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Alerte rouge sur l’économie européenne

Faire de l’austérité quand on frise la récession, c’est l’assurance de basculer plus encore dans la récession


Alerte rouge sur l’économie européenne
Le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, Comité interministériel des Outre-mer, Paris, 18 juillet 2023 © Eric TSCHAEN/POOL/SIPA

Personne ne semble s’en être rendu compte mais la croissance semble avoir disparu en Europe. Depuis 2017, l’Allemagne a eu 0.1% de croissance par an, l’Italie 0.2%, la France 0.5%, l’Espagne 0.6%. Le Royaume-Uni est à un peu moins de 1% par an, les États-Unis à 2% par an.

Le déclassement économique sans fin de l’Europe

L’économie du Vieux continent s’est comme arrêtée. Les raisons en sont une politique économique plutôt mal calibrée menée par Bruxelles, une désindustrialisation liée au libre-échange avec les pays à bas salaires, une relative absence dans les industries d’innovation et bien sûr le vieillissement de la population (qui est cependant équivalent pour le Royaume-Uni et la France au vieillissement des États-Unis). Les États européens sont aujourd’hui en très mauvaise posture avec peu de croissance, de gros déficits publics et des dettes publiques très élevées.

Les stratégies économiques choisies, développement de l’ubérisation et des bas salaires plutôt que d’emplois de qualité et de long terme, font baisser la productivité. En France, chaque emploi génère de moins en moins de PIB chaque année, ce qui est inédit. Depuis 2017, la baisse est de 3% (source : Insee). Bien entendu, cela entraîne mécaniquement l’appauvrissement global des individus et de la nation tout entière. Il en est de même dans les autres grands pays européens.

Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Europe a décidé d’arrêter ou d’amoindrir les flux d’achats d’énergie russe (gaz, pétrole et charbon) parce qu’elle pensait que c’était le meilleur moyen de soutenir l’Ukraine. On remarquera que l’Ukraine continue, elle, à acheter son gaz à la Russie et à en faire transiter vers l’Europe. Ces échanges avec la Russie permettaient à une Europe sans gisements d’énergie de bénéficier de prix d’énergie attractifs et de les payer par des exportations vers la Russie et donc des emplois sur son sol. Le différend avec la Russie et la hausse des prix de l’énergie en Europe dureront et contribueront à la désindustrialisation, la baisse des emplois bien payés et donc la croissance du Vieux continent.

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Tant d’erreurs de stratégies économiques peuvent nous faire craindre qu’il n’y ait plus (ou quasiment plus) de croissance en Europe tant que nous ne changerons pas de modèle économique. Pire, les conditions de vie des jeunes se sont tant dégradées (emplois précaires et souvent mal payés, immobilier hors de portée de leurs bourses, colocation et avenir bouché) que les jeunes font de moins en moins d’enfants : même la France et le Royaume-Uni qui résistaient avec environ 2 enfants par femme voient leur taux de fécondité baisser à 1.6 enfant par femme. La boucle de rétroaction entre le mauvais état de l’économie et la démographie génère, le terme est un peu fort mais réel, une spirale négative et dangereuse pour nos pays.

Les dangers à court terme

L’Union Européenne a décidé que le quoi qu’il en coûte était terminé. Il a ainsi été recommandé aux États d’arrêter les aides publiques sur l’énergie. Ce « bouclier », qui coûte environ 50 milliards d’euros par an en France, va être arrêté progressivement. Ce sera un peu moins de déficit et de dette publique, mais ce sera aussi 50 milliards d’euros de consommation en moins. L’austérité va réduire mécaniquement la croissance au moment où celle-ci est déjà nulle. Un signal : l’indicateur avancé de l’industrie allemande (HCOB Germany manufacturing  industry) est au niveau de la grande récession de 2009. Faire de l’austérité quand on frise la récession, c’est l’assurance de basculer plus encore dans la récession.

Un moteur important de la croissance en Europe était la hausse quasi continue des prix de l’immobilier et son effet d’enrichissement. Avec la forte hausse des taux d’intérêts due à l’inflation, l’immobilier voit ses prix baisser tant pour le logement que pour les bureaux[1] (ce dernier secteur étant affecté, qui plus est, par le télétravail). Cet autre moteur de croissance s’éteint au moment où la consommation baisse… 

La guerre en Ukraine commence à changer l’ordre géopolitique mondial. L’Arabie Saoudite défie les États-Unis et rejoint les Brics, ainsi que l’Iran. Aussi, l’OPEP et la Russie refusent de laisser baisser les prix du pétrole en période de faible croissance. L’Arabie Saoudite coupe sa production, quand les prix font mine de baisser. Le pétrole est aujourd’hui à 86 dollars le baril, un prix très élevé en période de faible croissance et les consommateurs et les entreprises s’en rendent compte quand ils passent à la pompe. Les prix des carburants en France sont tels, que nos transporteurs donnent pour consigne à leurs employés de ne plus faire le plein, les camions étant de plus en plus souvent confrontés à des vols, ce que le journal télévisé a encore montré dernièrement.

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L’économie européenne et chinoise vont mal, et tous les indicateurs montrent que le consommateur américain, résistant mais saturé de dettes, est lui aussi en train de craquer. Les trois grandes zones économiques mondiales sont en train de se synchroniser à la baisse.

Prévisions moroses

Il est très probable que tout cela débouchera sur une récession en Occident, récession qui pourrait être suffisamment grave pour déclencher un début de crise financière. L’Europe, qui n’a déjà plus de croissance, pourrait s’enfoncer un peu plus dans des problèmes économiques et financiers insolubles et, pire, dans des problèmes sociaux et donc politiques. 16% des Français ne mangent déjà pas à leur faim aujourd’hui d’après un rapport du Crédoc [2]. Qu’en sera-t-il après une récession et une austérité européennes ? Certes, l’Union Européenne dépense actuellement 750 milliards d’euros pour son plan de relance post-covid, mais les effets de ce dernier sur l’économie ont l’air plus faibles que les facteurs négatifs à compenser.

Oui : l’alerte rouge est bien déclenchée sur le Vieux continent. Malheureusement, la classe politique, habituée à une croissance économique en capilotade et engagée dans la création d’écrans de fumée (relativisation des problèmes plutôt que résolution des problèmes, opérations de communication), s’est enfumée elle-même ; elle n’a pas compris l’ampleur des difficultés qui menacent la France et n’a aucune solution à lui offrir. On pense par exemple aux déclarations de notre ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, parlant en 2022 du retour des Trente glorieuses, ou à son satisfecit de juillet quant à la performance « remarquable » de l’économie française…


[1] Voir https://www.lefigaro.fr/societes/le-teletravail-fait-plonger-l-immobilier-de-bureaux-dans-la-crise-20230720 et https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-07-13/real-estate-is-most-distressed-sector-in-europe-study-finds

[2] Voir https://www.capital.fr/conso/16-des-francais-ne-mangent-pas-a-leur-faim-1468899



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