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Plutôt la peste que le choléra !


Vibrio cholerae, agent du choléra

L’univers des infections bactériennes est vaste et généreux. Il scintille de mille possibles. A tel point que nous en sommes parfois embarrassés, lorsque nous sommes amenés, dans la vie quotidienne, à faire notre choix entre mille infections alléchantes. Si le lupus vulgaire n’est, certes, la coqueluche de personne, nombre d’entre vous, et notamment les plus jeunes, seraient tentés, j’en suis certain, de se laisser séduire par des bactéries enivrantes aux noms féeriques. Qui ne souhaiterait contracter du jour au lendemain la maladie des griffes du chat, l’ulcère de Buruli, exploser d’une gangrène gazeuse ou être frappé par le syndrome de Waterhouse-Friderichsen, la méningite tuberculeuse ou un lymphogranulome vénérien ? Qui, parmi vous, ne souhaiterait délirer sous les assauts prestigieux de la fièvre fluviale du Japon, de la fièvre purpurique brésilienne ou de l’inoubliable fièvre pourprée des montagnes Rocheuses ?[access capability= »lire_inedits »]

Le choléra, ce « trousse-galant »

Permettez-moi cependant de vous arrêter tout de suite pour vous inviter à préférer à ces mirages, à toute cette pacotille, la voie royale des bactéries : la peste ou le choléra. Aux fastes clinquants, aux fièvres rutilantes, préférons un peu de classicisme. Dès lors ne reste plus qu’un problème : comment choisir, en toute objectivité et en pleine conscience, entre la peste et le choléra, ces deux maux grandioses ?
La littérature ne nous aidera guère à trancher, car ils ont tous deux leurs grands poètes. La peste peut se prévaloir du soutien de Boccace, d’Albert Camus et d’Artaud. Mais le choléra a dans son camp Thomas Mann, Giono et Garcia Marquez.

Le choléra a, certes, de beaux quartiers de noblesse. Il a été la première maladie pestilentielle à faire l’objet, dès le XIXe siècle, d’une surveillance internationale. C’est une maladie épidémique honorable qui doit, depuis 1883, ses contagions les plus réussies au « bacille de Koch »[1. De son vrai nom « Bacille virgule ». Pacini le découvrit en 1854 et Robert Koch tenta seulement d’en relancer la mode en 1883. Ce dernier ne donna toutefois officiellement son nom qu’au bacille de la tuberculose, que je salue également], Vibrio cholerae, le vibrion de la colère. Il fait également, depuis vingt ans, l’objet d’une campagne de presse dithyrambique sous la houlette de mon ami Basile de Koch. Cependant, au risque de me brouiller avec cette éminente pointure scientifique, ce pape du choléra dont j’ai l’heur d’être aussi le voisin de pixels, je ne le suivrai pas dans son obstinée défense et illustration du choléra – préférant encore choisir la peste.

Le choléra, plaisamment surnommé « trousse-galant », manque tout de même un peu de classe. Il se manifeste par des diarrhées aussi brutales qu’abondantes conduisant de manière un peu attendue à de sévères déshydratations. Il rend cholériques même des gens de nature plutôt calme. Certes, il a pour lui de pouvoir causer la mort en trois jours, et en quelques heures quand il est un peu en forme. Il peut amuser un temps en nous rendant tout bleus – ce que la science nomme « cyanose » et que notre langue a salué en inventant les « peurs bleues ». Le choléra a surtout connu ses heures de gloire durant ses sept pandémies ou tournées mondiales. Mais la première remonte à peine à 1817-1825. Son plus grand tort est d’être, au fond, une maladie moderne. Je ne parviens pas à saisir comment ce point fondamental a pu être accueilli avec tant de clémence aveugle par mon ancien ami Basile de Koch.

Choisissons la peste à l’ancienne !

C’est la peste, la peste vénérable, la peste à l’ancienne qu’il faut à l’évidence choisir ! Imitons en cela le goût sûr des Anciens ! Celui de nos empereurs romains les plus compétents, d’Antonin à Justinien, le choix divin de toutes les nobles vengeances d’Apollon ! « Cito, longe, tarde », qui peut se traduire par « Barre-toi, loin et longtemps ! » : la peste est une invitation au voyage ! Elle a connu quelquefois des effets de mode, de grands emballements collectifs, comme à Londres en 1665 ou à Marseille en 1720. Mais lors de la Peste noire de 1347-1351, est-ce véritablement un hasard si elle a su séduire et emporter entre 30 % et 50 % de la population européenne, qui n’ont pas un instant songé à jeter leur dévolu sur le choléra ?

Aux pestis minore d’Amérique du Sud, qui se décrédibilisent par des fièvres ridiculement légères, sachons naturellement préférer la peste bubonique et Yersinia pestis, son bacille de référence. Lui seul nous promet sa combinaison surprenante de frissons et de fièvres, de myalgies (douleurs musculaires) et d’arthralgies (douleurs articulaires), de céphalées (maux de tête) et d’asthénie (grande fatigue). Mais aussi, bientôt, la tachycardie, la prostration, les convulsions et le délire !
Compagnons d’apocalypse, ne fléchissons pas et réclamons sans tarder nos bubons ![/access]

Anthropologie de la maladie

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Mai 2011 · N°35

Article extrait du Magazine Causeur



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