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Avez-vous entendu les musulmans s’indigner de la prise de Kaboul?

La Ligue Islamique Mondiale, l’Organisation de la Coopération Islamique et les Talibans


Avez-vous entendu les musulmans s’indigner de la prise de Kaboul?
Talibans à Kaboul, 28 août 2021 © Khwaja Tawfiq Sediqi/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22599107_000040

Toujours plus prompte à dénoncer une caricature de son prophète que des conversions forcées, des meurtres ou des viols commis au nom de l’islam, la communauté musulmane s’est fort peu exprimée sur la victoire des Talibans en Afghanistan. 


Les communiqués de la Ligue Islamique Mondiale (LIM) et de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) n’en prennent donc que plus de relief, entre complaisance à peine voilée et islamisme assumé.

Bien sûr, certaines pudeurs diplomatiques sont inévitables, et ne sauraient être reprochées à la LIM ni à l’OCI, et les déclarations officielles de telles institutions sont par définition des compromis complexes. Restent trois points saillants qui doivent être soulignés.

La victoire des Talibans entérinée

Le premier est l’appel à l’unité de l’Afghanistan et à la paix entre musulmans, autrement dit un rejet de tous les mouvements de résistance armée et des manifestations d’opposition au nouveau pouvoir, donc une reconnaissance de la victoire des Talibans et un soutien de fait à leur autorité. On peut n’y voir que le souci d’éviter de nouveaux affrontements et des massacres, on peut aussi se rappeler que le Pakistan joue un rôle important au sein de la LIM comme de l’OCI, et que le Pakistan est l’allié indéfectible des Talibans. Sans oublier, bien sûr, que nombre de pays musulmans préfèrent sans doute une théocratie islamique à une tentative de sécularisation de la société, qui plus est à la sauce américaine.

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Le second est une absence, un silence assourdissant : on chercherait en vain, dans ces prises de position officielles, l’embryon du début du commencement d’une condamnation de l’idéologie des Talibans ou de l’oppression théocratique totalitaire qu’ils se sont d’ores et déjà attelés à mettre en œuvre. N’en seront surpris que ceux qui croient encore au slogan creux de l’islam « religion de paix et de tolérance ».

La défense de l’universalité de la religion islamique avant tout

Le troisième est l’emploi surabondant du langage du droit et des traités internationaux, et il mérite d’être soigneusement analysé. La LIM appelle « à respecter les droits et libertés légitimes » en se référant à la charte de la Mecque et à la charte de l’OCI, faisant donc siens ses principes, et l’OCI ne revient évidemment pas sur ce texte fondateur. Voilà qui en dit long sur ce que ces deux instances considèrent « légitime » en termes de droits et de libertés.

La charte de l’OCI, en effet, contient plusieurs éléments pour le moins problématiques. On note, par exemple, « défendre l’universalité de la religion islamique » (en clair : favoriser le prosélytisme avec pour but de convertir le monde entier à l’islam), « inculquer les valeurs islamiques au moyen de l’éducation » (là encore, le prosélytisme à destination des plus jeunes, naturellement plus influençables), « aider les minorités et communautés musulmanes vivant à l’extérieur des États membres à préserver leur dignité et leur identité culturelle et religieuse » (refus de toute assimilation des communautés musulmanes à des civilisations et cultures non islamiques, autrement dit : promotion active du séparatisme), « soutenir la lutte du peuple palestinien actuellement sous occupation étrangère » (voilà qui semble assez clair). On peut ajouter « lutter contre la diffamation de l’islam » (donc refus de la liberté d’expression et volonté d’instauration d’une censure mondiale), « veiller à la sauvegarde des valeurs inhérentes à la famille islamique », et ainsi de suite.

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Cette charte, en somme, est similaire à la Déclaration du Caire d’août 1990 de la même OCI, plus explicite encore et ratifiée par ses 57 états membres, qui reprend le vocabulaire des droits de l’Homme mais en transforme radicalement le sens tout en se voulant de portée universelle.

Article 9 : « L’enseignement est un devoir de l’État et de la société (….) de sorte que l’homme puisse connaître la religion islamique. » Article 10 : « L’islam est la religion naturelle de l’homme. Il n’est pas permis de soumettre ce dernier à une quelconque forme de pression ou de profiter de sa pauvreté ou de son ignorance pour le convertir à une autre religion ou à l’athéisme. » Autrement dit : enseigner l’islam est obligatoire, enseigner l’athéisme, l’agnosticisme ou une autre religion est interdit – puisqu’un enfant étant naturellement ignorant, lui enseigner autre chose que l’islam sera nécessairement « profiter de son ignorance » pour l’écarter de son « état naturel », qui est d’être musulman.

La sinistre précision de Zabihullah Mujahid

Article 19 : « Pas de crime et pas de peine sinon conformément aux normes de la Loi islamique ». Article 22 : « Tout individu a le droit d’appeler au bien, d’ordonner le juste et d’interdire le mal conformément aux normes de la Loi islamique ». En clair : seule la loi islamique, la charia, est légitime, et tout individu a le droit d’appeler à suivre la charia plutôt que la loi du pays où il se trouve, y compris en « ordonnant » et en « interdisant », donc en imposant cette charia là où il se trouve.

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Enfin, en conclusion, article 24 : « Tous les droits et libertés énoncés dans ce document sont subordonnés aux dispositions de la Loi islamique » et article 25 : « La Loi islamique est la seule source de référence pour interpréter ou clarifier tout article de cette déclaration. » Difficile de faire plus explicite : la charia comme loi universelle, voilà qui fait rêver….

Ce ne sera pas une surprise de constater que les Talibans usent désormais de la même rhétorique, par exemple lorsque leur porte-parole Zabihullah Mujahid déclare : « Les femmes vont être très actives dans la société mais dans le cadre de l’islam. » Tout est dans cette sinistre précision : « mais dans le cadre de l’islam. »

Inutile de multiplier davantage les citations ni les exemples. Le fanatisme théocratique des Talibans est un cas extrême dans sa mise en œuvre, mais il n’est en rien une rupture par rapport à la situation générale du monde musulman, et se situe dans une parfaite cohérence idéologique avec l’islam « normal ». Qu’on ne vienne pas nous dire que l’OCI et la LIM « ne sont pas l’islam », ou « ne représentent pas l’islam », ou sont induits en erreur par de mauvaises traductions du Coran et des hadiths !

Condamner l’obscurantisme qui triomphe en Afghanistan est une nécessité. Mais ces condamnations, si sincères soient-elles, seront inutiles si elles ne s’accompagnent pas de condamnations plus sévères encore de tout ce qui, dans l’islam, conduit à cet obscurantisme, et menace les fondements mêmes de l’humanité de l’Homme, dans les rues de Trappes comme dans celles de Kaboul.




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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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