par Najat Vallaud-Belkacem. Or, dans le sondage déjà cité, 94% des enseignants disent n’avoir toujours reçu aucune formation continue sur le sujet et, parmi ceux qui l’ont eue, 40% la jugent de mauvaise qualité. Quant à l’action des référents laïcité des rectorats, 47 % la jugent inutile.

Pourtant, reconnaissons que la gestion marketing du vadémécum a été efficace. En vertu du théorème de la lampe torche qui dit que « tout cercle de lumière puissamment orienté sur un sujet génère par contraste une obscurité profonde hors du halo », l’attention de l’opinion publique a été habilement orientée sur l’aspect juridique de la problématique, la détournant d’un légitime questionnement sur la mise en pratique de l’outil. Le silence syndical prudent sur le sujet a fait le reste.

L’inconscience des profs

Mais le réel s’obstine. La déferlante « Pas de vague » révèle l’impuissance des enseignants, l’abandon par la hiérarchie, l’impossibilité à agir par simple dialogue sans sanctions significatives, face à la violence et aux  remises en cause de leur autorité. De plus, le sondage IFOP de janvier révèle que seulement 59% d’entre eux pensent la laïcité en danger alors que 72% du reste de la population en est persuadé. Les 41 % qui ne semblent pas s’alarmer, pourcentage déjà important en soi, sont-ils capables d’identifier les dérives et sont-ils motivés pour les combattre ? Qui sont-ils ? Ne risquent-ils pas, par moindre motivation, d’éteindre la volonté d’agir de collègues plus concernés ? Leur confiance en l’état des choses est-elle due au fait qu’ils travaillent dans des zones préservées de toute remise en cause ou, au contraire, sont-ils tous en REP et ne voient-il rien à redire aux atteintes à la laïcité recensés dans les rapports ?

Enfin, il y a ces failles que la forme lisse et calculée du vadémécum laisse malgré tout apparaître. « Les intervenants extérieurs ont le droit au même titre que les parents d’élèves de manifester ostensiblement leurs convictions philosophiques ou religieuse mais ne peuvent faire acte de propagande ou de prosélytisme religieux. » L’évaluation du caractère prosélyte ou propagandiste est bien évidemment renvoyée à l’estimation du directeur ou du chef d’établissement. Les restrictions « ne peuvent être générales et systématiques et doivent être justifiées au cas pas cas ».

Le vadémécum constitue donc un écrit dont l’interprétation peut fluctuer selon les paramètres du système de négociation que sont la radicalité et la maîtrise de ses failles par les parents et les élèves, la force des groupes porteurs de revendications, l’interprétation des faits et la capacité de fermeté des directeurs. A ce propos, le Printemps républicain a d’ailleurs offert cet été, à son corps défendant, une belle illustration de ce que donne la subjectivité de l’interprétation. Sa remise d’un prix de citoyenneté à Latifa Ibn Ziaten a engendré parmi les adhérents et sympathisants un débat musclé, illustrant que, pour une même personne dont les actes sont largement médiatisés, la perception du prosélytisme de son port du foulard à l’intérieur des établissements scolaires ne fait pas consensus. Comment imaginer qu’il en aille autrement pour un intervenant quelconque dont le profil est bien moins connu ?

Calcul électoraliste et peur de l’embrasement des territoires

Enfin, l’Education nationale occulte la dynamique de pression sociale communautaire. Elle contribue à travestir les enjeux, en prétendant qu’il ne s’agit que d’une question de dialogue et de pédagogie à mener d’individu à individu, alors qu’elle est la preuve même que ces vecteurs, employés depuis des décennies, ont échoué à transmettre le respect de règles et principes fondamentaux de notre culture à une part non négligeable de la population.

Une fois encore, la peur du « face à face » de la prophétie de Gérard Collomb, pousse les acteurs politiques aux commandes à s’abstenir de traiter le problème au niveau où il se situe, c’est-à-dire en prenant la parole haut et fort depuis la tribune que le peuple leur a confiée. Par calcul électoraliste et peur de l’embrasement des territoires, la formulation claire des valeurs et pratiques non négociables de notre nation, en direction des groupes sociaux qui ne les partagent pas, n’est jamais exprimée. La lecture attentive du vadémécum et son rapprochement des faits d’actualité mettent à mal le postulat optimiste qu’une unicité de doctrine suffit à engendrer une mise en pratique ferme et homogène. Il est une expression de ce juridisme béat qui consiste à chuchoter derrière un paravent de textes, sans jamais évaluer la réalité de leur application. En ces temps de libération de la parole, cette approche ne devrait pas permettre bien longtemps de s’illusionner sur la portée des actions entreprises.

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est enseignante et ex-directrice d'école.

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