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Police d’Etat

La police est au service du pouvoir plutôt que des citoyens.


Police d’Etat
La cité de la Castellane, Marseille, 1/12/2020 Lionel Urman/IPA/SIPA 00993481_000008

Les récents brouhahas au sein de la Police judiciaire, que Darmanin bouleverse de fond en comble, ont inspiré à notre chroniqueur quelques réflexions bien senties sur la fonction réelle de la police sous le règne de Macron II — mais aussi de Sarkozy Ier, Hollande the Last et autres incontournables du totalitarisme soft.


Frédéric Veaux s’est illustré lors de l’arrestation d’Yvan Colonna : il a, depuis 2003, bénéficié de l’ombre portée de cette affaire, ce qui l’a conduit à la Direction centrale du renseignement intérieur, — ce qui l’a amené au cœur de l’affaire des « fadettes ». Sans qu’on le soupçonne, bien sûr, d’une quelconque malversation. Un homme de grand mérite. Le fait que sa compagne, Véronique Malbec, soit ancienne secrétaire générale du ministère de la Justice et présentement directrice de cabinet de Dupont-Moretti n’est qu’une coïncidence, après tout, on drague en général dans son milieu professionnel…

Une réforme élyséenne

Qu’un homme si capé se soit vexé du brin de conduite que lui ont fait, à Marseille, les hommes de la PJ, et ait immédiatement fait limoger leur chef, donne toutefois à penser. Quand un directeur général de la police nationale se fait chahuter, il devrait s’en prendre d’abord à sa mauvaise gestion et à sa mauvaise communication. En aucun cas à un haut fonctionnaire, Éric Arella, patron de ladite PJ, qui s’est fait acclamer par les mêmes hommes qui avaient silencieusement hué Frédéric Veaux. Arella est le lampiste commode d’une réforme dont la finalité n’apparaît pas clairement.

Ou trop clairement. L’idée est de faire assumer par la PJ, qui a autant de commissaires qu’une armée mexicaine a de colonels (et d’ailleurs le syndicat des commissaires est vent debout contre la réforme), les tâches dévolues aujourd’hui à la sûreté urbaine. Politique du chiffre — tant d’arrestations de fourmis — plutôt que démantèlement au long cours de réseaux complexes.

Sauf que l’argument de la PJ ne tient pas vraiment la route. Il est fini, le bon temps où quelques caïds, échelonnés de Bogota ou à Marseille, contrôlaient le trafic. Désormais, n’importe quel voyou qui a un cousin installé dans le Rif monte un go-fast et devient roi du shit pour quelques mois. Des minables interchangeables, qui passent d’ailleurs leur temps à se flinguer les uns les autres.

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La réforme vient raviver de vieilles jalousies entre des services dont les uns prétendent être l’aristocratie du métier, en laissant le rôle de soutiers aux autres. La PJ met trente hommes sur un dossier, pendant que chaque flic de la Sécurité publique en traite trente. Ça use, à force.

La vérité est que cette réforme, qui vise à faire du chiffre et à se rengorger en affichant un taux d’arrestations en hausse, est un outil pour un ministre, Gérard Darmanin, qui ne cache guère ses ambitions présidentielles pour 2027 : formé par Sarkozy, il l’imite en tout, et pense que comme pour le petit Nicolas, le ministère de l’Intérieur est un tremplin pour l’Élysée. Après tout, il fait 6 cm de plus que son mentor, ce qui le qualifie par définition.

La tranquillité à la marseillaise

Tout cela est de la poudre aux yeux des gogos. La police, en France, n’est pas au service des citoyens, mais au service de l’État. Les équipements de lance-grenades LBD ont été distribués aux policiers après les émeutes des banlieues, en 2003 — pour prévenir d’autres émeutes. Les Gilets jaunes ont été une répétition générale, et en même temps un avertissement sur le fait que les troupes n’étaient pas en nombre suffisant : du coup, une campagne de recrutement massif a été lancée par le ministère — non seulement de policiers d’active, mais de policiers versés dans la « réserve », pour laquelle on n’a jamais vu autant de candidats. Y compris nombre de bras cassés.

Sans compter que les polices locales recrutent elles aussi à tour de bras (350 postes ouverts à Marseille en juillet par une municipalité « de gauche »), et que les milices privées en font autant : par exemple celles qui assurent la sécurité, porte de Saint-Cloud, à chaque match du PSG, à tu et à toi avec les CRS mobilisés pour l’occasion et qui frisent le ras-le-bol. Il est tant de gens qui rêvent de posséder légalement une arme, par ces temps troublés où l’on sent la tentation de l’émeute à chaque match de foot : ce ne sont pas les supporters qui troublent la sérénité sportive, quoi qu’ait pu dire début septembre un ministre soudain pris du désir de se ridiculiser, mais bien les racailles de banlieue.

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Et ces racailles-là, pas question de les provoquer. Dire que l’on va redéployer les hommes de la PJ pour éradiquer le trafic de drogue dans les banlieues sensibles est une aimable plaisanterie. Pour deux raisons majeures :

– La vente de produits illicites permet d’équilibrer une économie locale absolument ruinée. Dans la fameuse cité de la Castellane, à Marseille, les seules ventes de la tour K (détruite en 2020-2021) s’élevaient à 60 000 € par jour. De quoi mettre la garniture sur le couscous.

– Les trafiquants de drogue, parce qu’ils tolèrent mal tout ce qui pourrait troubler le bizness, sont les meilleurs garants de l’ordre dans les cités. En 2003, quand toutes les banlieues françaises s’embrasaient l’une après l’autre, la tranquillité régnait à Marseille, parce qu’il était hors de question que les humeurs gênent le trafic. Et quand les lycéens de Saint-Exupéry, au cœur des Quartiers Nord, ont prétendu bloquer un rond-point vital où passaient les clients des vendeurs de chichon, ce sont les truands locaux qui ont expliqué manu militari aux p’tits jeunes qu’on ne plaisantait pas avec la libre-entreprise.

La somme de ces deux raisons explique pourquoi, bien que la question soit régulièrement posée pour muser le peuple, on ne légalisera jamais la vente de beuh. Tout projet en ce sens est pris en étau entre les intérêts financiers des racailles qui entrent dans le calcul du PIB, et l’intérêt d’Etat d’assurer la paix. Au moins jusqu’en 2027. Même explication pour savoir pourquoi on ne re-municipalisera jamais la police, qui pourrait alors s’intéresser prioritairement aux conditions de vie des citoyens de leur ville, au lieu d’assurer d’abord la quiétude du gouvernement en général et de leur ministre en particulier. C’est qu’elle ne serait plus disponible pour empêcher l’émeute, les pillages, et qui sait, une révolution intranquille.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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