Accueil Édition Abonné Djokovic: jeu, serbe et match

Djokovic: jeu, serbe et match

La star monte au filet pour défendre son peuple


Djokovic: jeu, serbe et match
Novak Djokovic, Paris, 2 juin 2023 © Foto Olimpik/Sipa USA/SIPA

En déclarant « le Kosovo est le cœur de la Serbie. Stop à la violence », le joueur serbe a embarrassé les organisateurs de Roland Garros. Lors de sa qualification en huitième de finale du tournoi, vendredi, face à Alejandro Davidovich-Fokina, il a été sifflé par une partie du public alors qu’il faisait une longue pause comme il le fait parfois pour casser le match


Il avait endossé la cape de héros des antivax, début 2022, en se rendant en Australie pour y disputer le premier grand tournoi de tennis de la saison, avant d’en être expulsé manu militari. Il est revenu cette année à Paris, pour les habituels internationaux de France. Dans ce Roland-Garros du crépuscule des idoles, sans Federer et sans Nadal, Novak Djokovic part favori (surtout depuis l’élimination de Daniil Medvedev) mais n’a rien perdu de sa capacité à créer la polémique. Alors que les tensions reprennent dans le nord du Kosovo, et qu’une trentaine de soldats de la mission de l’OTAN (KFOR) viennent d’être blessés alors qu’ils tentaient de séparer Serbes et Albanais, le joueur de tennis a laissé un message sur la lentille d’une des caméras du court : « Le Kosovo est le cœur de la Serbie. Stop à la violence ». Un message qui a fait réagir la ministre des Sports, l’impayable et habituellement fort souriante Amélie Oudéa-Castéra.

Une affaire vieille de 600 ans

L’affaire serbo-kosovare nous renvoie 35 ans en arrière. Ou carrément sept siècles en arrière. Le 28 juin 1989, Slobodan Milosevic, président nouvellement élu de la Serbie, alors simple République de la vaste Fédération de Yougoslavie, prononce au Kosovo un discours aux accents martiaux, pour les 600 ans de la bataille du Champ des Merles (15 juin 1389). Alors que la Yougoslavie est encore un pays communiste pluriethnique et multiconfessionnel, le futur dictateur serbe commémore cette défaite infligée par les Ottomans aux troupes chrétiennes, réutilisée ensuite dans le récit national serbe comme le grand moment fondateur de la petite nation balkanique.

A lire aussi: Les curieux oublis d’un archiviste algérien

Entre temps, la population du Kosovo a bien changé, si bien qu’en cette fin des années 80, les Albanais, pour l’essentiel musulmans, constituent l’écrasante majorité de la population de la région. Déjà, peu après la mort de Tito, en 1981, un mouvement kosovar séparatiste né à l’université de Pristina avait suscité les premiers troubles en Yougoslavie. En annonçant dans son discours la fin de l’autonomie de la province, Milosevic met le feu aux poudres, moins au Kosovo dans un premier temps que dans les Républiques plus riches du Nord de la Fédération d’ailleurs (Slovénie, Croatie), avant que toute la région ne s’embrase dans la dernière guerre européenne du XXème siècle. Alors que la Fédération de Yougoslavie est réduite désormais à peau de chagrin et a vu Croates, Slovènes, Bosniens et Macédoniens se séparer de la Serbie, la séquence des guerres balkaniques se termine là où tout a commencé : entre 1997 et 1999, à la suite de la guérilla lancée par l’UÇK (Armée de libération du Kosovo), Belgrade réagit et réprime férocement les Albanais, ce qui ne fut guère du goût de l’OTAN. En mars 1999, la capitale serbe est bombardée par les forces occidentales, 58 ans presque jour pour jour après son bombardement par les Nazis, dans un contexte où les uns et les autres s’accusent mutuellement d’être le nouvel Hitler, ce qui n’est pas sans rappeler l’actuel conflit russo-ukrainien. Les frappes de l’OTAN sont réputées chirurgicales, encore qu’elles n’épargnent pas l’ambassade de Chine, épisode loin d’être oublié à Pékin. En France, l’affaire divise les intellectuels et les politiques, suivant peu ou prou la démarcation qui délimitait les pro et les anti-Maastricht, entre les partisans du devoir d’ingérence et ceux (du Monde diplomatique à la Nouvelle Droite) qui considéraient que la Serbie souveraine était bien en droit de reprendre le contrôle sur son territoire. Et puis, après tout, la Serbie a été l’alliée de la France en 14-18, et elle a opposé l’une des Résistances les plus opiniâtres contre le IIIème Reich…

Les vedettes sportives montent au filet

Pendant près de dix ans, le Kosovo, à grand renfort de casques bleus, est une zone intermédiaire, plus tout à fait province serbe mais pas encore État indépendant. C’est chose faite en février 2008, à la grande colère de Belgrade. Désormais, c’est la population serbe du Kosovo qui découvre la condition de minorité, voyant ses monastères pillés ou vandalisés. Tout à l’Est de l’Europe, cette manie des Occidentaux à remodeler les frontières à leur guise n’est pas passée inaperçue ; quelques mois plus tard, Dmitri Medvedev envoyait ses troupes en Géorgie pour venir à la « rescousse » des Abkhazes et des Ossètes. De là à dire que ce fut le point de départ de l’hybis poutinienne…Dans cette immense région de sport, les vedettes sportives serbes n’ont jamais caché leur sentiment patriotique et leur attachement au maintien du Kosovo dans la Serbie. En 1999, l’attaquant de Metz, Vladan Lukic, quitte ainsi précipitamment le football et la Moselle pour revêtir l’uniforme serbe. Le footballeur Nemanja Matic, passé par Manchester United, refuse en 2018 de son côté de porter le coquelicot arboré chaque année par les joueurs du championnat anglais et rendant hommage aux soldats britanniques morts pendant les guerres : « Je compatis totalement avec tous ceux qui ont perdu des êtres chers à cause d’un conflit. Cependant, (le coquelicot) me rappelle l’attaque que j’ai vécue personnellement lorsque j’étais un jeune garçon de 12 ans, effrayé et vivant à Vrelo, alors que mon pays était dévasté par le bombardement de la Serbie en 1999 ». Djokovic, quant à lui, n’a jamais fait mystère de son patriotisme et de sa défense des Serbes du Kosovo, où il est perçu comme un héros national. Une position inconcevable aux yeux de ceux qui ont approuvé chaque étape du démantèlement de la Yougoslavie mais qui peut s’apparenter, finalement, à celle d’un Français de la Belle Epoque, nostalgique des provinces perdues en 1871…




Article précédent Douze fois Etienne Daho
Article suivant George Sand et Gustave Flaubert, intimes
Professeur démissionnaire de l'Education nationale

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération