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Comment écrire un roman historique — et pourquoi


Comment écrire un roman historique — et pourquoi
Image d'illustration.

Lassé d’écrire des essais sur l’Ecole que bien des gens approuvent mais que personne n’applique, notre rédacteur, depuis l’année dernière, est revenu à ses premières amours — le roman. Et plus précisément le roman historique. « Mais pourquoi diable ne pas parler de la France d’aujourd’hui, avec une jolie fiction pleine de LGBT++ et de « racisés » de toutes les couleurs ? Le présent vous dégoûte à ce point que vous alliez vous réfugier au XVIIe siècle ? » Réponse circonstanciée.


Il n’y a que deux façons d’écrire un roman historique.
– Soit vous choisissez une période indéterminée, sur laquelle personne ne sait trop rien — par exemple les « dark ages » qui sévirent en Grèce entre le XIe et le VIIIème siècle av. JC, ou les temps de désordre qui suivirent, en Angleterre, la chute de l’empire romain – toute la légende arthurienne est sortie d’un tel choix. « Entre le temps où les océans engloutirent l’Atlantide, et l’avènement des fils d’Arius, il y eut une époque inouïe, où s’avança Conan, destiné à poser la couronne d’Aquilonia sur un front troublé… » Ainsi commence la légende de Conan le Barbare, de Robert E. Howard (1906-1936), l’inventeur de l’heroic fantasy. Ou La Guerre du feu, de Rosny Aîné : en 1911, année de sa publication, on ne savait rien de bien certain sur les « âges farouches »…
– Soit vous prenez au contraire une période que vous connaissez à fond, et pour laquelle vous avez une attirance irrésistible. Pour moi, les XVIIe et XVIIIe siècles. Et là, historique et le décor.
(Il y a bien sûr le cas de Dumas, qui connaissait toute l’Histoire de France et a écrit des romans qui couvrent un champ considérable, du XVIe au XIXe siècle. Mais qui oserait se comparer à un tel géant ?)

Évidemment, le problème est d’informer assez le lecteur inculte d’aujourd’hui sans trop avoir l’air de lui faire un cours. Et d’entremêler à l’Histoire une fiction crédible — sans pour autant s’astreindre à n’user que du vocabulaire du temps, mais en évitant les anachronismes.

L’Histoire — la grande, celle que l’on étudiait jadis à l’école — est le tissu de votre livre. La fiction, c’est la coupe, et le style, ce sont les coutures. En pratique, 90% de votre livre est écrit par l’Histoire, mais ne fonctionne qu’après adjonction d’un fil fictionnel. Tout comme les personnages historiques ne reprennent vie que lorsqu’on les confronte à des êtres de fiction. Dans Soleil noir, paru l’année dernière, Louis XIV ou le Grand Condé étaient les interlocuteurs de Balthazar Herrero, descendant (imaginaire) de Maures espagnols réfugiés en France (ça, c’est un fait vrai, une partie de ma famille en est issue), médecin rompu à tout ce que l’art médical faisait de mieux vers 1685, non seulement à Montpellier, son alma mater originelle, mais à Pise ou en Orient. Pézenas, Versailles ou le château d’Enghien forment le décor « historique », les contrées demi-sauvages qui séparent les Cévennes de l’Île-de-France également.

A relire, du même auteur: Mousquetaires et misérables : Dumas ou Hugo ?

Dans Les Nuits de Topkapi, qui vient de sortir, j’ai déplacé ce héros-médecin dans le décor tourmenté de la Constantinople turque, puis dans les déserts de Syrie et de Judée — ou de Palestine, comme disaient les Romains. Ça tombe bien, j’y suis allé.
Et le troisième tome sur lequel je travaille se passera, pour l’essentiel dans les collines des Cévennes pendant la guerre des Camisards.

Quant au reproche selon lequel je serais la première victime (ou le premier bénéficiaire) de cette littérature d’évasion, il tombe à plat lorsqu’on se souvient que Georg Lukács a analysé la « double historicité » des romans -historiques. Ils ne se contentent pas, explique le grand critique hongrois des années 1950-1960, de raconter les siècles passés, ils parlent, de biais, du siècle de leur rédacteur. Dumas, déçu par le côté « bourgeois » de Louis-Philippe, est allé chercher au XVIIe siècle les figures héroïques qui lui manquaient pour se satisfaire de la réalité — et au passage il a ressuscité son père, réincarné en quatre mousquetaires incarnant l’habileté aux armes, la séduction, la force pure et la noblesse d’âme, qualités reconnues du général Dumas. Quand mes héros traversent la Palestine, ils rencontrent fort peu d’Arabes et force Juifs et Chrétiens — les voyageurs d’époque, comme Hadrian Reland, en attestent. De quoi disqualifier les imprudents d’aujourd’hui qui prétendent que c’était une terre arabe depuis le début des temps.
Et si les intrigues de sérail de Topkapi, le château des pachas turcs, les trahisons et règlements de comptes, les révolutions de palais, les alliances étrangères inattendues mais mûrement pesées, ont un écho dans l’actualité, c’est que nos hommes politiques — de bien petit niveau, convenons-en — devraient de temps en temps se retourner vers l’histoire pour éviter de faire et de dire de grosses bêtises.
Quant à l’amour, c’est le piment intemporel et universel — ou parfois une nostalgie assez forte pour faire revivre vos fantômes personnels, qu’il s’agisse de créatures rencontrées jadis ou d’héroïnes de papier qui alimentèrent vos songes humides.

L’intention pédagogique n’est pas tout à fait absente. Dans Soleil noir j’expliquais comment on rouait vif. Et dans Topkapi, vous apprendrez le processus exact d’un empalement — qui contrairement à ce que croit la multitude, ne passait pas par voie anale…

Reste le plaisir que l’on a à l’écrire, qui doit procurer un plaisir analogue au lecteur. Si vous suez sang et haut à rédiger, le lecteur aura fort à faire pour vous lire. En toutes choses, soyez légers — et enthousiastes.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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