Burning Man : Woodstock pour tous?


Burning Man : Woodstock pour tous?

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La programmation ne met en tête d’affiche ni Stromae ni le retour des Rolling Stones. Sur place, seul un confort ultra-minimaliste est de rigueur pour les « burners » qui devront se débrouiller pour vivre. Côté commerce, il faudra se contenter des quelques stands de glaces et de boissons chaudes. Aucune opulence pour ce festival. Vos douces nuits dépendront donc de la qualité de votre tente. Exit le shampooing : la douche est à prendre soigneusement avant son départ. Pourtant, les 70 000  places disponibles sont parties en 44 minutes. Encore plus impressionnant quand on sait qu’il y a vingt-huit ans, ils n’étaient que 20 participants.

Perdu au beau milieu du désert, on comprend rapidement que ce n’est ni le luxe ni le confort qui attire les participants des quatre coins de la planète (y compris de la France) mais ce qu’on peut appeler « une expérience ». Pendant une semaine, le désert du Nevada voit naître en son antre une cité dénommée la Black Rock City. Elle devient alors le spectacle d’œuvres d’arts monstrueusement grandes, de véhicules « mutants » et de personnes parfois à moitié nus (et à bicyclette). Le fondateur, Larry Harvey aime à rappeler que l’idée est née sur une plage de San Francisco autour d’un bûcher. Derrière ce décor très Woodstock, le Burning Man représente le moment idéal pour se détacher de tous les diktats des sociétés consuméristes.

Comme pour rappeler que rien ne dure, tout sera joyeusement détruit, c’est le moment ou le Burning Man prend littéralement son sens. Cette année, « l’homme qui brûle » mesurait près de 22 mètres de haut et fut construit par Matt Shultz, le chanteur du groupe de rock Cage the Elephant. Selon plusieurs témoignages, cette cérémonie se fait dans un silence d’église et représente le grand moment spirituel de la semaine. Donner sans rien attendre en retour. S’entraider. Partager. On pourrait presque croire que l’on fait référence à des enseignements bibliques.

Des Européens et des Américains, avides d’événements nouveaux et à la recherche d’émotions fortes, y ont trouvé quelque chose alliant l’art de vie « roots » avec celui de la liberté. En fait, il n’existe pas de règlement à respecter, ce sont seulement dix commandements qui régissent le quotidien des participants parmi lesquels apparaissent la décommercialisation, l’expression de soi ou le don. Loin de tout et au milieu de rien, on vit dans une sorte de monde à l’envers. Ce qui est vraisemblablement l’un des secrets du succès  de cet évènement improbable.  Ces « Burners » comme ils sont appelés, sont avant tout venus pour vivre le temps d’une semaine une vie de Robinson Crusoé des temps modernes. Avec l’art en plus. Devenir « Burner » pour empêcher un « burn out » ?

Une échappatoire structurée. Certes, on est sur « la terre de la liberté », comme le proclame l’hymne national des Etats-Unis mais cette liberté a besoin de ses espaces propres – au même titre que l’ordre a besoin de désordre – à condition qu’il soit bien rangé ! Voilà qui n’est pas sans rappeler l’idée du film American Nightmare. Si le scénario laisse à revoir, son réalisateur James DeMonaco propose une idée assez puissante: pendant une nuit, l’humanité est en droit d’assouvir toutes ses pulsions lors de la « Purge Annuelle ». Crimes et meurtres sont autorisés. Un moyen de rétablir le calme le restant de l’année. Une critique de la société contemporaine américaine. Avec un peu d’imagination, on n’est pas si loin des préceptes du Burning Man. Vider son énergie, s’éloigner de tout ce qui façonne notre quotidien pour revenir rassasié de liberté.

Au regard de l’histoire, le Burning Man n’a pas grand chose d’original sinon sa forme. De tout temps l’homme fut possédé par ce besoin irrésistible de s’affranchir des règles de la société sans toutefois les remettre en cause. C’est justement à cela que sert le Carnaval ! Un événement qui remonte à l’Antiquité et qui représente le moment où l’on peut chambouler les rôles d’une société aux ordres bien établis. Être quelqu’un d’autre pendant un temps bien défini. Une négation ouverte et partagée de la société où l’on peut être qui l’on veut : homme, femme, maître, esclave, ivre, ridicule. A l’époque de l’ancienne Babylone, on choisissait par exemple un condamné à mort afin qu’il devienne roi pendant 5 jours avant de se faire soigneusement exécuter. Être ce que la société ne nous permet pas. Les masques de Venise, la Samba de Rio et désormais le Burning Man remontent en fin de compte à un désir inhérent à l’être humain : celui d’oublier le poids des conventions en vivant l’expérience de s’émanciper de qui l’on est, sans pour autant oublier qu’il s’agit d’une sorte de « recrée ». Le Burning Man propose aujourd’hui de « sortir » d’une société consumériste, compétitive et individualiste pour devenir un hippie (mais sans prendre trop de risque). En somme c’est la différence entre prendre des vacances et démissionner de son travail pour faire le tour du monde.

Or, le marché est aussi rusé que la raison. Ainsi, en moins de trente ans d’existence, cette échappatoire à la société de consommation est en train de devenir un produit de consommation. Certains « Burners » ne se sont donc pas contentés de boîtes de conserves et d’un briquet. Autrement dit, une rébellion s’est si bien transformée en « rebellitude » que même les milliardaires de Facebook et Google peuvent y participer sans que cela pose problème. C’est le cas de Mark Zuckerberg, présent cette année et n’ayant pas pour ambition de dormir dans une tente et de manger du boulghour. Il est donc arrivé (en avion privé) avec une caravane de luxe et un cuisinier prêt à lui concocter un tartare de viande. On est bien loin du précepte de non-consommation et d’anticapitalisme qui fonde ce festival hippie. Vivre une expérience nouvelle fera bientôt partie d’un programme que les tours opérateurs s’empresseront de vendre. Le Burning Man reprendrait-il le chemin du Carnaval du Brésil ? Aussi curieux que cela puisse paraître, c’est parti pour ! Dès lors que cela fonctionne, le profit n’est jamais loin. Vivre la démarchandisation a un prix.

* photo : Andy Barron/AP/SIPA.AP21616903_000001



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