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Le petit chat est mort…

Le billet de Philippe Bilger


Le petit chat est mort…
Image d'illustration Unsplash

Deux histoires judiciaires bordelaises très médiatisées occupent ce matin notre chroniqueur Philippe Bilger.


Une grand-mère et sa petite-fille ont été violemment agressées à Bordeaux par une personne sans domicile fixe les ayant suivies à l’intérieur de leur immeuble et projetées à terre avant de prendre la fuite, non sans avoir ramassé et dérobé plusieurs effets personnels des deux victimes. L’auteur de ces agissements, un Français de couleur âgé de 29 ans, Brahima B, condamné à quinze reprises, a été interpellé quelques heures plus tard. Après avoir été placé en garde à vue, il a été hospitalisé sous contrainte en milieu psychiatrique avec une reprise de la procédure normale si son état le permet.

On va parler combien de temps de cette agression, de cet homme et de ce scandale ? Cette nouvelle, médiatiquement mise en avant le 19 juin, va disparaître de l’actualité et je suis persuadé qu’on ne rendra même pas compte de tout ce qui adviendra par la suite. La famille des victimes s’oppose à toute récupération politique. Elle ne pourra tout de même pas empêcher les citoyens de tirer les leçons pour la France et sa sécurité. La Première ministre ne s’est pas illustrée en dénonçant d’abord, avec une absence totale de lucidité, ce même risque de récupération. Comme si l’essentiel était là et non dans l’odieuse agression. Faute de savoir combattre un réel qu’on ne maîtrise pas, on l’efface.

Une société qui ne tourne pas ron-ron

Le 2 janvier, on a longuement évoqué la mort d’un petit chat, gare Montparnasse, qui s’était échappé de sa cage de transport et réfugié sous un wagon de TGV en partance pour Bordeaux. Neko – le nom du chat – est mort, son corps coupé en deux sur la voie parce que les agents de la SNCF ont laissé le TGV partir sans attendre que le chat ait pu être récupéré. La SNCF a comparu devant le tribunal de police de Paris le 19 juin pour « atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité d’un animal domestique ». Le procureur a relevé que c’était la première fois qu’une après-midi entière allait être consacrée à une seule affaire. Il a requis la relaxe de la SNCF.

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Combien de temps sera consacré, à Bordeaux, à cette tragédie du quotidien avec l’effroi de voir physiquement ce que c’est de s’en prendre avec violence à une personne de 73 ans et à une petite fille ? Cette société – ce n’est pas une découverte – ne tourne pas rond. Elle a des délicatesses de chaisière pour, par exemple, les atteintes aux animaux mais laisse s’enliser dans le flot de l’actualité des épisodes délictuels ou même parfois criminels infiniment plus graves. On rétorquera que la mort du petit chat pose, comme on dit, un problème de société, qu’il suscite un vrai débat. J’entends bien mais sa portée ne devrait avoir rien de comparable avec celle, toute d’authentique indignation et de danger social, d’une agression comme celle de Bordeaux. Faut-il considérer que, parce que l’épisode du petit chat est quasiment unique et paraît justifier l’incrimination de la SNCF selon la Fondation 30 millions d’amis, la focalisation sur cet incident s’explique, alors que malheureusement la multitude des délits et des crimes dans notre pays n’engendrerait au mieux qu’une révolte lassée, au pire qu’une indifférence fatiguée ?

Une sordide affaire peut en cacher une autre

Pourtant, qui de bonne foi peut mettre sur le même plan la mort (aussi horrible qu’elle soit et douloureuse pour sa propriétaire) de Neko et la séquence terrifiante, tellement révélatrice de la France d’aujourd’hui, où la grand-mère et sa petite-fille ont été victimes ? Je dénie par avance la validité du procès qui sans doute me sera fait : celui d’être sans cœur, de ne pas assez aimer les animaux. J’admets tout à fait que « le petit chat était un être vivant et sensible » selon l’expression de Me Xavier Bacquet, avocat de la Fondation, mais cette qualification qui peut être partagée par beaucoup ne donne pas une solution toute faite. Vivantes et sensibles aussi la grand-mère et sa petite-fille mais cela ne suffira pas pour les rendre aussi dignes de pitié que le petit chat. Pourtant, selon l’excellent avocat de la SNCF, Me Philippe Sarda, cette dernière n’a commis aucune faute, elle a respecté les prescriptions : pas de protocole pour un animal de type chat mais seulement pour une bête plus grosse qu’un mouton sur la voie. Les plaignantes auraient été en revanche passibles d’une contravention de 4ème classe (chat sorti de sa cage) quand la SNCF ne se voit imputer qu’une contravention de 3ème classe. S’il avait été fait droit aux sollicitations pressantes des propriétaires, une désorganisation générale en aurait résulté pour les horaires et la coordination ferroviaire. Pour satisfaire une doléance singulière, des incommodités pour tous auraient été engendrées et la SNCF aurait pâti d’un opprobre qui se serait ajouté à tant d’autres critiques souvent injustifiées.

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J’ai conscience qu’étant passé du côté de la raison et du souci de tous, j’ai trahi la cause de l’apitoiement à l’égard de cette malheureuse petite bête mais il convient tout de même de garder son sang-froid. Le petit chat est mort sous le TGV partant à Bordeaux et on en parle beaucoup, on en parle trop. On en reparlera le 4 juillet quand la décision sera rendue. À Bordeaux, une grand-mère et sa petite-fille ont été violemment agressées. On n’en parlera pas assez et, pire, certains au plus haut niveau nous inciteront à avoir honte d’en parler davantage. Détournons-nous de cette France qu’on ne veut pas voir pour ne pas avoir à lutter contre elle.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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