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Coquin et homme d’Etat

La tradition des frondes ratées qui inspirait tant les romantiques.


Coquin et homme d’Etat
Philippe d'Orleans, Regent de France (1674-1723). Gravure de la fin du XIXe, debut du XXe siecle. ABECASIS/SIPA 00584335_000036

L’Air était tout en feu, le troisième roman de Camille Pascal, évoque la décadence baroque de la Régence et raconte une conspiration destinée – comme tant d’autres – à échouer.


À la régence de Philippe d’Orléans – neveu de Louis XIV qui a assuré le pouvoir pendant la minorité de Louis XV de 1715 à 1723 – s’attachent de nombreux clichés : la débauche, la légèreté, la corruption, les soupers du palais royal, les fêtes de Watteau, les marivaudages, le papier monnaie de John Law, le style léger et délicat de Germain Boffrand, le persiflage de Saint-Simon, l’impiété de l’abbé Dubois et la neurasthénie d’un régent que l’intelligence aurait rendu indifférent à tout… Ces images d’Epinal sont aussi cinématographiques et doivent beaucoup au succès du film de Bertrand Tavernier, Que la fête commence. Roman historique, L’air était tout en feu de Camille Pascal raconte une conjuration destinée à démettre le régent Philippe d’Orléans au profit du Parlement de Paris, du clan des bâtards légitimés de Louis XIV et de la couronne d’Espagne gagnée par le petit-fils de louis XIV, Philippe V.

Le récit s’amorce sur une image qui sera hélas familière au lecteur : un incendie prend au petit pont de l’île de la Cité et menace Notre-Dame – récit du célèbre brasier de 1718 qui a manqué d’enflammer le centre de Paris. L’occasion pour l’auteur d’un tour panoramique et descriptif de la capitale. Comme Vigny dans Cinq-Mars qui s’attardait autant sur la majesté des Pyrénées que le détail des intrigues à la cour de Louis XIII, Camille Pascal décrit avec précision ce siècle de faire-voir où chaque couleur, chaque vêtement, chaque coup d’œil dénonce une appartenance ou un non-dit. Le style reste fluide pourtant et la nervosité du récit équilibre le luxe de détails, évitant au lecteur l’ennui par lourdeur d’érudition ou abus de préciosité.

Généreuse, sa plume relève aussi une atmosphère de décadence étouffante. Charrié par les fumées de Notre-Dame, il y a dans le royaume ce que le Maréchal Pétain appelait un « vent mauvais ». Philippe d’Orléans a réussi à s’emparer du conseil de Régence en cassant le testament de Louis XIV qui voulait le corseter et installer son fils bâtard, le duc du Maine, sur un piédestal. Depuis, les relations entre les différents corps du royaume restent conflictuelles. Les marquis crottés de province voient le régent comme un coquin. L’État n’a plus un rond. En région, on parle de sortir les fourches et à Paris les intrigants aiguisent leurs armes. Il y a aussi ces libellistes payés par la duchesse du Maine qui diffusent des ragots sur le régent. Voltaire fut l’un d’entre eux. L’impiété est partout : « L’esprit de l’abbé s’égarait toujours un peu à la messe. Aussi n’y assistait-il que très rarement ». Les curés sont appelés « les athées ». Tous les vices semblent permis : « Le maréchal d’Huxelles (…) ce voluptueux préférait la robustesse de ses laquais à la tendresse des femmes, dont il ne voulut jamais épouser aucune ». Le gouvernement de la France ressemble à un bateau ivre ; d’ailleurs le régent titube. Il faut l’aider pour qu’il monte dans le carrosse à l’avant duquel les palefreniers font du zèle pour pousser les chevaux.

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L’auteur n’est pas en retard d’un bon mot ou d’une image baroque. Les magistrats du parlement de Paris sont au choix : des « radoteurs de jurisprudence », des « envieux d tout et haineux de tous » ou de « grandes perruques qui s’imaginent en pères de la nation » ; Madame de Maintenon  : un « ragoût merdeux », une « vieille putain » « ripopée de vices ». Entre les jurons du Capitaine Haddock et Ridicule de Patrice Lecomte, l’auteur ne dissimule rien de certaines aspérités déplaisantes de l’Ancien Régime – en particulier cette grande hiérarchie de fatuités où l’on voit chaque corps mépriser celui qui lui est immédiatement inférieur par crainte d’être confondu avec lui.

Camille Pascal en perçoit aussi certaines grandeurs. Si près du siècle de La Bruyère, ces vieilles badernes nous font de singuliers caractères. Le face-à-face avec la duchesse du Maine et Philippe d’Orléans occupe l’essentiel du roman révélant aussi sa perspective. Souvent en pleine enquête policière, on voit le régent capable d’analyser avec la froideur et l’intelligence d’un homme d’État une situation pour en dénouer le fil. Passionaria des complots, son adversaire s’en tient à la beauté du geste et réussit juste à insuffler un peu de charisme viril à des conjurés qui en manquent singulièrement. Il en faudra plus pour intimider la tête du pouvoir, laquelle parvient à force de malice, d’intelligence et de sens politique à déjouer la conjuration. In fine, la ruse l’emporte sur le sens de l’honneur et le sens de l’État sur la beauté du geste chevaleresque. Les lâchetés, les inconséquences des conjurés finissent par les perdre… Si de Brutus en Boulanger, les conspirateurs manquent rarement de courage et d’esprit bravache, leur intelligence politique égale rarement celle des vers de terre. On retrouve derrière les menées de la duchesse du Maine toute la tradition française des guerres folles, des frondes aristocratiques, des putschs burlesques ou des chouanneries perdues d’avance – cette tradition qui inspirait tant les romantiques.

À y regarder, il est un autre combat plus implicite et latent que le pouvoir ne parvient pas à gagner : « Le régent craignait bien davantage la fronde du Parlement que les mouvements de deux malheureux princes, marionnettes de deux femmes ivres de pouvoir, la vieille guenipe de Saint-Cyr qui les avaient toujours couvés de ses jupes de fausse prude et la folle naine de Sceaux ». Le pouvoir craint surtout que les politiques plus avisés ne lancent le peuple à l’assaut des grilles du palais – manœuvre à laquelle les parlements s’emploieront vers la fin de l’Ancien Régime. Le peuple ne fait plus automatiquement confiance. Et tant chez ces nobles baroques et suicidaires, cette Église impie, cette cour débauchée que ce régent neurasthénique… on voit tout le royaume remué par une crise de sa propre conscience que Camille Pascal identifie et restitue. « Personne n’aime à s’incliner devant la poussière de l’Ecclésiaste de peur d’éternuer » aime écrire l’auteur ; en mesurant l’actualité de ce léger parfum romanesque de doute et de contestation, on pourrait dire avec le livre le plus désabusé de la Bible : « Rien de nouveau sous le soleil ».

Camille Pascal, L’Air était tout en feu, Robert Laffont, 2022, 352 pages, 22,00€.

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