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A Marseille, les balles volent bas

Pourquoi la fin de la guerre des gangs n'est pas pour demain.


A Marseille, les balles volent bas
Gérald Darmanin se rend à l'Hôtel de Police de Marseille le 30 juin 2023. SOPA Images/SIPA 01079558_000009

Les règlements de comptes entre dealers marseillais se suivent et se ressemblent. Notre chroniqueur, qui habite cette belle cité où le mistral porte au loin l’écho des rafales de kalachnikovs, revient sur la récente série sanglante qui a ôté du meilleur des mondes une bonne douzaine de coquins qui en infectaient la surface, comme dit à peu près Voltaire.


Deux blessés graves et un mort à La Joliette, quatre blessés à la cité Félix-Pyat, deux morts et six blessés à la cité du Castellas. Le tout en trente-six heures. Les balles volent bas, comme le souligne Le Figaro.

« Au total, écrit Chloé Triomphe, ce sont déjà 14 personnes qui, en 2023, ont été tuées et 33 autres blessées par l’ultra-violence décomplexée des trafiquants de stupéfiants. De quoi inquiéter les autorités qui tiennent le décompte année après année du nombre de victimes. L’an dernier, dans les Bouches-du-Rhône et essentiellement à Marseille, 32 personnes sont mortes et 33 blessées, avec un rajeunissement des victimes qui inquiète la procureur. En dix ans, explique-t-elle, l’âge moyen est passé de 27 à 23 ans ».

Face à ce déchaînement — il y a une violence ordinaire, à Marseille, mais celle-là est extraordinaire —, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a eu une brillante idée. Il a envoyé une compagnie de CRS (en pratique, vu les temps de repos et l’affectation sur 8 heures de rang, cela fait quelques dizaines d’hommes en place en permanence), et surtout il a désigné les vrais responsables : « La consommation s’est débridée dans notre pays ». Sans doute sont-ce les consommateurs qui ont tiré…

Depuis la chute des gros trafiquants il y a quelques années, le marché s’est diversifié. Chaque petit marlou disposant de contacts dans le Rif marocain se croit le roi du pétrole et du shit réunis. Et des marioles de ce genre, la ville en est pleine.

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Le gâteau, considérable, autrefois divisé entre deux gangs rivaux qui vivaient comme la Russie et les États-Unis dans l’équilibre de la terreur, est désormais convoité par des jeunes gens affamés. Évidemment, chacun ne peut prétendre contrôler qu’une fraction très réduite de la masse. D’où la tentation — il faut lire l’expansion du trafic selon un schéma de libre-entreprise — d’opérer des regroupements, en mangeant tel ou tel segment. Et le moyen le plus simple est d’éliminer la concurrence. Les OPA, ici, se règlent avec du plomb.

Comment faire comprendre à des jeunes, assez stupides pour fumer la merde qu’ils concoctent dans les sous-sols des immeubles pour les caves qui la consomment, que le marché ne peut s’étendre indéfiniment, à moins de casser les prix — mauvaise idée qui dévalue la marchandise et ruine la confiance ? Comment faire saisir à Darmanin que la cible n’est pas l’usager — pour un qui s’arrête, deux se lèvent —, mais le trafiquant ? Comment concilier une politique de répression avec la nécessité de maintenir un certain seuil de trafic, parce que c’est ce qui met de la garniture sur le couscous, dans une ville minée par le sous-emploi, l’extrême misère et les guerres entre communautés — Maghrébins, Gitans, Africains de toutes origines, Comoriens et maintenant Nigérians ? La légalisation du cannabis « récréatif », que plaident certains politiques et même le Conseil Économique, Social et Environnemental, est une illusion : vu le seuil de misère, ce qui n’entrera pas par le trafic de drogue sera compensé par les attaques sur les personnes et autres moyens rapides de se faire de la maille.

Sauf à inaugurer une politique très répressive, et très difficile à mettre en place à moins de faire intervenir l’armée, comme le suggère depuis lurette la sénatrice (de gauche) Samia Ghali, il n’y a pas de solution simple. Il y a des jours où je rêve de dynamiter les grandes cités — mais ce serait déplacer le problème. Les armes circulent avec facilité dans la cité phocéenne — acheminées longtemps depuis l’ex-Yougoslavie, la Bosnie en particulier. Les stocks de munitions semblent inépuisables. Les flics n’ont pas les gilets pare-balles susceptibles d’arrêter des balles de gros calibres à fort pouvoir de pénétration, et ils n’ont aucune envie de servir de cibles — pas pour ce qu’on les paie. Peut-être faudrait-il une municipalité volontariste, comme l’a été l’administration new-yorkaise sous Rudy Giuliani. Mais là, on entre dans le domaine de la fiction.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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