CON-TEX-TU-A-LI-SER !


CON-TEX-TU-A-LI-SER !
Coran sur un tapis de prière à Nuremberg le 28 avril.© Dwi Anoraganingrum/Action/SIPA Numéro de reportage : 00958975_000008

Si la nécessité de contextualiser le Coran existe, elle ne doit en aucun cas servir à justifier certains passages.


ASSEZ ! Assez d’hypocrisie, assez de mensonges, assez de déni ! Après chaque attentat, ce sont les mêmes débats, les mêmes échanges, arguments et contre-arguments, comme des passes d’armes ritualisées dans un film de cape et d’épée. Entre le refus d’admettre la responsabilité de l’islam, les mauvaises excuses, et les réponses presque automatiques à toute critique de cette religion.

Certains nous expliquent pompeusement que des fanatiques tuant au nom de l’islam en hurlant « Allahu Akbar » n’auraient rien à voir avec l’islam – mais, étrangement, les mêmes nous expliquent aussi que ces fanatiques ne feraient que réagir aux « provocations contre l’islam », alors qu’on saisit mal comment quelqu’un pourrait réagir à des provocations envers une chose avec laquelle il n’aurait rien à voir.

Ceux qui affirment que pour mettre fin au jihadisme il faudrait arrêter de « provoquer » les musulmans ne valent pas mieux que ceux qui disent d’une femme violée qu’elle l’a « bien cherché » parce que sa jupe, son décolleté ou son attitude était « provocants ». Aux yeux de la bien-pensance, tout comme on ne saurait reprocher à un moustique d’être attiré par la lumière, on ne saurait reprocher à un musulman de répondre par la violence et la haine à un dessin de son prophète. C’est que, comprenez-vous, pour la doxa de gauche les musulmans ne sont pas tout à fait dotés de libre-arbitre, ils ne sont pas tout à fait humains….

Il y a aussi ceux qui affirment que tout ne serait que la résultante de conditions socio-économiques : trop peu de milliards auraient été injectés dans les multiples « plans banlieues », il n’y aurait pas assez de services publics dans ces quartiers où les agents de ces services sont systématiquement agressés et où même les pompiers se font caillasser, et ainsi de suite. Pour eux, ce ne sont pas les musulmans qui seraient dépourvus de libre-arbitre, mais les « classes populaires ». Ou les « minorités » : nouveau critère à la mode pour tout expliquer à partir du double postulat que les Blancs sont méchants par nature mais néanmoins coupables de l’être, alors que les « racisés » sont nécessairement innocents et le restent quoi qu’ils fassent car ils ne sont jamais vraiment responsables de leurs actes. Un peu comme d’éternels enfants, ou des animaux insuffisamment évolués…. Oui, l’indigénisme est un racisme infâme.

Aux adeptes du « tout sociologique », il est bon de rappeler le travail remarquable de Gabriel Martinez-Gros. Historien, spécialiste d’Ibn Khaldoun et d’Al Andalus, voici ce qu’il écrit :

« Ce choix de l’islam, effectué par des millions de militants dans le monde, n’est ni fortuit ni superficiel. Tout étudiant en sciences humaines sait – ou devrait savoir – qu’il est impossible d’analyser un phénomène – ethnologique, sociologique, historique – hors des mots dans lequels il se donne. Imagine-t-on d’analyser le nazisme comme on prétend aujourd’hui analyser le djihadisme, en détachant sa « base sociale » de son « propos idéologique » ? On en conclurait que les nazis furent des ouvriers malchanceux, des petits commerçants ruinés par la crise, des intellectuels au chômage, des ratés du système capitaliste…. La guerre mondiale, la hiérarchie des races, l’extermination des juifs? Simple habillage infantile d’une violence de deshérités…. »

Et il dénonce l’aveuglement de « la gauche en particulier, qui ne veut voir que problèmes sociaux là où éclate l’évidence d’un choix politique » et de ces états qui « ne permettent à personne d’imaginer que les « barbares » de leurs banlieues sont autre chose que des civilisés potentiels, malheureux d’être privés des bénéfices de la civilisation. Un délinquant, surtout s’il est jeune, a dû manquer d’affection, d’école, de soin, de théâtre, d’art, de salle de sport…. de mille autre choses sans doute à condition qu’on les fasse précéder du verbe « manquer ». »

Il y a, enfin, ceux qui utilisent en boucle des réponses devenues rituelles à toute critique de l’islam et de sa doctrine, notamment telle qu’elle est exposée dans le Coran. Vous les connaissez sûrement : il faut contextualiser ; le Coran serait intraduisible ; l’indémodable « cépaçalislam » ; les musulmans seraient l’équivalent moderne de ce qu’étaient les juifs dans les années 30 ; la fameuse « islamophobie d’état française » ; « oui mais les autres religions » souvent accompagné de « oui mais dans la Bible » et « vous ne critiquez que l’islam » ; et enfin l’invocation de la liberté de culte comme vision totalement dévoyée de la laïcité.

A ces sept mensonges, je répondrai par sept rectifications : sept articles. Plus deux. D’abord cette introduction, bien sûr, puis une conclusion qui je l’espère appuiera encore plus fort là où ça fait le plus mal.

Lorsque vous évoquez le caractère moralement inacceptable de certains versets du Coran, vous êtes à peu près sûr que rapidement un défenseur autoproclamé de la religion musulmane s’invitera dans le débat pour sortir de sa manche ce qu’il croit être un joker absolu : il faut CON-TEX-TU-A-LI-SER ! Et il vous le dira sur le ton pontifiant de celui qui s’imagine avoir tout compris. Pensez donc : vous n’avez étudié que quelques milliers de pages de travaux historiques et théologiques, rencontré des dizaines d’imams, de croyants, d’apostats, mais lui, qui a écouté une conférence de Tariq Ramadan et lu au moins trois fils twitter sur le sujet, il sait.

Contextualiser, donc. Est-ce nécessaire ? Oui. Est-ce que ça fonctionne comme le prétendent ceux qui voudraient en faire un argument magique ? Non.

De toute évidence, il faut replacer un texte dans son contexte pour le comprendre. L’auteur, quel qu’il soit, s’adresse à des personnes dont il considère qu’elles ont certaines références, et il s’appuie sur ces références pour faire passer son message. Les quelques lignes qui précèdent en sont un exemple : les traduire d’une manière qui les rendrait intelligibles pour Cicéron supposerait une quantité absolument effarante de notes complémentaires. Non pas parce que le Consul aurait du mal à comprendre le fond de mon propos : au contraire même, j’ai lu assez de ses écrits pour savoir que tout ce que je veux exposer ici lui apparaîtrait comme des évidences. Mais allez donc lui expliquer ce que sont le Coran, l’islam, un joker, un fil twitter ou Tariq Ramadan ! Tiens, essayez déjà d’expliquer à un enfant d’aujourd’hui une blague des Guignols de l’Info du début des années 90, vous allez voir. Si le remarquable Coran des historiens dirigé par Guillaume Dye et Mohammad Ali Amir-Moezzi commence par un tome de 1014 pages intitulé Études sur le contexte et la genèse du Coran, ce n’est pas pour rien.

Les spécialistes du contexte ne sont pas les seuls à pouvoir avoir un avis sur un texte

Pour autant, les spécialistes du contexte sont-ils les seuls à pouvoir avoir un avis sur un texte ? Bien sûr que non ! Quand Cicéron, encore lui, écrit « il y a plus de grandeur à être utile à tous qu’à disposer d’un immense pouvoir », nul besoin de savoir que les Romains toquaient aux portes avec les pieds plutôt qu’avec les mains pour comprendre ce qu’il dit, pour y réfléchir, pour le critiquer. Oui, il est intéressant de savoir que cette phrase se trouve dans le De natura deorum, qu’elle fait référence au Dieu Suprême, et qu’elle est suivie par « ou du moins est-on ainsi davantage digne de respect et d’amour. » Il est même intéressant de connaître les religions et les débats théologiques d’alors pour pleinement l’apprécier. Mais le cœur du sujet n’est pas là, et ni un Égyptien du temps de Ramsès II, ni un Chinois contemporain de Confucius, ni un Français d’aujourd’hui n’ont besoin de la moindre contextualisation pour réfléchir à l’essentiel : la véritable grandeur réside-t-elle dans la puissance que l’on détient ou dans l’usage que l’on en fait ?

De toute évidence aussi, il faut replacer une personne dans le contexte de sa civilisation, de son époque et de son milieu pour la comprendre et éventuellement la juger. Reprenons l’exemple de Cicéron (que je remercie pour son aimable participation à cet article, gratias maximas). Il est évident pour tout le monde, du moins je l’espère, que ceux de nos contemporains qui pratiquent (ou voudraient rétablir) l’esclavage sont des ordures immondes. Et que l’esclavage est ontologiquement mauvais, une monstruosité en soi quel que soit le contexte. Or, Marcus Tullius possédait des esclaves (dont le célèbre Tiron). Est-ce que pour autant je considère le Pater Patriae comme une ordure immonde, ou un monstre ? Certainement pas ! Pourquoi ?

Parce qu’il y a une immense différence entre faire quelque chose de mal dans une société qui la considère comme parfaitement normale, et faire la même chose dans une société qui la considère comme profondément mauvaise. Ne pas réussir à aller contre le consensus pour faire mieux que le consensus est une chose. Mais aller contre le consensus pour faire pire que le consensus en est une autre. C’est pour cette raison que je me refuse à condamner le prophète de l’islam pour son mariage avec Aïcha : quiconque ferait la même chose aujourd’hui m’apparaîtrait comme un abominable criminel, mais dans le contexte où il vivait, il n’a fait que suivre le mouvement. Ce n’est évidemment pas très reluisant, mais ce n’est pas la même chose.

Pour autant, et c’est absolument fondamental, cette contextualisation ne s’applique qu’aux personnes. La moralité des pratiques ne change pas avec le temps. Cicéron n’était pas un monstre, mais l’esclavage en lui-même était déjà une monstruosité de son vivant – tout comme le fait d’épouser une fillette de 6 ans et de la déflorer à 9 ans était déjà en elle-même une monstruosité du temps du Prophète. Il faut contextualiser le jugement que l’on porte sur ces hommes avant de leur reprocher de ne pas avoir pris conscience du fait qu’il s’agissait de crimes, mais aucune contextualisation ne changera le fait que l’esclavage et la pédophilie ont toujours été des abjections, le sont, et le seront toujours.

La contextualisation ne marche pas pour défendre le Coran

Et nous en arrivons à la raison pour laquelle l’argument de la contextualisation ne marche pas lorsqu’il s’agit de défendre le Coran. Prenons par exemple les nombreux versets qui permettent l’utilisation des captives de guerre comme esclaves sexuelles (sourate 4 versets 3, 23 et 24, sourate 26 verset 6, sourate 33 verset 50, etc). C’était, hélas, une pratique courante dans l’Arabie de l’époque. La voir admise et même banalisée dans un texte humain, trop humain, nous choque – heureusement ! – mais ne saurait justifier un rejet en bloc de ce texte : ce serait un cas typique de « cancel culture », et on en connaît l’absurdité.

Par contre, il est absolument inacceptable que, lorsque l’on dénonce l’autorisation de cette pratique monstrueuse par le Coran, certains répondent « oui mais, le contexte. » Que les rédacteurs du Coran n’aient pas compris que cette pratique était abjecte est compréhensible, vu le monde dans lequel ils vivaient, mais leur ignorance ne rend pas la pratique du viol des prisonnières moins abjecte pour autant, et le contexte n’y change rien. Elle est mauvaise aujourd’hui, elle le sera demain, et elle l’était déjà au moment de la vie du prophète comme au moment de la rédaction du Coran.

Et ce qui pour un humain est un aveuglement tragique mais compréhensible devient, de la part d’une divinité, absurde ou monstrueux. Que la capacité des mortels à comprendre une divinité, et à exprimer pour d’autres ce qu’elle leur inspire dans secret de leurs âmes, soit conditionnée par la personnalité de ces mortels, leur culture, leur éducation, leur époque, ce devrait être une évidence. Mais l’islam sunnite (du moins depuis le massacre des mutazilites par les hanbalites) affirme que le Coran serait la parole d’Allah, non pas inspirée et donc imparfaitement retransmise par un intermédiaire humain, mais éternelle et incréée, dictée telle quelle, fidèlement répétée puis retranscrite sans altération.

Tenir cette position, c’est proclamer qu’Allah et donc l’islam cautionnent l’esclavage sexuel, ou au minimum qu’il existe un contexte dans lequel Allah et donc l’islam cautionnent l’esclavage sexuel (ajoutons-y le fait de considérer le « bel exemple » du prophète comme une source normative toujours valable, et c’est encore pire). Politiquement, une telle idéologie n’a pas sa place dans notre société. Théologiquement, un dieu digne de la vénération des humains ne peut pas avoir enseigné qu’il était légitime de capturer les femmes de ses ennemis pour les violer et en faire ses esclaves sexuelles.

Au final, le constat est simple : le Coran encourage la commission de crimes abominables.

Ne nous y trompons pas : la carte de la « contextualisation » n’est pas une relecture critique du texte coranique. Ce n’est pas l’ouverture vers un jugement moral digne de ce nom. C’est une concession du bout des lèvres, qui dit « c’est vrai, aujourd’hui nous trouvons ça mauvais, mais à l’époque c’était bien. » Non pas « les gens pensaient à tort que c’était bien » mais « c’était bien ». Sous-entendu : « et si les conditions de l’époque devaient être à nouveau réunies, cela redeviendra bien ».

Au final, le constat est simple : le Coran encourage la commission de crimes abominables. Ce n’est pas la totalité de son message, mais c’est une partie de son message. L’expliquer est parfaitement légitime, et même nécessaire. En revanche, le nier ou pire, tenter de le justifier y compris par l’argument de la contextualisation, c’est s’en rendre complice. C’est, en conscience, cautionner l’abjection. C’est, en soi, criminel.



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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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