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Etudier plus pour gagner moins


Etudier plus pour gagner moins

S’il y a une chose sur laquelle universitaires et chercheurs de droite, de gauche, du centre et d’ailleurs sont tous d’accord, c’est sur le fait qu’ils sont mal payés, mais alors très mal payés. Vous me direz qu’ils sont comme tout le monde. Tout le monde se considère mal payé, c’est pour ainsi dire la loi du siècle. Sauf qu’en l’occurrence, ce sont les seuls fonctionnaires français à avoir subi une telle érosion de leur pouvoir d’achat, pas moins de 25 % de baisse en 20 ans. A ce niveau, on peut parler de chute libre. Pourquoi, dès lors, n’en entendons-nous pas parler ? Je me suis longuement interrogé sur cet étrange silence et après enquête auprès de mes collègues d’horizons scientifiques les plus divers, unanimes pour constater le désastre, il semble que ce silence provient d’une pudeur particulière propre au milieu académique, une vague honte à l’idée de défendre une revendication financière.

Les universitaires peuvent être politiquement engagés, pétitionner pour des causes sociales diverses et variées. Ils ne descendent pas dans la rue pour eux-mêmes. Même ceux qui se situent le plus à gauche paraissent animés par un sentiment aristocratique qui les empêche de « s’abaisser » à demander l’aumône.

Je crois pourtant qu’il faut nous réveiller et dire enfin la réalité de notre situation. Nous sommes les hauts fonctionnaires – parce que nous sommes théoriquement des hauts fonctionnaires, au même titre que les conseillers d’Etat, généraux, ambassadeurs, administrateurs civils, préfets, etc. – les moins bien payés de la République et de loin. Les Professeurs des universités, titre assez ronflant si l’on y songe, ont beau être nommés par décret du Président de la République – pris en Conseil des ministres s’il vous plaît ! – ils sont beaucoup moins rétribués que tous les membres des autres corps « d’élite » nommés selon la même procédure.

Dans la fonction publique française, le niveau de rémunération obéit à deux lois simples indépendantes de l’effort, de la compétence et de l’utilité publique. La première concerne l’ensemble des fonctionnaires et peut s’énoncer ainsi : les agents jouissant d’une visibilité particulière, suffisamment nombreux et organisés pour descendre massivement dans la rue, capables, par la nature de leur activité, de bloquer ou de perturber le fonctionnement normal de la vie civile sont mieux payés que les autres et bénéficient de plus d’avantages sur tous les plans. La seconde, moins connue du public, concerne exclusivement les hauts fonctionnaires : plus on est proche de la caisse et du pouvoir, mieux on est payé. Principe aisément démontrable empiriquement. Les Trésoriers payeurs généraux qui sont en quelque sorte les comptables de la République, sont en moyenne les hauts fonctionnaires les mieux rémunérés de France, suivis de près par les membres de la Cour des comptes et du Conseil d’Etat. Concernant le Conseil d’Etat qui a vocation à fourrer son nez, pour avis, dans les affaires des autres et qui, au fond, contrôle son propre statut, cela n’est guère étonnant. Mais le pire est que la haute assemblée qui semble se vivre comme une « noblesse d’Etat » donne souvent le sentiment de vouloir défendre ses privilèges. C’est ainsi qu’elle a fait traîner durant des années une réforme alignant la progression de carrière des directeurs d’hôpital sur celle des administrateurs civils, ne lâchant un avis favorable qu’après un véritable bras de fer.

Seulement, il est inutile d’espérer une telle résistance des universitaires. Parents pauvres de la haute fonction publique, pusillanimes, soumis, pudiques jusqu’à la pudibonderie face à l’argent, éloignés de la caisse comme du pouvoir, ils peuvent être traités sans le moindre égard. Aussi est-il piquant mais guère surprenant d’entendre notre bonne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, conseillère d’Etat bien mieux payée qu’un chercheurs, décréter que nous sommes encore trop rémunérés et que nous ne travaillons pas assez, sachant au passage qu’elle n’a aucune idée du type de travail que nous fournissons.



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Professeur des Universités à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, où il enseigne la sociologie et la théorie de la connaissance, Raphaël Liogier s'intéresse aux différents registres de la croyance, qu'elles soient religieuses, scientifiques ou relèvent simplement du sens commun.

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