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Etudier plus pour gagner moins


Etudier plus pour gagner moins

Puisque le benchmarking est à la mode, il faut aussi rappeler que, si l’on excepte le Tiers-monde et les pays beaucoup plus pauvres que le nôtre, les universitaires français sont les moins bien payés du monde – trois fois moins que leurs collègues allemands ; et que nous n’osons plus inviter des collègues étrangers sous peine de nous ridiculiser. Cette situation, qui nous isole des autres pays industrialisés, est cocasse alors même que, de l’avis général, gouvernement compris, l’un des principaux handicaps des universités françaises est d’être coupées du reste du monde.

Il paraîtrait, par-dessus le marché, que l’on veut mieux nous contrôler pour vérifier si nous méritons notre pécule. Et ce contrôle, qui s’ajouterait à l’évaluation du Comité national du CNRS et du Conseil national de l’Université, serait exercé par des commissions indépendantes – comme si une commission pouvait être indépendante ! – qui décideront qui est un vrai chercheur et qui ne l’est pas. Dans ces conditions, mieux vaut encore le système américain dans lequel la concurrence entre chercheurs se joue purement sur la notoriété. Cette concurrence vaut ce qu’elle vaut, elle a ses défauts et ses injustices, ses effets pervers sur la recherche fondamentale, mais elle sera toujours plus juste que ce contrôle administratif, bureaucratique, bien français dont, paradoxalement, nous serions menacés par un gouvernement qui prétend débureaucratiser l’administration. Et gare à ceux qui ne seraient pas dans les clous : à ce que l’on murmure, les moutons noirs qui, en vertu de critères définis on ne sait comment, ne seraient pas estampillés « bons » chercheurs verront leur charge horaire de cours doubler ou tripler – comme ça ils ne seront plus chercheurs du tout. Quant aux autres, qu’ils n’espèrent pas gagner plus. Ils devront déjà se déclarer heureux de ne pas avoir à travailler plus.

Tout cela n’est guère étonnant. Nous sommes loin de la caisse, loin du pouvoir, peu nombreux, et, contrairement aux étudiants, nous ne descendons pas dans la rue pour défendre notre statut. Nous ne sommes pas dangereux, donc pas intéressants – peu importe que nous fassions fonctionner l’université. Rappelons tout de même que devenir chercheur exige un cursus plus long et plus sélectif que celui de tous les autres corps de la fonction publique, sans exception. Rappelons aussi que l’âge moyen auquel on peut espérer être nommé maître de conférences à l’université (pour un salaire mensuel de 1800 €) ou chargé de recherche au CNRS dépasse très largement 30 ans, et que pour un poste de professeur d’université ou de directeur de recherche au CNRS, il faut généralement patienter jusqu’à quarante ans. Aux mêmes âges, un Trésorier payeur, un membre du Conseil d’Etat ou de la Cour des Comptes, tous en postes déjà depuis des années, seront, primes comprises, payés près de trois fois plus.

Alors d’accord pour le contrôle de notre compétence et de notre travail : nous y sommes habitués. Nos articles, livres, résultats témoignent pour nous sans qu’il soit besoin de monter d’obscures commissions de police scientifique qui risquent fort de fonctionner comme des commissions de police politique. Mais tant qu’à faire, allons jusqu’au bout et contrôlons la productivité des membres des grands corps de l’Etat, faisons varier leurs primes gigantesques en fonction de leurs heures de travail effectif ! Evaluation pour tous ! Auparavant, osons demander, non pas un alignement mais un rapprochement des statuts économiques. Allez, soyons fous, accordons aux universitaires deux tiers de ce que gagnent leurs pairs de la haute fonction publique. Cela suffira à doubler leurs émoluments.



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Professeur des Universités à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, où il enseigne la sociologie et la théorie de la connaissance, Raphaël Liogier s'intéresse aux différents registres de la croyance, qu'elles soient religieuses, scientifiques ou relèvent simplement du sens commun.

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