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Lettre ouverte aux 343 salauds


Messieurs, tolérez-vous que je m’introduise ? Vous cosignez un manifeste où vous réclamez à juste titre que l’Etat s’occupe de ses fesses plutôt que des vôtres.

Même s’il avait été mixte, je ne l’aurais pas signé. Je nourris en effet depuis l’enfance une aversion épidermique aux actions groupées. À tort ou à raison, j’ai toujours l’impression que plus il y a de têtes, moins il y a de cerveaux. Mais surtout, j’ai le sentiment que vous tirez une balle contre votre camp. Entendons-nous bien, je trouve ridicule et même pervers de criminaliser le recours à la prostitution. Que l’on lutte, et pas qu’un peu, contre le proxénétisme, la séquestration, le chantage, la contrainte, le trafic d’êtres humains, voire la torture, j’applaudis, je souscris, j’opine. Mais que l’on fasse de Pépé, ou de n’importe qui, un dangereux délinquant parce qu’il succombe aux charmes d’une horizontale, c’est à s’écrouler de rire. Ou de peur. Cette criminalisation imbécile ouvre un champ judiciaire qui laisse pantois et anxieux, nous sommes bien d’accord !

Mais voyez-vous, Messieurs, j’ai du mal à vous suivre lorsque pour défendre votre droit d’aller aux putes sans qu’on vienne vous botter le cul, vous adoptez la stratégie des comités de quartier ou des ligues de vertu. Que vous soyez pratiquants, croyants, agnostiques, abstinents, ou adventiste du septième jour (c’est, paraît-il, le jour le plus rentable chez ces Demoiselles!), je m’en branle avec délicatesse et doigté. Mais il m’est difficile de vous pardonner de faire très précisément ce que vous reprochez au camp d’en face : étaler la prostitution, ses salpingites et ses morpions dans nos salons Louis XV. La discrétion est de rigueur, car il est rare que l’on se vante de ce fait peu glorieux : il m’a fallu douiller pour bénéficier des charmes d’une donzelle…

Cachée dans des quartiers colorés, feutrée dans les moquettes, abritée par des paravents, camouflée par de lourds parfums, subrepticement visitée, accueillant les prêcheurs de vertu, les bons pères de famille, les tordus, les éclopés, les asociaux, les boutonneux, les abonnés ou les visiteurs d’un soir, la prostitution n’a pas vocation à faire l’objet de pétitions bruyantes. Elle est, par essence, clandestine, furtive, masquée. Or, votre manifeste, plus encore que cette proposition de loi qui la sous-tend, participe à une normalisation de ce qui n’aurait jamais dû cesser d’être une transgression, il banalise l’interdit en le revendiquant et fait virer les lanternes du rose alléchant au gris souscrit ! Les portes des maisons closes ont toujours été entrouvertes. Tout le monde le sait. Quelle utilité de les ouvrir à deux battants ?



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Romancière et scénariste belge, critique BD et chroniqueuse presse écrite et radio. Dernier roman: Sophonisbe.

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