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«Banc» de Catherine Lacey: le roman de l’extrême fragilité

L’écrivain américain nous invite à découvrir un être indéfini dans une communauté mystérieuse...


«Banc» de Catherine Lacey: le roman de l’extrême fragilité
L'écrivain américain Catherine Lacey © Willy Somma

On doit déjà deux romans, chez Actes Sud, à la jeune romancière américaine Catherine Lacey, Les Réponses (2019) et Personne ne disparait (2016).  Banc vient confirmer l’originalité et la maîtrise de cette autrice américaine.


Banc est l’histoire, racontée à la première personne, de quelqu’un, dont on ne connaît ni le nom, ni le sexe, ni l’origine. Seul indice de départ : « Probablement que ce que je suis quoi que je sois est étendu au fond d’un canoë, allongé, les yeux dans le ciel. » Ayant trouvé un abri dans l’église d’une petite ville américaine, il (ou elle, cela ne sera jamais précisé) est découvert là, dormant sur un banc. Comme il reste muet, le révérend propose de l’appeler « Banc ». Il sera recueilli par une famille de la petite communauté religieuse.

Une identité perdue

C’est paradoxalement Banc lui-même, comme je le disais, qui est le narrateur, individu sans mémoire et sans passé, ayant sans doute subi un grave traumatisme, dont on ne saura rien. Sa voix intérieure exprime parfois des sentiments énigmatiques : « J’avais dû avoir une mère, mais je savais aussi que je n’avais pas de mère. Je n’étais ni le fils ni la fille de personne. Quelle liberté et quel fardeau c’était ‒ de ne pas avoir de chez-soi où rentrer. » Banc n’est même plus à la recherche d’une identité qu’il a perdue : il se contente de se laisser guider par les autres, dans sa fragilité extrême, sans jamais s’opposer à rien, même quand on lui fait sentir la violence des rapports sociaux.

Plusieurs personnes de la communauté sont amenées à rencontrer Banc. Il agit sur elles comme un révélateur. Tout à coup, elles s’abandonnent à des confidences très intimes sur leurs malheurs, les difficultés de leur vie. Comme malgré lui, Banc crée avec elles un moment de vérité. Les adolescents, en particulier, nouent un rapport immédiat de grande proximité avec lui. Banc, alors, se remet même à parler, certes très succinctement. Ainsi, avec la lycéenne Annie, les confidences frôlent la réciprocité : « Pour la première fois, estime-t-il, je pouvais presque me souvenir d’où je venais avant d’avoir tant marché, avant de chercher chaque soir un endroit où dormir. Je voulais lui dire quelque chose. Je voulais commencer à parler sans savoir ce que j’allais dire. »

L’Amérique profonde

Sa famille d’accueil, désireuse de s’assurer qu’il est en bonne santé physique et morale, décide de le faire examiner par un médecin. Celui-ci déclare à Banc, de manière significative : « ma spécialité, en partie, c’est le travail avec les victimes de traumatisme. Surtout des soldats, des femmes battues, des victimes de troubles mentaux, ce genre de choses… » L’examen médical, cependant, n’aura pas lieu, Banc refusant de se déshabiller.

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Catherine Lacey excelle, dans son roman, à décrire l’atmosphère étouffante qui règne dans un bled perdu de l’Amérique profonde. La vie dans les familles y est faite de contraintes et d’ennui. La religion est une obsession constante, pleine d’excès. Rares sont les personnages croisés par Banc qui osent dénoncer cette sorte de fanatisme, à part le vieux Mr Kercher : « Et tout ce que je vois rendu possible dans ce monde par la croyance dans le divin, c’est un droit à la cruauté… », lui avoue-t-il.

Un nouveau Jésus

De la sorte, la « fête » qui doit avoir lieu bientôt, et qui rassemblera toute la communauté chrétienne de la petite ville, apparaît comme inquiétante… Sommes-nous en réalité dans une secte ? Y aura-t-il un sacrifice humain ? Banc, « notre nouveau Jésus », comme l’appelle une participante, sera-t-il exécuté rituellement ?

Le beau roman de Catherine Lacey nous interroge sur la société actuelle, à travers la survie d’un être démuni à l’extrême, qui apparaît de bout en bout telle une victime expiatoire. Comme Meursault, dans L’Étranger de Camus, Banc a oublié qui il était, même si cela lui revient par bribes. Il ne parvient jamais complètement à mettre des mots sur sa souffrance : « J’étais sans personne, dit-il seulement, et je n’ai pas cessé, depuis, d’être sans personne. Tous, nous avons disparu, nous disparaissions, nous voilà disparus pour toujours. » Et encore : « Je suis incertitude. »

Le mystère, insondable, sur l’énigmatique Banc ne sera donc jamais levé.

Catherine Lacey, Banc. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Myriam Anderson. Éd. Actes Sud.

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Jacques-Emile Miriel, critique littéraire, a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres des éditions Robert Laffont dans la collection "Bouquins".

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