La célérité avec laquelle ont été retrouvés les onze vélos volés à l’équipe Cofidis laisse pantois… Une enquête menée au rythme d’un sprint. Dérobés dans la nuit de samedi à dimanche, à l’issue de la première étape du Tour, à Bondues, banlieue nord de Lille, sur le parking de l’hôtel où l’équipe séjournait, les vélos ont tous été récupérés le lundi matin, 36 heures seulement après le méfait, et en parfait état. Le sentiment était pourtant qu’on ne les reverrait plus jamais…
L’an dernier, en effet, au soir de la 11e étape du Tour, l’équipe Total-Energie avait connu le même déboire. Des cambrioleurs l’avaient également dépouillée de onze montures. Et depuis, elles demeurent introuvables.
Le préjudice financier pour Cofidis était estimé à près de 150 000 euros, chaque unité valant 13 000 euros. Ces vélos (de la marque française Look, installée à Nevers) sont à la bicyclette ce qu’est un bolide de F1 à la bagnole de tout le monde. Le cadre en carbone, au profil aérodynamique facilitant en particulier le phénomène d’aspiration que provoque le coureur qui précède, est taillé sur mesure, selle et guidon fixés au millimètre, dérailleur électronique, pédalier digne d’un mouvement d’horlogerie, freins à disque, roue aussi légère que robuste, etc. : des bijoux mécaniques.
« Ces modèles de compétition, a expliqué le directeur de Look, Raphaël Jeune, au Parisien, ne sont pas destinés aux cyclistes du dimanche. Il y a un trafic avec des filières à l’Est de l’Europe. » Ils sont revendus en pièces détachées, car celles-ci sont impossibles à tracer, à la différence des vélos montés. Numérotés, portant sur le cadre le nom du coureur, et souvent en plus un signe distinctif propre à ce dernier, ils sont très difficiles à refourguer. Et on imagine mal un respectable vendeur de cycles français s’aventurer à jouer le recéleur, et encore moins à en prendre un en dépôt-vente.
S’ils n’avaient pas été retrouvés aussi promptement, le dommage pécuniaire, certes pas négligeable, serait passé au second rang. Sans eux, Cofidis risquait fort d’être contrainte d’abandonner le Tour, comme le craignait son manager Cédric Vasseur. Car il est impossible de les remplacer en quelques jours.
Or, la Grande Boucle est vitale pour les sponsors des équipes en raison de l’exposition télé qu’elle offre. Un spot publicitaire de 30 secondes sur les chaînes majeures revient, se dit-il, entre 30 000 et 100 000 euros. Pas besoin de faire un dessin pour comprendre le gain que représente d’avoir un coureur qui se glisse dans une échappée. D’ailleurs, les échappées dites matinales, qui n’ont quasi aucune chance d’aller au bout, sont nommées « publicitaires ». Leur but est d’exhiber le maillot. Quant à une victoire d’étape ou un maillot distinctif… c’est évidemment le jackpot.
En réalité, le Tour est un gigantesque support publicitaire. Ce qui explique pourquoi les Émirats arabes unis et Bahreïn, dans une stratégie de « soft power », ont investi dans le cyclisme. Cela n’a pas mal réussi aux Émirats puisqu’ils ont dans l’effectif de leur équipe (UAE, le plus gros budget du peloton, estimé à plus de 60 millions d’euros) Tadej Pogacar.
Le patron de Skoda France, une filiale de Volkswagen, qui fournit à l’organisateur du Tour (Amaury Sport Organisation – ASO) 250 voitures et sponsorise le maillot du meilleur sprinteur, Julien Bessière, a reconnu dans un entretien accordé au JDD que « c’est un partenariat très rentable parce que c’est un événement planétaire. » Le Tour est diffusé dans 190 pays. En France, ses audiences télé atteignent des records. Dimanche dernier, la seconde étape a été suivie par 3,8 millions de téléspectateurs, soit 34,92 % de part de marché, auxquels il faut ajouter la foule qui se masse le long de son parcours dans une ambiance festive et bon enfant. Les grincheux diraient « populiste ».
Ainsi, Cofidis a échappé au pire… Mais ce n’est pas le flair d’un fin limier à la Maigret, lui aussi amateur de courses de vélo et lecteur assidu du mensuel disparu Miroir du cyclisme, la bible à l’époque de la Petite Reine et satellite du Parti communiste, qui a conduit aux vélos usurpés, mais bien un tout petit boîtier de la taille d’une boîte d’allumettes qu’on appelle un transpondeur.
C’est à la fois un GPS et une sorte de mouchard informatique. Tous les vélos en sont désormais dotés dans les courses World Tour (1ʳᵉ division). C’est ainsi grâce à lui qu’on peut connaître en temps réel l’écart entre une échappée et le peloton, la vitesse des coureurs, et connaître le classement exact à l’arrivée de chacun d’eux.
De toute évidence, les voleurs n’étaient pas très au fait de la chose vélocipédique. Par chance, et peut-être par inadvertance d’un mécanicien, un des vélos était resté équipé de ce petit boîtier qu’on installe sur le hauban horizontal de la fourche arrière, à l’opposé du dérailleur. « Des Pieds Nickelés », ainsi que les a qualifiés un enquêteur. Le transpondeur, qui a continué à émettre, a permis de géolocaliser six vélos à Halluin, commune du Grand Lille, à une encablure de la frontière belge. Ils étaient planqués dans le box d’un garage d’une maison d’un quartier dit ouvrier. Les enquêteurs ont aussi trouvé le pied-de-biche qui avait servi à forcer la porte latérale du camion-atelier où étaient gardés les vélos. Ils ont relevé de l’ADN et des empreintes… Et le box a un propriétaire qui sera entendu.
Auparavant, la veille, dimanche, cinq des vélos avaient déjà été retrouvés, abandonnés dans un sous-bois, à 200 mètres seulement du lieu de l’effraction. Pas vraiment des Arsène Lupin, ces rats de parking : ils n’avaient pas prévu un véhicule assez grand pour embarquer la totalité de leur butin… onze vélos, ça fait du volume.
Il est donc probable que leur échappée prenne vite fin… à moins qu’ils n’aient déjà rejoint le pays de destination de ces vélos. On devine lequel…
| Vingegaard : la gueulante de Madame, cause ou prémonition ? L’événement de la 5ᵉ étape, un contre-la-montre de 33 km autour de Caen, n’a pas été la victoire — attendue — du double champion du monde et olympique de la spécialité, Remco Evenepoel, qui en profite pour endosser la tunique blanche de meilleur jeune (moins de 25 ans), ni même la belle performance de Tadej Pogacar, deuxième à seulement 16 secondes, qui récupère trois maillots distinctifs. Le Blanc lui échappe en raison de son âge : il a, cette année, 26 ans. Le véritable fait marquant, c’est le gros plantage de Jonas Vingegaard. Il termine 13ᵉ à 1’21 » d’Evenepoel, et surtout à 1’05 » de Pogacar. Au général, il concède 1’13 » à ce dernier et se retrouve même derrière le surprenant Français Kévin Vauquelin, troisième à 59″ du maillot jaune grâce à une belle 4ᵉ place dans ce contre-la-montre, à seulement 49″ du vainqueur. Une performance qui pourrait bien sauver son équipe Arkéa, toujours en quête d’un sponsor pour la saison prochaine. La question que se posent désormais tous les commentateurs est la suivante : à quoi tient cette déroute de Vingegaard, certes pas encore éliminatoire mais de très mauvais augure ? La gueulante, jugée par beaucoup comme intempestive, qu’avait poussée dimanche son épouse en est-elle la cause, lui ayant miné le moral ? Ou était-elle plutôt le signe avant-coureur d’un burn-out annoncé ? « L’équipe le pousse trop loin », confiait-elle au quotidien danois Politiken. « J’ai peur qu’il brûle la chandelle par les deux bouts. » Rien ne laissait présager cette contre-performance. Vingegaard avait entamé cette 112ᵉ édition de manière très incisive. Dès la 1ʳᵉ étape, il était à l’origine d’une bordure qui avait piégé Evenepoel ; lors de la 4ᵉ, après avoir été décroché par Pogacar dans un raidillon, il était revenu sur lui en trois coups de pédale impressionnants. Il répétait à l’envi qu’il n’avait jamais été dans une telle forme. Au Critérium du Dauphiné, dans le contre-la-montre de 17 km, il avait pris 20 secondes à Pogacar. Mais il marquait déjà le pas dans les arrivées en côte, où son rival se montrait impérial. On oublie parfois que Vingegaard a été victime l’an dernier d’une très grave chute au Tour du Pays basque (pneumothorax, côtes cassées), qui aurait logiquement dû l’écarter du Tour. Il avait pourtant terminé deuxième, après avoir opposé une farouche résistance à Pogacar. À l’époque, il avait confié s’être vu mourir. Cette année encore, alors qu’il portait le maillot jaune lors du Paris-Nice, il avait abandonné après une commotion cérébrale — passée sous silence — causée par une nouvelle chute. Depuis cet accident, son équipe l’a-t-elle trop poussé ? L’a-t-elle véritablement « brûlé par les deux bouts » ? Ou a-t-il simplement connu ce fameux « jour sans » que tous les coureurs redoutent ? Si les Pyrénées venaient à confirmer qu’il est déjà à bout de souffle, malgré ses 28 ans et deux Tours de France victorieux, la question des conditions de travail — voire d’exploitation — des cyclistes professionnels devra être posée. Certainement les plus dures et exigeantes de tous les sports, avec la boxe • RU |




