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Et que ça saute !


Et que ça saute !
Victor Barrucand.
Victor Barrucand
Victor Barrucand.

On s’affole de quelques casseurs, ces temps-ci, et d’éventuelles provocations policières. On croit être au bord de la guerre civile, on craint le terrorisme, on trouve que les discours politiques sont d’une rare violence. Comme souvent, c’est la littérature qui nous rappelle à un peu de modestie. L’exhumation d’un roman paru en 1900, Avec le feu, écrit par un certain Victor Barrucand, journaliste anarchiste proche de Félix Fénéon, constitue un témoignage passionnant sur le climat politique pour le moins mortifère qui régnait dans les dernières années du XIXe siècle.[access capability= »lire_inedits »]

La propagande par le fait

Les anarchistes avaient décidé de passer à ce qu’ils appelaient la « propagande par le fait » et lançaient des bombes un peu partout dans Paris sur ce qui ressemblait de près ou de loin à des symboles de l’ordre bourgeois et d’une société jugée inique et irrécupérable. C’était l’époque où Ravachol entrait dans les chansons populaires et devenait un mythe durable de l’action directe. Le roman de Barrucand commence au moment où Auguste Vaillant, qui avait lancé une bombe à l’Assemblée nationale en décembre 1893, va être jugé puis exécuté alors que son attentat n’avait fait aucune victime. On se promène dans les milieux libertaires de l’époque où les écrivains, les poètes, les théoriciens, mais aussi les Vénus de barrière qui se promènent avec des explosifs dans les fiacres, veulent tous en finir avec l’ordre ancien.

Le nihilisme pur et simple n’est pas loin, comme en témoigne l’itinéraire du jeune Robert, intellectuel mélomane, secrétaire d’un écrivain proche des milieux libertaires, convaincu que seul un bain de sang rédempteur sauvra le monde : « Un pli de braverie tordait la lèvre de cet adolescent au coeur de qui la pervenche bleue s’était fanée ; dans une rage d’amant trahi, ami du peuple, il détestait les foules. Oui, Vaillant s’était trompé en apeurant les députés ; c’était la petite bourgeoisie d’en-bas, laide, épaisse, amorphe, celle qui remplit les cafés de ses ventres qu’il fallait frapper. »

Victor Barrucand, s’il a parfois le style un peu surécrit propre à l’« écriture artiste » des seconds couteaux de la littérature fin de siècle, n’en est pas moins un analyste subtil de tous les enjeux idéologiques de ces annéeslà, des affrontements entre chapelles socialistes, anarchistes ou humanitaristes. Il est aussi capable de rendre avec beaucoup de vigueur les scènes d’action, comme l’attentat d’Émile Henry en représailles à l’exécution de Vaillant.

La question de la violence révolutionnaire comme réponse à une violence d’état est toujours très actuelle et l’on se dit que les hésitations de Robert, ses contradictions entre son amour de l’art, de la musique, des jeunes filles et sa colère quand Vaillant passe à la guillotine parleraient sans doute en des termes é t r a n g e m e n t familiers à une certaine jeunesse d’aujourd’hui. Mais la conclusion de Barrucand et de son héros est, au bout du compte, très raisonnable et rappelle celle que fit Jean- Patrick Manchette dans Nada, roman noir sur un groupe d’ultragauche des années 1970 : « Le terrorisme étatique et le terrorisme gauchiste sont les deux mâchoires du même piège à cons. »[/access]

Novembre 2010 · N° 29

Article extrait du Magazine Causeur



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