Accueil Monde Lord Howell sur la relation France/Royaume Uni: «Les amis ont besoin de renouveler leur amitié et leur confiance»

Lord Howell sur la relation France/Royaume Uni: «Les amis ont besoin de renouveler leur amitié et leur confiance»

Interview avec Lord Howell, figure du Parti Conservateur britannique, en amont de la visite du roi Charles


Lord Howell sur la relation France/Royaume Uni: «Les amis ont besoin de renouveler leur amitié et leur confiance»
Portrait de Lord Howell, le 13 mars 2020 © Roger Harris via Creative commons

À moins de 10 jours de la visite d’État du roi Charles, l’ancien ministre de Margaret Thatcher et de David Cameron nous parle des nouvelles relations entre le Royaume-Uni et l’Europe, de la stratégie géopolitique de son pays, de sa politique de gestion de l’énergie et de l’avenir du Parti conservateur.


Causeur a interviewé David Howell, ou Lord Howell car depuis 1997 il est membre de la Chambre des Lords du Parlement britannique, qui, quoiqu’âgé aujourd’hui de 87 ans, reste une figure importante au sein du Parti conservateur. Il a occupé de nombreux postes gouvernementaux, parmi lesquels ministre de l’Énergie et ensuite des Transports sous Margaret Thatcher, ainsi que ministre de la Politique énergétique internationale sous David Cameron.

Auteur de nombreux livres d’analyse politique et géopolitique, grand promoteur du Commonwealth, c’est un fin connaisseur des relations internationales et des questions d’énergie.


Causeur. Que symbolise, selon vous, la prochaine visite de Charles III en France puis en Allemagne, fin mars ? Manifeste-t-elle le désir de commencer de nouvelles relations avec les deux puissances européennes majeures ? 

Lord Howell. Malgré son départ de l’Union Européenne, le Royaume Uni souhaite préserver de bonnes relations avec ses voisins proches en Europe. Mon pays a aussi l’ambition de développer des liens plus étroits avec les pays de l’Indo-Pacifique ainsi qu’avec l’Asie et l’Afrique, puisque c’est dans ces régions que l’essentiel du marché et de la consommation va se développer dans le prochain quart de siècle. Mais les amis ont besoin de renouveler leur amitié et leur confiance constamment, dans les bons moments comme dans les moins bons. C’est cela que le roi Charles III prétend audacieusement réaffirmer par ses deux choix de destination pour ses premiers voyages à l’étranger depuis son accession au trône, après le long règne – 70 ans – de sa défunte mère, la reine Elisabeth II.

Le 27 février, une solution potentielle a enfin pu être trouvée pour le commerce entre l’Irlande du Nord et la Grande Bretagne, grâce au « cadre de Windsor », signé par Rishi Sunak et Mme Von der Leyen. Qu’est-ce que c’est ? A-t-il des chances d’être effectivement mis en place ?

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a menacé de remettre en cause la frontière ouverte entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, qui est une disposition de l’Accord du Vendredi saint de 1998 (Good Friday Agreement), mettant fin à plus de quarante ans de conflit entre unionistes et nationalistes. L’accord sur le Brexit, signé en décembre 2019, avait pour problème de créer une frontière dans la mer d’Irlande et d’instaurer une barrière douanière entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. Une situation à l’évidence inacceptable, en particulier pour le parti loyaliste, le DUP (Democratic Unionist Party), à ce moment-là majoritaire au parlement nord-irlandais (Stormont). Toutefois, grâce à ce nouveau protocole de Windsor, une zone de libre-échange entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne est désormais en place, abolissant la plupart des contrôles douaniers autrefois nécessaires. Il s’agit d’un très bon accord, qui me réjouit. Certes, il ne mettra pas fin à l’application de certaines lois commerciales de l’UE, ni à toute juridiction de la Cour de justice de l’Union européenne. Mais, pour avoir fait partie de l’équipe d’hommes politiques et de fonctionnaires venus instaurer le Direct rule (gouvernement direct de la province depuis Londres) en Irlande du Nord en 1972, lorsque le chaos régnait sur cette nation, je suis très heureux de constater que, 50 ans après, la situation va sans doute désormais s’apaiser, du moins sur ce sujet. 

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Quelles sont les perspectives pour le parti conservateur après les deux précédents mandats quelque peu chaotiques de Boris Johnson et Liz Truss ? Avez-vous peur que les conservateurs ne subissent une sévère défaite aux prochaines élections ?

Vous avez raison: les perspectives futures pour les conservateurs ne sont pas brillantes. Pour autant, cela ne doit pas soulever trop d’inquiétudes. Une éventuelle défaite du parti aux prochaines élections de 2025 ne seraient pas « anormale », pourrions-nous dire. Cela fait treize ans qu’il est au pouvoir sans discontinuer et il est compréhensible que cela provoque une certaine lassitude, surtout avec les crises qu’a traversées le Royaume Uni ces cinq dernières années : le coronavirus et aujourd’hui, la crise de l’inflation, qui semble en voie de s’apaiser. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous constatons une certaine alternance tous les 10 ou 12 ans entre conservateurs et travaillistes. Mais attention, la popularité des conservateurs, qui paraît très basse, pourrait bien remonter d’ici les prochaines élections, comme cela s’est produit en mai 1992. Alors que tout le monde prédisait la défaite de John Major, le successeur discret et peu charismatique de Margaret Thatcher depuis novembre 1990, a remporté une confortable majorité, qui est restée en place jusqu’en 1997. La signature du protocole nord-irlandais est certainement une première grande réussite pour M. Sunak, tout comme le blocage du projet de loi de Mme Sturgeon sur la transition de genre à 16 ans, qui fit tomber cette dernière. Enfin, l’éloignement d’une perspective d’indépendance de l’Écosse, du fait de la fermeté de Boris Johnson, pourrait certainement affaiblir le parti indépendantiste écossais, le SNP, et éventuellement favoriser les conservateurs dans les élections à venir. 

Quelle confiance inspirent Rishi Sunak et son chancelier de l’échiquier, Jeremy Hunt, au sein du parti conservateur aujourd’hui ? Les brexiteurs paraissent dubitatifs sur leur désir de mettre réellement fin à l’application des lois de l’Union européenne encore en vigueur…

Rishi Sunak est un homme d’une grande compétence, avec une grande compréhension des questions techniques. Il paraît bien comprendre les enjeux de la crise actuelle et prend les moyens pour la résoudre, aidé par son chancelier, avec qui il entretient une vraie relation de confiance. Leur travail est difficile, du fait de la pression des réseaux sociaux et des médias, qui donnent aujourd’hui l’image d’un parti conservateur très divisé entre le camp de Boris Johnson et les soutiens de Rishi Sunak. La succession des leaders, de Boris Johnson à Rishi Sunak, semble avoir assagi nombre de députés, lassés des divisions des mois précédents. Soyons réalistes, ce n’est pas en quelques mois ou même en quelques années que l’on met fin à quarante ans de juridiction européenne. Nous devons également réfléchir par ailleurs sur ce par quoi nous allons remplacer ces milliers de textes. Les futurs textes seront-ils nécessairement meilleurs que les lois européennes déjà en vigueur ?

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Pensez-vous que le Commonwealth pourrait être mieux utilisé par la Grande-Bretagne pour étendre son influence dans les années à venir ?

J’éviterais de parler du terme « utiliser », qui relève davantage du néocolonialisme et ne me paraît pas refléter la réalité du Commonwealth aujourd’hui. Ce dernier est un réseau de pays, dont le souverain du Royaume-Uni est certes la tête, du fait de son histoire. Mais le Royaume-Uni n’est pas pour autant dominant au sein de cette association d’États. Le monde multipolaire dans lequel nous vivons doit être l’occasion pour les petites puissances de renforcer leurs liens entre elles, de se soutenir mutuellement et d’avoir l’occasion d’échanger au sein d’institutions telles que le Commonwealth. Le Royaume-Uni a besoin du Commonwealth pour développer sa coopération sur tous les continents : en Afrique, où la concurrence russe et chinoise est devenue très forte ces dernières années, dans les Caraïbes, ou encore en Asie. Il est temps qu’une réflexion d’une plus grande ampleur soit menée au Royaume-Uni sur le sujet. C’est d’ailleurs l’objet du think-tank Centre for Commonwealth Affairs que nous avons créé l’année dernière pour la promotion du Commonwealth. Je souhaitais enfin souligner à ce propos l’excellente compréhension qu’avait notre souveraine Elisabeth II de la forme que devrait prendre cette institution dans l’avenir: « Le Commonwealth n’a aucune ressemblance avec les empires du passé. Il s’agit d’une conception entièrement nouvelle, construite sur les plus hautes qualités de l’esprit de l’homme: l’amitié, la loyauté et le désir de liberté et de paix » affirmait-elle lors de ses vœux de Noël en 1953. Désormais, il n’y a plus qu’à appliquer ses sages paroles.

Depuis 1985, vous plaidez pour un rapprochement entre Royaume Uni et le Japon. Quels seraient les avantages d’une coopération approfondie entre vos deux pays ?

Le rapprochement entre nos deux pays me paraît essentiel. La puissance économique et technologique japonaise constitue une force considérable, qu’elle est tout à fait disposée à partager. D’ailleurs, le prochain avion de combat de l’armée britannique sera le fruit d’une coopération anglo-nipponne, une grande première. N’oublions pas que le Japon est par ailleurs le premier marché de la Chine et que les investissements japonais en Chine sont également considérables – bien que la propagande antijaponaise soit très forte au sein du gouvernement chinois, pour des raisons historiques bien connues. Le paradoxe est que les Japonais tentent, à l’inverse, de développer des relations amicales avec la Chine, tout en gardant une grande prudence. La preuve en est que le Japon a dopé son budget de la défense qui est aujourd’hui supérieur à celui du Royaume-Uni, aux alentours de 2,5% du PIB. L’ère pacifiste du Japon est bel et bien terminée. Parmi les autres domaines de coopération entre nos deux pays, il y aurait l’importation de la technologie du Shinkansen, qui ne fut malheureusement pas utilisé pour la construction de nos deux projets de ligne à grande vitesse, HS2, ou encore de la technique de la lévitation magnétique Yamanishi, qui pourrait atteindre les 600 km/h. Durant de nombreuses années, j’ai conseillé la société Japan Central Railway sur ses relations avec l’Europe. Pour l’heure, elle ne paraît pas décidée à faire son entrée sur ce marché.

Parlons enfin de la question énergétique, qui occupe de nombreux esprits. La dépendance au gaz russe s’est révélée on ne peut plus risquée depuis février 2022. Comment le Royaume Uni doit-il prendre en main sa production énergétique ?

La crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine n’est, je le crains, qu’une conséquence des mauvais choix effectués par les gouvernements successifs depuis l’après-guerre. En continuant à produire du charbon puis en important du gaz et du pétrole de l’étranger, le Royaume-Uni a tardé à développer ses propres ressources, en particulier l’énergie nucléaire. Margaret Thatcher, dont je fus le ministre de l’Énergie entre 1979 et 1981, avait bien conscience de la fragilité de notre système énergétique, encore fondé jusque-là, à 70%, sur le charbon. Elle souhaitait développer davantage le nucléaire, tout comme les Premiers ministres qui lui ont succédé, mais sans véritable succès. Les centrales sont très longues et coûteuses à construire et le projet d’EPR en cours, à Hinkley Point, prend un retard considérable. En 2022, la loi sur la programmation énergétique prévoit que, d’ici à 2050, la capacité de production du nucléaire passera de 7GW à 24GW. Un passage qui ne pourra se faire que grâce au développement de la nouvelle génération de réacteurs (SMR), développée depuis 2017 par Rolls Royce et pour lequel le gouvernement a déjà investi plusieurs centaines de millions de livres.



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Journaliste franco-britannique

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