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Assayas : Carlos sans fard


Assayas : Carlos sans fard
Edgar Ramirez incarne Carlos à l'écran.
Edgar Ramirez
Edgar Ramirez incarne Carlos à l'écran.

MK2 Odéon, fin de dimanche après-midi dans un Paris qui se vide. Quelques amis contributeurs et lecteurs de Causeur se dirigent à reculons vers la dernière superproduction des studios Canal : Carlos. A priori il y a tout à craindre d’un film consacré au terroriste le plus fantasque de ces trente dernières années.

Un biopic qui évite les pièges du genre

Et pourtant, le biopic d’Olivier Assayas évite magistralement tous les pièges du genre. À l’inverse du tandem Richet-Cassel qui accoucha de la souris Mesrine, Carlos nous montre un criminel humain, trop humain, sans céder un quart de plan à la tentation de l’héroïsation ni tomber dans l’excès inverse de la moraline compassionnelle. Ici, le suspense haletant dispute la primauté à la profondeur psychologique des personnages. Du terroriste paumé des Cellules Révolutionnaires Allemandes au chevronné Wadie Haddad, la distribution frise la perfection.

Au prix de quelques approximations vite pardonnées – la confusion entre Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) resté fidèle à Georges Habache et l’organisation dissidente FPLP -Opérations spéciales montée par Haddad – la petite histoire rejoint la grande. Y compris lorsque la minutie d’Assayas pêche dans les détails, comme dans ce magnifique plan aérien sur Damas endormie où l’on aperçoit au loin l’hôtel Four Seasons inauguré en… 2005, le spectateur marche. On pardonnera aisément ce petit écart; Truffaut ne disait-il pas que les films respirent par leurs défauts ?

Découverte d’un grand acteur, Edgar Ramirez

D’autant que l’essentiel est ailleurs : il réside dans la prestation époustouflante du jeune acteur vénézuélien Édgar Ramírez, réel homonyme d’Ilich Ramirez Sanchez, qui a poussé le mimétisme jusqu’à adopter le trilinguisme de son aîné. Maîtrisant parfaitement français, espagnol et anglais, voire quelques rudiments d’arabe, le premier rôle crève l’écran. Là encore, le pari n’était pas gagné d’avance. Non content de dépeindre un Carlos fat, cupide et manipulateur, le duo Assayas-Ramirez montre plan après plan comment le héraut de la lutte anti impérialiste finit en sycophante bedonnant. Dès ses premiers stages d’entraînement à Aden, dans la préparation de la prise d’otages de l’OPEP à Vienne, se profile un Carlos gras du bide, séducteur et buveur insatiable pour qui la cause de peuple se confond avec la sienne. Casanova invétéré, coqueluche des médias : le cocktail magique du vedettariat finit par agacer les parrains et employeurs de Carlos. À tel point qu’à force de désobéir aux ordres et d’exécuter ses complices indociles, Ramirez finit seul, à la merci de ses derniers soutiens étatiques. Libye, Iraq, Syrie, Soudan et Iran : les commanditaires se succèdent mais ne se ressemblent pas. À l’euphorie des premiers moments, qui lui fait commettre de graves imprudences – à commencer par le meurtre de deux agents de la DST rue Toullier à Paris – se substitue l’aigreur d’une vie de mercenaire. Existence clandestine au fil des engagements de la lutte armée, tour à tour gauchiste, pro-palestinienne et islamiste pour se solder en simple culte de soi, où la violence devient sa propre fin.

La déchéance d’un homme qui n’aura cessé de fuir

Il y a du pathétique dans les dernières images d’un Carlos vieillissant, succombant au culte de l’égo en se faisant liposucer quelques bourrelés mal placés. Un sentiment étrange s’empare du spectateur au cours des dernières séquences du film. L’intrigue géopolitique ne compte plus, ou si peu. Nous assistons à la déchéance d’un homme qui n’aura cessé de se fuir. Comme si la violence était une échappatoire à la vacuité de l’existence. Comme des millions de jeunes militants gauchistes, Carlos aura usé ses guêtres dans des discussions de salon en s’inventant une Révolution qui ne viendra pas. À la différence près qu’il aura poussé la folie meurtrière jusqu’à son terme en tuant de sang-froid d’innocentes victimes devenues martyres de la cause. La seule qui vaille, encore une fois la sienne.

Au terme de ces deux heures quarante-cinq de film virevoltant, la mise en scène enlevée sur fond de musique rock nous livre un dernier montage mêlant habilement images d’époque et scènes reconstituées in vivo par les acteurs. Le générique déroule un à un les visages des ex-compagnons de route de Carlos, décimés par la maladie, écroués dans leur pays d’origine ou repentis et amnistiés.

La valse des portraits-robots rend son alors dernier verdict. Celui emprunté au Livre de l’Ecclésiaste, qui contient cette vérité éternelle : « Vanité des vanités, tout est vanité (…) tout a été fait de la poussière, et tout retourne à la poussière ».



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est journaliste.

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